La distribution dans la tourmente

Toute la chaîne pharmaceutique a été touchée par la crise sanitaire et, si le moindre maillon défaille, la catastrophe n’en sera que pire. Comment les grossistes et les dépositaires font-ils face aux changements quotidiens ?

Les événements qui ont frappé la pharmacie d’officine se sont répercutés sur les grossistes en amont. Que ce soit le rush du préconfinement, le confinement, ou la sur-prescription de certaines spécialités. Comment réagir face à des changements aussi soudains que brefs, tout en maintenant un service indispensable ? La recette est plus ou moins la même que dans les officines : travail, rigueur et surtout adaptabilité, avec, en plus, un peu de préparation.

Quand la vague arrive

« Il y a eu une très forte activité la semaine dernière (NDLR : La première semaine de confinement) les lundi, mardi et mercredi. Certaines agences ont vu leur activité multipliée par deux, voire plus ! », rapporte Emmanuel Déchin, délégué général de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP). Si la répartition a plutôt bien encaissé la vague, c’est parce que « toutes les grandes entreprises de la distribution sont dotées de plan de continuité d’activité, que nous avons déclenché dès le mois de février », explique Laure Brenas, présidente de la section C (distribution) au Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP) et présidente de CSP, dépositaire pharmaceutique.

Plateforme logistique du dépositaire CSP à Cournon d’Auvergne (63) – Quai de livraison. © CSP

Les fameux plans de continuité de l’activité (PCA) existent dans la plupart des industries vitales au fonctionnement de la société. Ce sont des documents stratégiques, formalisés et régulièrement mis à jour et testés, qui prévoient plusieurs scénarios pour maintenir l’activité, quitte à la réduire pour toujours traiter les urgences, en cas de crise grave. En plus de cela, des cellules de crise sont réunies plusieurs fois par semaine, que ce soit au niveau de l’Ordre, avec les différents acteurs de la chaîne pharmaceutique, ou bien avec la cellule de crise du ministère de la Santé. Malgré la préparation et la communication, certaines inconnues viennent s’ajouter à l’équation.

Des consommations inhabituelles

La répartition a aussi un rôle de surveillance des consommations inhabituelles de médicaments. La crise a évidemment apporté son lot de surprises. Si les traitements à l’étude comme l’azithromycine ou l’hydroxychloroquine ont rapidement fait l’objet d’un contingentement demandé par les pouvoirs publics, cela n’a pas empêché certains pharmaciens de tenter des commandes importantes, de Plaquénil ou de paracétamol. « Cela reste des cas isolés, mais il faut anticiper des tensions d’approvisionnement sur ces médicaments », assure Emmanuel Déchin. Il y a bien sûr des spécialités plus demandées, en raison du nombre de malades. L’hôpital est aussi très demandeur. « Nous avons noté par exemple une augmentation extrêmement importante des ventes de Sufentanil. Ce sont des produits utilisés en réanimation, car les patients intubés sont placés en semi-sédation », détaille Laure Brenas.

Préparation des commandes froides. © CSP

Aujourd’hui, des tensions de stock commencent à apparaître sur des produits sensibles dont la consommation a été démultipliée par la crise sanitaire. « La Chine commence à rouvrir ses usines. Il faut qu’elles continuent à tourner, mais aussi tout le reste de la chaîne pharmaceutique. S’il y a un grain de sable dans la chaîne, il peut y avoir des soucis d’approvisionnement », explique Laure Brenas. Ce qui inquiète le plus, ce n’est pas uniquement la production en amont, mais également les collaborateurs, qui participent aussi bien aux préparations de commandes qu’aux livraisons. Si, comme beaucoup, ils sont très impliqués en ces temps de crise, ils sont aussi exposés au risque de contamination et doivent être protégés.

Absentéisme et difficultés de circulation

« Nous avons un taux d’absentéisme de 14 %, qui est majoritairement dû à des gardes d’enfants et nous avons mis en télétravail tous ceux qui pouvaient l’être. Il y a une forte inquiétude de nos collaborateurs qui entendent tout et son contraire : Restez chez vous, Venez travailler, etc. Il faut pouvoir offrir des équipements de protection individuelle. Quand vous voyez la difficulté qu’a le gouvernement pour se procurer des masques, vous imaginez ce que c’est pour les entreprises privées », rapporte la présidente de la section C. Pour l’instant, la situation est tenable, mais la vigilance est permanente. Il existe aussi une certaine hétérogénéité de situation au niveau des territoires. Le Grand Est est particulièrement touché, et cela se ressent à tous les niveaux, même dans la répartition.

Les mesures de confinement peuvent également porter préjudice au bon déroulement des opérations. « Il y a aussi les problèmes de droit du travail, de liberté de circulation pour nos collaborateurs qui, pour certains, ont des horaires inhabituels. Certaines villes ont mis en place des couvre-feux et il faut s’assurer que cela se passe bien. Il y a pu avoir quelques soucis localement. Dans l’ensemble, les choses se passent correctement », rassure Emmanuel Déchin.

Le chemin est long et particulièrement périlleux pour les médicaments en ce moment. Pour pouvoir assurer la continuité des soins en ville, il est nécessaire que toute la chaîne précédant le comptoir tienne le coup et s’adapte. Si le Covid frappe fort, les autres maladies n’ont pas disparu pour autant, et l’approvisionnement des officines est d’autant plus important que les hôpitaux sont saturés.

« Notre objectif est de continuer à être souples, adaptables et pragmatiques. Nous allons voir comment évolue l’absentéisme, l’activité en pharmacie, et rester vigilants sur les ventes anormales. »

Les masques

Comment parler d’approvisionnement sans parler des masques ? Ceux-là dont les pharmaciens ont la lourde tâche de les dispenser équitablement aux professionnels de santé. Si la première distribution des stocks d’État fut organisée par le circuit de la répartition, qui est habituée à desservir les officines, mais pas de grands volumes de masques, la deuxième fut effectuée par la société de transport Geodis, plus habituée des grands volumes, moins des officines. La troisième est de nouveau assurée par la répartition pharmaceutique.

« C’est un sujet compliqué à gérer, qui nous rajoute une activité. Il faut répondre à la cellule de crise du ministère, et lui proposer les meilleures solutions possible, sachant que le stock est limité et qu’il faut optimiser la distribution pour qu’elle soit la plus pertinente, et cela, en plus de l’approvisionnement habituel des officines », explique Emmanuel Déchin, qui passe beaucoup de temps à coordonner les distributions. Des entreprises mettent aussi à disposition leurs stocks, parfois faibles, pour les professionnels de santé, et il faut bien les transporter. •