Grossesse & antalgiques

Lombalgie, douleurs dentaires, contractions utérines… soulager les douleurs pendant la grossesse est une priorité. Quels sont les antalgiques les mieux évalués ? Lesquels sont contre-indiqués ?

1 • Le paracétamol est-il bien évalué pendant la grossesse ?

« Le paracétamol est l’antalgique de premier choix pendant la grossesse », précise d’emblée le Dr Justine Benevent, pharmacologue au centre de coordination nationale « médicament et grossesse », au CHU de Toulouse, lors des 13es Rencontres de l’Officine. Peu de choses sont encore connues sur les mécanismes d’action du paracétamol. « Des pistes suggèrent qu’il agirait peut-être au niveau des COX cérébraux et sur la douleur médullaire, mais ce n’est pas complètement élucidé », indique-t-elle. Une chose est sûre : de nombreuses études sont rassurantes sur ses effets et les issues de grossesse. Parce qu’il s’agit du médicament le plus étudié et utilisé au monde, certains travaux ont tout de même rapporté des risques de cryptorchidie, de fermeture du canal artériel, voire d’asthme et de troubles neurodéveloppementaux à la suite de prises de paracétamol pendant la grossesse. Toujours est-il « qu’il existe un nombre suffisamment rassurant d’études pour dire que le paracétamol peut être utilisé pendant la grossesse, si la balance bénéfice/risque est favorable », détaille la pharmacologue, qui précise que cette molécule n’est pas à banaliser, comme tout médicament pendant la grossesse.

2 • Quels sont les risques des AINS en début de grossesse ?

Les AINS sont des inhibiteurs des COX 1 et 2, qui catabolisent la réaction transformant l’acide arachidonique en thromboxane d’une part et en prostaglandine d’autre part. L’action de l’acide arachidonique est ubiquitaire. Jusqu’au 5e mois de grossesse, les AINS, à l’instar de l’ibuprofène, ne sont pas contre-indiqués mais seulement déconseillés. « D’un point de vue réglementaire, ils peuvent donc être pris en deuxième intention, précise le Dr Benevent, qui pondère : Certaines études suggèrent une augmentation du risque de fausse couche, en cas de prise en début de grossesse, une augmentation du risque de malformation cardiaque ou de gastroschisis. Mais ces études ont des méthodologies peu robustes, ou bien les résultats ne sont pas tous confirmés. » Ces risques augmentent avec la dose et la durée de prise. Ainsi, en début de grossesse, les AINS doivent être pris à dose minimale efficace, sur la durée la plus courte possible.

3 • Pourquoi la prise d’AINS en fin de grossesse est-elle une urgence vitale ?

À partir du 6e mois, les AINS sont formellement contre-indiqués, car ils vont inhiber la synthèse des prostaglandines, nécessaires pour maintenir ouvert le canal artériel permettant la circulation foetale. Les AINS peuvent donc entraîner une fermeture prématurée du canal artériel. « C’est extrêmement grave. D’autant plus grave que le terme est proche, car l’ouverture du canal artériel dépend de plus en plus des prostaglandines », insiste Justine Benevent. Conséquence : une insuffisance cardiaque droite foetale, une hypertension artérielle pulmonaire, voire une mort foetale in utero. La fonction rénale est également touchée, avec une vasoconstriction de l’artère afférente rénale et un oligoamnios. « La prise d’AINS après le 6e mois est une urgence vitale pour le bébé, la femme doit se présenter le plus rapidement possible à la maternité », souligne la pharmacologue. Une échographie cardiaque sera alors réalisée pour surveiller la fermeture ou non du canal artériel, et, si besoin, extraire le bébé par césarienne. « Cela arrive même avec une prise unique, vous devez absolument conseiller à la patiente d’aller aux urgences. »

“ La prise d’AINS après le 6e mois est une urgence vitale pour le bébé, la femme doit se présenter le plus rapidement possible à la maternité. ”

4 • L’aspirine est-elle compatible avec la grossesse ?

« Chez l’animal, l’aspirine est un grand tératogène. Si elle avait dû être développée maintenant, elle n’obtiendrait pas l’AMM à cause de ses résultats sur l’animal », commente Justine Benevent. Pourtant, chez l’Homme, de nombreuses études sont rassurantes quant à son utilisation pendant la grossesse. « Quelques malformations sont tout de même rapportées, de type fente labio-palatine et gastroschisis. » Tout est une question de dose : à forte dose, supérieure à 100 mg/jour, et en fin de grossesse, l’aspirine va inhiber les prostaglandines et entraîner une fermeture du canal artériel. À forte dose toujours, en fin de grossesse, elle inhibera les contractions utérines et ralentira le travail. Dans tous les cas, l’aspirine pourra entraîner des troubles de l’hémostase chez la mère et l’enfant. « À faible dose, l’aspirine agit uniquement comme antiagrégant plaquettaire. Elle est d’ailleurs utilisée pour prévenir la pré-éclampsie. » En conclusion, l’aspirine ne doit pas être prise à dose antalgique à partir du 6e mois de grossesse.

5 • Le Spasfon peut-il être pris à tout moment de la grossesse ?

Le phloroglucinol est une spécialité typiquement française, car son utilisation dans le monde se cantonne, presque exclusivement, à l’Hexagone. Les données recueillies sur son utilisation pendant la grossesse ne sont faites qu’en post-AMM, les essais cliniques ne pouvant être réalisés sur les femmes enceintes. La base de données Efemeris, mise en place pour suivre l’exposition aux médicaments pendant la grossesse en Haute-Garonne depuis 2004, a suivi plus de 5 000 femmes prenant du Spasfon pendant leur grossesse contre 30 000 n’en prenant pas, « et aucune augmentation de risque de malformation congénitale n’a été observée. Donc, oui, le phloroglucinol peut être utilisé pendant la grossesse, en évaluant toujours la balance bénéfice/risque », conclut Justine Benevent.

