Cytotec : détournement organisé

Indiqué pour traiter les ulcères gastriques, le Cytotec est aujourd’hui largement détourné pour ses effets abortifs. Un mésusage à grande échelle, qui laisse souvent les patientes désemparées.

De l’ulcère…

En 1986, le Cytotec obtient son AMM pour traiter les ulcères gastriques et duodénaux. Le misoprostol prévient et traite également les gastrites induites par la prise d’AINS. C’est la seule et unique indication, comme le rappelle l’HAS en 2015.

… à l’IVG

Sauf que, désormais, le Cytotec est bien plus connu pour ses effets indésirables qu’antiulcéreux. Il est prescrit pour déclencher des interruptions volontaires ou médicales de grossesse, pour évacuer après une fausse couche spontanée, voire pour préparer à la pose d’un stérilet ou déclencher un accouchement. Pourtant, la grossesse est une contre-indication totale à la prise de Cytotec et 18 décès ont été rapportés.

Refuser ou délivrer ?

Du côté du pharmacien, la situation n’est pas plus facile. En théorie, il lui est interdit de délivrer du Cytotec hors AMM, car une alternative existe. Il se place donc devant une responsabilité qui ne devrait pas être la sienne. Sauf qu’il se retrouve également en face de patientes en détresse. Entre appeler le prescripteur pour revoir l’ordonnance, informer la patiente ou refuser la délivrance directe, la marge de manœuvre reste mince.

Mésusage à large échelle

L’utilisation détournée du Cytotec est devenue la norme : dans 86% des cas, il est prescrit hors AMM, dont 40% pour une IMG, selon l’HAS. L’indication première est presque devenue anecdotique. En 2013, seuls 6% des prescriptions de Cytotec avaient une visée antiulcéreuse.

Pourquoi pas le Gymiso ?

Le misoprostol existe en gynéco : c’est le Gymiso, délivré lors d’une IVG. Si le Cytotec est aujourd’hui utilisé dans les indications du Gymiso, pourquoi ne pas directement prescrire le second ? Simplement parce que le Gymiso n’est pas délivrable directement à la patiente, mais doit passer par une commande à usage professionnel. Plus simple donc de prescrire du Cytotec. D’autant plus qu’il est moins cher. Normal : parce qu’il n’a pas d’AMM en gynéco, aucune étude n’a été faite sur la femme enceinte. Des essais cliniques très coûteux.

29 avortements pour le marché noir

Seuls deux comprimés de Cytotec suffisent pour déclencher un avortement, soit 400 microgrammes. Avec sa boîte de 60, la patiente se retrouve donc avec 58 comprimés en plus. Soit la dose nécessaire pour 29 avortements. Pas étonnant donc que le Cytotec se retrouve dans la liste des médicaments les plus échangés au marché noir. Dans de nombreux cas, les boîtes sont expédiées vers des pays, où l’avortement est illégal. Une solution plus sûre, pour ces femmes, que les aiguilles à tricoter. .

Jugement moral et errance

Les témoignages de femmes à qui l’on a prescrit du Cytotec abondent sur le Web, laissées souvent seules face à leur prescription dans une situation de vulnérabilité. Parfois, le praticien leur demande de prétendre qu’elles ont un ulcère. D’autre fois encore, le Cytotec est donné directement en cabinet, mais avec la notice du Gymiso. Enfin, la patiente doit faire face au pharmacien, qui peut être anti-IVG ou moralisateur. Un autre interlocuteur dont elle se serait bien passée.