Groupements & plateformes : l’indispensable mariage ?

La maîtrise de la logistique devient rapidement un argument de poids pour obtenir les meilleurs prix. Le groupement ayant atteint une taille importante doit-il forcément se marier à un grossiste ou tenter de le devenir lui-même ?

L’un ne fonctionne pas sans l’autre, officinaux et grossistes sont étroitement liés. L’idée pour les pharmaciens d’officine – de mettre un pied dans la distribution – ne date pas d’hier. Les Cerp en sont l’illustration. Des pharmaciens se regroupent et se dotent de la puissance logistique nécessaire, dans l’objectif avoué de réduire leurs coûts. En face, la répartition, en s’associant ou en investissant dans les groupements, s’assure un débouché à ses prestations. L’indépendance rime-t-elle avec la logistique ? Un groupement, pour avoir l’envergure nationale, doit-il se marier à un grossiste-répartiteur ?

Certains groupements, comme Giphar ou Evolupharm, ont monté des plateformes de distribution. D’autres, comme Pharmavie, sont rattachés à un grossiste-répartiteur.

Une histoire de négoce

Le paysage officinal s’uniformise avec la mise en avant des groupements de pharmaciens, toujours plus imposants et désormais incontournables. Leur existence même repose, à l’origine, sur la négociation avec les laboratoires, la massification des achats permettant d’obtenir de meilleures marges. « L’importance de la plateforme, c’est l’indépendance vis-à-vis des grossistes. C’est intéressant pour la négociation avec les laboratoires, nous achetons en grandes quantités et sur un seul point de livraison. Car livrer chaque pharmacie coûte cher au laboratoire », explique François Douère, directeur des opérations d’Evolupharm. Dans la négociation, la logistique permet au laboratoire de réaliser des économies et au pharmacien, d’augmenter sa marge. Sans bloquer d’espace de stockage ou de trésorerie. S’il passe par son grossiste, pour l’OTC et la para, sa marge sera minime.

Si le pharmacien se sert d’un grossiste pour négocier, c’est autre chose. « La majorité de l’activité de la pharmacie passe par la vente de médicaments qui est l’apanage du répartiteur. Donc, avoir un accord ou un lien fort avec un grossiste-répartiteur est légitime et logique à partir d’une certaine taille », souligne Jean Fabre, président de Phoenix France. Il rappelle que s’associer avec un grossiste permet de sécuriser une grande partie des problématiques logistiques du groupement. Mais le négoce, ce n’est pas uniquement une affaire de logistique, loin de là.

Crédit photo : Evolupharm

La maîtrise des flux

« Massification, flux, données ont une grande importance. J’ai vu évoluer les négociations entre l’industrie et les distributeurs, c’est une bataille de connaissances. La personnalité du vendeur et celle de l’acheteur, leur pugnacité ainsi que la qualité du produit jouent aussi. Mais c’est également une bataille de chiffres et d’informations », analyse Philippe Becht, président du directoire de Giphar. Si les officines n’ont jamais un grossiste exclusif, avoir une vision des flux de produits donne des armes pour négocier les meilleurs prix.

Un avantage que confirme Pierre- Alexandre Mouret, directeur de la stratégie et des opérations chez Pharmavie. « Être adossé à un acteur aussi important (NDLR : Phoenix) donne une agilité énorme. Vous avez tous les éléments des données du marché du médicament en Europe, vous pouvez vous appuyer sur toutes les négociations européennes, vous bénéficiez de ces réseaux. »
Si ces avantages peuvent être obtenus en concluant une alliance avec un grossiste, pourquoi mettre en place cette lourde et coûteuse logistique ?

« Un ticket d’entrée très élevé »

« Notre activité de distribution est le fruit d’une longue histoire. La distribution, ce sont 182 plateformes en place, un marché très occupé, dont le ticket d’entrée est très élevé et la rentabilité négative », rapporte Philippe Becht. Chez Evolupharm aussi, la logistique de stockage et de livraison est ancienne et fut mise en place progressivement. D’autant plus que si le groupement ne rentre pas dans les obligations légales de la distribution pharmaceutique, elle évite ainsi certaines pertes attenantes.

« La distribution c’est 182 plateformes en place, un marché très occupé, dont le ticket d’entrée est très élevé et la rentabilité est négative. »

Alors pourquoi payer le ticket d’entrée ?
Pour François Douère « Il faut avoir les moyens de ses ambitions, et cela passe par les outils et l’indépendance. » Pour Philippe Becht « L’intérêt, à l’époque où la distribution faisait des bénéfices, c’était d’éviter les actionnaires et de redistribuer les bénéfices au pharmacien qui est propriétaire de l’entité qui le livre. » Un argument qui rappelle qu’aujourd’hui la distribution est en crise et accumule des pertes records.