6 • Quels sont les risques de la pseudoéphédrine ?

« La prise de vasoconstricteurs, présents notamment dans les médicaments contre le rhume, est dangereuse pendant toute la grossesse », insiste le Dr Benevent. En effet, la pseudoéphédrine peut induire une vasoconstriction des artères du placenta et une hypoperfusion placentaire. Prise sur des durées prolongées, elle diminue le débit sanguin, ce qui peut entraîner un retard de croissance intra-utérin, car le foetus ne sera pas assez alimenté en nutriments. Une vasoconstriction trop forte peut aller jusqu’à induire une mort foetale. « Avec les gammes ombrelles contre le rhume, il est difficile d’identifier pour le patient et même pour le pharmacien où est le vasoconstricteur », analyse Justine Benevent. Réglementairement, les spécialités à base de pseudoéphédrine ne sont contre-indiquées que pendant l’allaitement et nécessitent seulement un « avis médical » pendant la grossesse. « Elle ne doit jamais être conseillée à une femme enceinte dans le cadre d’un conseil à l’officine », insiste la pharmacologue. Par voie nasale (Derinox, Déturgylone…), il existe également un passage systémique.

7 • Existe-il un risque de syndrome de sevrage pour un nouveau-né exposé à des opiacés ?

En période périnatale, le bébé à naître aura l’organisme imprégné du médicament pris par la mère. En cas de prise d’opiacés, forts ou faibles, un syndrome de sevrage peut donc apparaître chez le nouveau-né, une fois qu’il aura éliminé l’opiacé reçu in utero. Un sevrage d’autant plus compliqué pour les prématurés, qui ne possèdent pas de cytochromes assez matures. « La prise d’opiacés n’est pas contre-indiquée pendant la grossesse, car le syndrome de sevrage peut être pris en charge en néonatalogie, explique Justine Benevent, qui précise : Le score de Finnegan permet d’évaluer le syndrome de sevrage chez le nouveau-né. Si besoin, de très petites doses de morphine pourront être données par voie orale pour y palier. » Que ce soit la codéine, l’oxycodone ou le tramadol, il n’y a pas de contre-indication à prendre des opiacés pendant la grossesse, si la balance bénéfice/ risque le permet. « Si l’on doit traiter la douleur, on la traite », résume-t-elle.

8 • Pourquoi la codéine est‑elle contre-indiquée pendant l’allaitement ?

Pendant l’allaitement, la prise de codéine est formellement contre-indiquée. En effet, de par son métabolisme, environ 5 % de la codéine sont transformés en morphine par le cytochrome 2D6, morphine qui passera ensuite dans le lait et l’organisme du bébé. « Certains patients sont des métaboliseurs ultra-rapides et vont donc former plus de codéine. C’est une particularité génétique, l’enfant peut donc, lui aussi, être métaboliseur ultra- rapide », fait remarquer Justine Bevenent. La morphine et la codéine vont donc passer dans le lait, et, à des doses élevées, entraîner une toxicité morphinique potentielle fatale chez le bébé, voire un arrêt respiratoire ou la mort. « En raison de l’immaturité de son métabolisme hépatique, le nouveau-né allaité risque d’accumuler la morphine », précise le Centre de référence sur les agents tératogènes (CRAT). Si la codéine est donc contre-indiquée pendant l’allaitement, ce n’est pas le cas de la morphine. Mais sa prise pendant l’allaitement doit être surveillée de près.

9 • Les données sur l’utilisation de la codéine pendant la grossesse sont-elles rassurantes ?

Le développement embryonnaire est divisé en plusieurs périodes, qui conditionneront les effets de la prise médicamenteuse. D’abord, la période du « tout ou rien », entre le 1er et le 12e jour de grossesse, où la prise de médicament entraîne soit une poursuite normale de la grossesse, soit un arrêt de celle-ci. Le temps de demi-vie du médicament doit être pris en compte. Vient ensuite la période embryonnaire, de J12 à J60, d’organogenèse. C’est à cette période qu’interviennent les risques de malformation et qu’agiront les médicaments tératogènes, comme l’isotrétinoïne. Puis la période foetale, où les médicaments foetotoxiques, comme les AINS, provoqueront des troubles fonctionnels. Pendant l’embryogenèse, les données concernant la codéine sont rassurantes, « même si quelques études pointent des risques de malformations de l’appareil respiratoire, quelques fentes labio-palatine, mais elles ont des méthodologies discutables, relate Justine Benevent qui résume : L’utilisation de la codéine est possible pendant toute la grossesse, cependant toujours en fonction de la balance bénéfice/risque. »

10 • Face à une femme enceinte qui souffre, que retenir au comptoir ?

Pour soulager la douleur de la femme, quelques bons réflexes sont de mise au comptoir. « Le premier est de mettre en garde contre l’utilisation des AINS après 5 mois de grossesse. Votre patiente ne viendra pas l’acheter, elle utilisera l’ibuprofène qu’elle a en stock chez elle, et donc il faut l’informer en amont. Les pharmaciens ont un rôle extrêmement important », souligne Justine Benevent. Deuxième suggestion : ne conseillez un médicament que s’il est nécessaire, bien évalué et en tenant compte de la période de la grossesse. « Privilégiez toujours les spécialités avec un seul principe actif », ajoute-t-elle. Enfin, partez toujours du principe qu’une femme en âge de procréer est potentiellement enceinte. La vigilance est donc de mise lors de la délivrance d’antalgiques. •


  • Privilégiez toujours les spécialités avec un seul principe actif.
  • L’aspirine ne doit pas être prise à dose antalgique à partir du 6e mois de grossesse.