Il était une fois… Giropharm et PHR !

Ils font partie de l’anthologie des groupements. Giropharm et PHR sont deux pionniers des groupements de la pharma. Leurs dirigeants viennent de lâcher les rênes après une ou plusieurs décennies de bons et loyaux services. Retour sur des parcours atypiques.

Par Raphaëlle Bartet  

Une aventure humaine

Élu et réélu à la présidence de Giropharm, Franck Vanneste reste un pharmacien dans l’âme, dont la décennie à la tête d’un groupement fort de 540 officines lui a procuré « un bonheur humain immense ». Ses 600 adhérents, l’homme les connaît tous ou presque, grâce aux Tours de France qu’il a pris l’habitude d’effectuer. Le principe : « Faire 4 villes en 48 heures avec des réunions le midi et le soir ». Tel un homme politique en campagne, Franck Vanneste se souvient notamment d’un vol Strasbourg-Nantes qui n’a jamais eu lieu, le contraignant à trouver un avion pour Lyon, puis arriver à Bordeaux avant de rejoindre Poitiers. C’est aussi le récit de cette réunion censée se tenir pendant les éliminatoires d’une coupe du monde de foot et « commencée après le match qu’[on] a regardé tous ensemble ». Humain trop humain, l’ancien président de Giropharm raconte avoir vécu « une sacrée aventure » autour d’une équipe très soudée. « J’ai eu la chance de rencontrer des pharmaciens qui attendaient beaucoup de nous, me faisant souvent dire que Giropharm était une fée, tout en entretenant une relation privilégiée avec les salariés et les collaborateurs », relate celui qui était présent au moins 2 jours par semaine au siège. Le décès de son directeur administratif et financier et bras droit à l’âge de 42 ans a été « l’une des plus grosses peines que [j’ai] eue à vivre durant ma présidence ».

Je pense que les jeunes ont compris que la pharmacie est aussi une entreprise et le côté managérial leur plaît.

Les rencontres, ce sont aussi celles de « la grand-messe du groupement », le congrès annuel. « Elles m’ont permis de découvrir des personnalités que je n’aurais jamais croisées autrement, telles Adriana Karembeu, Thierry Lhermitte, Michel Cymes, Luc Ferry… ». La vie du groupement, comme pour toute entreprise pharmaceutique, a favorisé les entrevues, avec les laboratoires partenaires notamment. « Ils ont beaucoup compté pour moi car ils m’ont permis de voir les choses de l’autre côté de la barrière ». Une casquette qui a permis à l’ex-président de « jouer les choses gagnant-gagnant ».  

 

Virage du métier 

Franck Vanneste se souvient l’avoir dit à plusieurs reprises et bien avant 2020 : bientôt il y aurait un virage dans le métier. Il l’a répété depuis la prise de son mandat. La loi HPST « qui a mis le pharmacien davantage en avant, faisant de lui un membre à part entière de l’équipe de soins du patient » lui a donné raison. La crise du Covid-19, pendant laquelle sa mission de président s’est achevée, ne fait que confirmer ce tournant. « Ma dernière année a été une révolution. Il a fallu se battre. En mars 2020, nous luttions pour avoir des masques, du gel hydroalcoolique, des tests… puis l’organisation dans les pharmacies ! Il fallait les protéger avec les mesures barrières. C’est l’année la plus dure que j’ai vécue, mais que le métier est beau ! » Heureux de voir évoluer le rôle du pharmacien d’officine, le titulaire ne se lasse pas d’accueillir les jeunes « venir vers [nous] et faire le choix de l’officine, quel bonheur de voir que demain il y aura une relève ! ». Il nous confie qu’on le lui a toujours affirmé : pour être pharmacien, il faut aussi être un chef d’entreprise. « Je pense que les jeunes le sont beaucoup plus que nous ne l’étions. Ils ont compris que la pharmacie est aussi une entreprise et le côté managérial leur plaît. » S’il fait partie d’une génération qui mesurait moins cet aspect des choses, Franck Vanneste constate que le pharmacien est aujourd’hui coiffé d’une double casquette de soignant et de dirigeant.

 

Travail d’équipe 

Il voit Giropharm comme un groupement phare qui a toujours été « axé santé ». « Nous avons été les seuls à avoir créé un département santé, qualité formation. Depuis, un pôle entier est dédié à cette thématique. Et quand on voit à quel point le métier est en train d’évoluer vers une mission de soignant, nous avons toutes les armes en main par rapport à d’autres. » Si la concurrence est plus rude aujourd’hui, l’ex-patron pense que son groupement a toujours eu une longueur d’avance et le croit promis à un très bel avenir. « Si je n’avais pas lâché mon officine, j’aurais beaucoup aimé rester président chez Giropharm pendant encore quelques années. »

Un travail d’équipe, et pas d’un seul homme ! « N’importe quel dirigeant, seul, n’est pas grand- chose », rappelle Franck Vanneste. « C’est tous ensemble qu’on a mis Giropharm sur les rails de l’avenir. »


Oser et combattre !