Crédit photo : Giphar

Qui paye les pots cassés ?

Depuis près de 3 ans, la répartition subit de lourdes pertes : 27 millions d’euros en 2017, 46 millions en 2018, et une estimation proche de 100 millions d’euros pour 2020. « Nous restons rentables, car nous sommes sélectifs et faisons du négoce non réglementé, qui apporte de bonnes performances. Mais si j’isole l’activité de répartition, soit 70 % de l’activité logistique, elle nous tire vers le bas », assure Philippe Becht.

L’officine qui s’engage dans un groupement, lui-même associé à la distribution, peut-elle se retrouver à payer les affres de cette dernière ?

« La disproportion est telle que c’est impossible. La répartition, ce sont des milliards de chiffre d’affaires. Et nous ne sommes pas propriétaires du chiffre d’affaires des groupements. Le groupe Phoenix finance la France, c’est le fait d’appartenir à un groupe international présent en Europe qui lui permet de survivre, garantit Jean Fabre. Il ajoute même que Pharmavie a une politique de dividendes très rémunératrice. Les pharmaciens qui sont actionnaires en bénéficient et nous encourageons nos adhérents à devenir actionnaires. »

L’indépendance : vertu cardinale ?

« L’importance de la plateforme, c’est l’indépendance vis‑à-vis des grossistes. C’est intéressant pour la négociation avec les laboratoires. »

Sur le territoire national, la vision libérale de la profession met à peu près tout le monde d’accord quant à l’importance de l’indépendance, notamment capitalistique.

« L’indépendance, c’est un tout, nous sommes indépendants au niveau de l’actionnariat, de la logistique, des produits et même des actions commerciales, puisque nous avons une force de vente et de communication », affirme François Douère. Evolupharm, qui est aussi un laboratoire, a d’ailleurs la maîtrise de la production jusqu’au comptoir sur certains secteurs comme le générique et les gammes MDD. Le pharmacien choisit ensuite à quelle hauteur il s’engage avec le groupement.

Crédit photo : Giphar

« En France, l’indépendance de la pharmacie est garantie par la réglementation et la loi, donc, aujourd’hui, quand un pharmacien se groupe, il ne perd pas son indépendance. Il sécurise une partie de son activité qui lui permet de se consacrer à autre chose, rétorque Jean Fabre. Et puis le pharmacien est toujours libre de quitter un groupement pour un autre, en fonction de sa croissance ou de sa stratégie, par exemple. »

Plusieurs histoires, plusieurs visions de l’intérêt général et personnel s’affrontent. Travailler en groupe est indispensable, pourtant la liberté individuelle est sacralisée. Le pharmacien d’officine paraît parfois bien dépendant dans son indépendance.

« Nous avons essayé de rendre le pharmacien plus fort en répondant à certains besoins, sur le générique, la logistique et la marge. Mais le pharmacien a avec lui trois acteurs, le groupement, le grossiste et le génériqueur. À lui de faire en sorte que les trois ingrédients soient à leur bonne place », conclut François Douère. •


La puissance internationale

Question à Pierre‑Alexandre Mouret
Directeur de la stratégie et des opérations chez Pharmavie

Qu’apporte l’appartenance à un groupe international, lorsque l’on est un groupement français ?

Dès que quelque chose sort en Suède, en Grande-Bretagne, ou en Pologne, et, quel que soit le sujet, un médicament qui arrive sur le marché ou le déploiement de la télémédecine par exemple, le fait de pouvoir voir ce qui se fait ailleurs au niveau européen nous a fait gagner un temps fou en termes de stratégie et d’action par rapport à un groupement qui ne serait pas rattaché à un répartiteur.

Question à Jean Fabre
Directeur de Phoenix France

À quoi ressemblent le paysage européen des groupements d’officines et leur accointance avec des distributeurs ?

Nous observons une tendance au regroupement de pharmacies. Sous la forme de groupements que l’on connaît en France, ou bien de chaînes quand la réglementation le permet. Le plus souvent les deux s’appuient, selon les législations, sur des grossistes-répartiteurs soit par des accords ou par des entrées au capital. Selon les pays, les deux systèmes peuvent cohabiter comme au Royaume-Uni. •