« La politique est un engagement, pas un métier, mon métier c’est pharmacien »

Agnès Firmin Le Bodo est une pharmacienne, engagée de longue date dans la politique, et députée de la 7e circonscription de la Seine-Maritime depuis 2017. Membre de la formation AGIR, elle fait partie de la majorité dans l’hémicycle, et préside la commission de la bioéthique.

Agnès Firmin Le Bodo. DR

 

La Revue Pharma : Dans cette législature très tournée vers la santé, pensez-vous que les pouvoirs publics se soient servis au mieux des pharmaciens ?

Agnès Firmin Le Bodo : Cela faisait très longtemps que nous n’avions pas eu une législature où le métier de pharmacien était autant cité. Pendant la crise et déjà avant ! Agnès Buzyn avait pris conscience que ce métier devait s’inscrire dans le parcours de santé. Que les liens entre les différents professionnels de santé devaient absolument passer par le pharmacien. Et puis la crise est arrivée, et notre profession a été très sollicitée. Elle a su répondre présente. Il faut en profiter pour accélérer la mise en avant de notre métier, comme un métier de vrais professionnels de santé que nous sommes !

 

Un sondage de la FSPF auprès des pharmaciens a souligné leur désir de participer plus à la santé publique… Pensez-vous que cela passera par la vaccination, le dépistage et autres ?

N’oublions pas pourquoi nous sommes pharmaciens : pour le médicament et pour la relation aux gens. Notre rôle de santé publique vient de là : faire du conseil, connaître les personnes qui viennent chez nous depuis des années…
Sur la vaccination en officine, je serais plus mesurée que certains de mes confrères. Elle est nécessaire en période de crise, pour le Covid ou la grippe. Mais devons-nous aller plus loin ? Il faut être prudent face à un risque de glissement de tâches.
Notre rôle de santé publique, c’est aussi celui de « préventeur », néologisme que j’apprécie peu, mais qui parle de lui-même. Notre rôle n’est-il pas plus de guider vers la vaccination que de la faire ?

 

« N’oublions pas pourquoi nous sommes pharmaciens : pour le médicament et pour la relation aux gens. »

 

Est-ce que le rôle de santé publique nouvellement acquis ne s’est pas fait par nécessité, face au manque de médecins en France ?

Justement, je me méfie des tâches supplémentaires qui incomberaient au pharmacien pour faire face aux déserts médicaux. Il faut penser que toutes les officines ne sont pas structurées de la même manière. Notre rôle premier, c’est la délivrance d’ordonnances, et il faut prendre le temps de bien le faire. Plus il y aura de tâches confiées aux petites officines, moins elles seront capables de s’en acquitter. Il faut savoir raison garder. Il faut faire attention au maillage territorial d’officines de tailles différentes.

 

La pharmacie est très ancrée dans les territoires, le législateur peut-il protéger ce maillage ?

Non seulement il le peut, mais il le doit ! Nous avons été quelques-uns à mener la bataille pour les grossistes répartiteurs : s’ils allaient mal, les premiers à ne pas être livrés seraient les pharmacies rurales, c’est donc un grave danger pour le maillage territorial. Il faut défendre et revendiquer ce qui fait notre force. Nous étions les derniers essentiels ouverts, 6 jours sur 7 et 10 heures par jour. Nous avons mis au service du citoyen nos capacités, en distribuant des masques, en vaccinant, puis en distribuant des autotests. Il faut préserver ce maillage en protégeant ces officines, et ne pas nous mettre la tête sous l’eau collectivement.

 

D’un point de vue du droit, quelles règles le législateur pourrait-il écrire pour les protéger ?

Je ne pense pas que nous puissions édicter de règles, il y a la loi du marché et cela ne s’écrit pas. Nous ne pouvons pas forcer les gens à aller dans des officines rurales. Je suis libérale. Nous pouvons écrire qu’il faut absolument des officines dans les villes de moins de 3 000 habitants. Mais est-ce que ce serait économiquement viable ?

 

Qu’est-ce qui peut expliquer le retard de l’action publique sur la substitution du biosimilaire ?

J’aimerais avoir la réponse à cette question… D’un point de vue personnel, je me bats depuis deux PLFSS sur les biosimilaires ! J’ai réussi à faire signer un amendement en commission, ce qui est déjà une avancée. Ceux qui ont voté en commission n’ont pas voté en séance… Je suppose que les lobbies y ont joué un rôle. Mais il faut être capable de sauter le pas ! J’imagine qu’au prochain PLFSS, ce sera voté.
Je ne crois pas qu’il y ait un blocage de la part des Français ou des patients. Il vient plutôt de certains laboratoires qui n’ont pas anticipé que leur produit phare allait être concurrencé par un biosimilaire. Je vois pourquoi, mais je ne comprends pas pourquoi le gouvernement bloque ces textes. Ce sont 600 millions d’euros d’économies en années pleines. Nous pourrions arrêter de diminuer les prix des médicaments, qui arrivent à des niveaux tellement bas qu’ils ne sont plus fabriqués chez nous, voire plus fabriqués du tout.