Après 30 ans passés à la tête de Pharmacie Référence Groupe, qu’il a fondé, Lucien Bennatan est fier d’avoir osé et mis en œuvre son « combat pour la renaissance du pharmacien comme acteur de santé ». Le président de PHR se souvient des débuts, « quand on [nous] traitait, à l’époque, d’épicier et de commerçant ». Sa lutte fut de démontrer qu’un pharmacien est avant tout un professionnel de la santé. 

Dès 1996, le docteur en pharmacie fait du droit de substitution son cheval de bataille. « Le pharmacien était alors un exécutant de l’ordonnance, quand le médecin diagnostiquait, prescrivait et choisissait les marques. J’ai poussé nos adhérents à substituer alors que nous n’avions pas le droit de le faire et j’ai pris le risque de déclencher les foudres des conseils de l’Ordre, de l’Agence du médicament, voire de la justice. » Quelques mois après, la loi Kouchner est publiée et avec elle, les premiers procès qui devaient condamner le groupement tombent à l’eau. Une première victoire pour celui qui a fait sien ce slogan : « Reprendre la main sur le stylo du médecin ». 

 

Seuls dans le désert

Lucien Bennatan a également été l’un des premiers porte-paroles de la transformation du métier de pharmacien. Il n’a pas eu peur de dire, il y a une décennie, qu’il était urgent que le pharmacien soit considéré comme un acteur de santé libéral. « Quand nous réclamions le développement des honoraires et l’évolution du rôle du pharmacien comme celui d’un acteur de premier recours proposant des services rémunérés, nous prêchions dans le désert. » Sa satisfaction n’en est que plus grande de voir que la crise sanitaire a catalysé ses nouvelles missions. « Nous sommes sur la bonne voie ! » 

Cet ardent défenseur du libre accès était également, il y a quelques années, seul contre tous, « accusé de faire le lit de la grande distribution. Au contraire, cela a renforcé l’obligation pour le pharmacien d’être un acteur de premier recours ». Lucien Bennatan se souvient encore du jour où Roselyne Bachelot a annoncé la sortie du décret du libre accès en pharmacie depuis une officine PHR en ouverture du journal télévisé de France 2. Un grand moment pour celui qui se faisait bousculer par un représentant syndical sur ce même sujet en plein congrès et « subissait les foudres de la profession quelques mois auparavant ».

Sa fierté, c’est celle d’avoir vu ce pharmacien passer « d’un commerçant qui n’avait qu’un intérêt – vendre le maximum de boîtes et de vignettes – à un pharmacien qui, certes, a une activité commerciale, mais dont la mission de service prend le pas sur l’ensemble ». Il faut aujourd’hui compter sur le pharmacien, le maillage des officines et un certain changement de paradigme. 

 

L’innovation et le lien comme ADN 

Son autre satisfaction est d’avoir réussi à créer un groupement « basé sur des valeurs différentes et pas centrées uniquement sur l’aspect commercial ». Lorsqu’il promeut, dès 1999, son concept d’enseigne de pharmacie, il est encore loin de se douter que 20 ans plus tard, plus de 90 % des officinaux seront regroupés. « Nous avons réussi à embarquer avec nous des pharmaciens pour construire un réseau d’indépendants avec une discipline, mais beaucoup de convivialité. » En prenant la direction de Pharmacie Référence Groupe, son président dit avoir découvert 1 350 amis. « C’est marquant dans une vie, d’autant qu’une majorité d’entre eux ne manquaient jamais le congrès. Ce groupement, c’était le leur. » Il garde de ces années le souvenir des voyages réalisés avec les pharmaciens pour découvrir les enseignes à l’étranger, ou « la rencontre avec un manadier des Saintes-Maries-de-la-Mer qui [nous] a fait découvrir une chanson adoptée par l’ensemble des adhérents » ou encore cette rencontre avec André Comte-Sponville « évoquant le fait que la santé c’est aussi l’amour ». Il se souviendra toujours de la première campagne d’affichage du groupement sur 90 000 panneaux à travers toute la France durant plus d’un mois et demi « alors que le droit de communication n’existe toujours pas ».     

J’ai poussé nos adhérents à substituer alors que nous n’avions pas le droit de le faire et j’ai pris le risque de déclencher les foudres des conseils de l’Ordre, de l’Agence du médicament, voire de la justice. ”

L’œuvre de Lucien Bennatan, c’est aussi et surtout d’avoir réussi « dans un monde industriel, d’indépendants, de personnes qui, en général dans le cadre d’un exercice libéral, se retrouvent isolées. C’est d’avoir mis beaucoup d’amitié et su créer cet ADN qui [nous] a permis d’innover et d’anticiper. » Son histoire se mêle à celle du groupement : « avoir réussi à mettre en adéquation son rêve avec la réalité et en face des mots, du concret ». 

La prochaine étape ? « Que le pharmacien puisse prescrire parmi une liste de médicaments et ne soit plus sous la tutelle permanente du médecin, grâce à son meilleur allié : le patient. »