 

Les prix des médicaments vont-ils un jour cesser de diminuer ?

La crise sanitaire a permis une prise de conscience sur notre problème de souveraineté. En 2019, j’avais alerté Agnès Buzyn sur les ruptures de stock. Je lui ai demandé si nous allions vers un problème de souveraineté sanitaire. À force de baisser le prix des médicaments, vous avez des officines qui ferment, des grossistes qui vont très mal, des industriels qui ne produisent plus en France. Toute la chaîne du médicament est touchée ! C’est la loi du marché.

 

« Nous sommes le pays où les médicaments valent le moins cher, nous sommes forcément impactés. Nous ne pouvons faire supporter 50 % des économies de la Sécurité sociale sur 12 % des dépenses. »

 

Pensez-vous que le monopole pharmaceutique ait été protégé durant cette législature ?

Je l’espère ! Mais c’est un sujet qui revient régulièrement. Le président lui-même s’est montré critique. Je pense que nous avons démontré notre importance pendant la crise et nous nous sommes replacés comme de vrais acteurs de santé. Il faut d’ailleurs rendre hommage à Agnès Buzyn pour ce travail qu’elle a démarré. Cela nous préserve pour l’instant.

 

Certains députés se plaignent d’un manque d’équilibre entre l’exécutif et le législatif, le ressentez-vous ?

C’est difficile de l’affirmer lors d’un premier mandat. Nous avions une majorité extrêmement large et il y a eu une recomposition importante et la poutre bouge encore. Chacun doit trouver sa place dans ce mandat particulier, notamment du fait de la crise.
Nous avons un président qui n’avait jamais été élu auparavant, un gouvernement que l’on pourrait qualifier d’union nationale, avec un Premier ministre sans parti politique, une majorité de parlementaires qui n’avaient jamais exercé de mandat, ni même été élus.

 

Est-ce que la réforme constitutionnelle de 2008, en modifiant les calendriers électoraux, n’a pas impacté cet équilibre ?

C’est évident, nous en mesurons toutes les conséquences sur ce mandat.
Les Français ne veulent plus de l’opposition systématique, c’est la leçon de 2017. Les valeurs de gauche et de droite existent toujours, mais cette alternance ne fait qu’espérer que l’autre échoue pour prendre sa place, et ce n’est pas ce qui est attendu. Il faut faire passer l’intérêt général avant l’intérêt partisan, et c’est pour cela que Agir me convient très bien. Je suis une femme de droite modérée, libérale, sociale et humaniste. Mais le sens profond de mon engagement, c’est d’être utile ! C’est ce que les citoyens attendent aujourd’hui, pas d’opposition systématique, mais le choix de ce qui est bon pour le pays. Si le gouvernement de l’ère Macron ne réussit pas, cela ouvrira la voie à Marine Le Pen, et c’est ma responsabilité que ça n’arrive pas !

 

Pour les élections régionales, qui soutiendrez-vous ?

Cela dépend des régions. Certains de nos élus seront sur les listes de Valérie Pécresse en Île-de-France et de Jean Rottner dans le Grand Est, d’autres soutiendront la majorité. Nous sommes dans la recomposition.

 

Et pour les présidentielles ?

Attendons de voir qui est candidat. Actuellement, nous faisons partie de la majorité présidentielle. Et je ne crois pas qu’Emmanuel Macron ait déposé sa candidature. Les Français ne sont pas non plus dans l’ère de la présidentielle. De plus, il y a les élections régionales et les départementales avant, qui sont importantes, car les départements ont un impact sur le quotidien de nos concitoyens, de la petite enfance au grand âge. Et à titre personnel, je serai de nouveau candidate au département de Seine-Maritime.

 

Vous présidez la commission de la bioéthique, que doit retenir le pharmacien de ses travaux ?

L’ouverture de la PMA aux femmes seules ou en couple sera une des avancées. Cela concernera forcément le pharmacien, car il devra délivrer les produits nécessaires et accompagner les femmes seules. Sur ce grand sujet de société, l’Assemblée va voter définitivement le 12 juin.

 

Qu’est-ce que cela fait de représenter la nation derrière le comptoir d’une officine ?

Un grand honneur et une grande responsabilité !
Mes patients savent que je fais de la politique depuis longtemps, ils étaient très fiers quand je suis entrée à l’Assemblée, j’ai reçu beaucoup de fleurs et des cadeaux. Alors que le mandat de député est le plus décrié.

Je reste toujours pharmacienne, la politique est un engagement, pas un métier. Elle a pris le pas sur mon métier, mais j’ai besoin d’un équilibre. Pendant les vacances parlementaires, je retourne travailler à la pharmacie. La vraie vie est là. •