« Reprendre » le marché des dispositifs médicaux grâce au maintien à domicile

« Manque de temps », « trop de concurrence », « pas assez de place », « trop loin de l’hôpital »… Les arguments des pharmaciens sont nombreux pour ne pas s’intéresser aux dispositifs médicaux. Le marché, qui s’élève à plus de 7 milliards d’euros, représente pourtant une manne non négligeable.

Les dispositifs médicaux (DM) les plus vendus en ville sont relatifs à la prise en charge de maladies spécifiques. C’est le cas du diabète, de l’assistance respiratoire, etc. Les dépenses « ville » représentent 7,13 Md€ (soit 78,5 % des dépenses totales). Elles ont augmenté de 3,7 % entre 2017 et 2018 selon les derniers chiffres publiés par le Comité économique des produits de santé (CEPS). Il existe une concurrence entre pharmaciens et prestataires de services.

Pour Jean-Michel Mrozovski, président du Comité pour la valorisation de l’acte officinal (CVAO) : « Le DM représentera demain une part importante du CA. Le pharmacien ne peut donc en aucun cas déserter ce marché. En outre, il est légitime d’autant plus s’il est détenteur d’un diplôme universitaire (DU) d’orthopédie. » Le président du CVAO revient sur le rôle d’accompagnement du pharmacien. Il ajoute : « Le patient attend de lui des conseils et un accompagnement dans la bonne utilisation d’un DM de mesure de la glycémie, par exemple. Son expertise des pansements complexes est souvent nécessaire. Les autotests et appareils d’automesure sont des moyens fiables de dépister et/ ou d’orienter. Le pharmacien a l’opportunité d’intégrer ce genre de DM dans le cadre d’entretien nutritionnel ou d’arrêt du tabac ou de contrôle de l’asthme. »

Tout est une question de choix

« Le panier mensuel du MAD d’une pharmacie urbaine est d’environ 500 euros et de 1 400 euros pour une pharmacie rurale. »

Pour ceux qui hésiteraient encore à se lancer, Lucien Bennatan, président du groupe PHR, conseille de miser sur le maintien à domicile (MAD). En 2050, la France pourrait compter 4 millions de personnes de plus de 60 ans en perte d’autonomie. Selon l’Insee, les seniors en perte de capacités, aujourd’hui près de 2,5 millions, vont augmenter de plus de 60 % par rapport au recensement de 2015.

Le président du groupe PHR aligne des chiffres, plus convaincants les uns que les autres : « Le marché du MAD croît de 6 % depuis 10 ans. Le panier moyen mensuel du MAD d’une officine est compris entre 350 et 5 000 euros. Une des portes d’entrée du MAD est le lit. Le potentiel annuel d’installation de lits est de 5 pour une pharmacie urbaine et de 10 pour une pharmacie rurale. »

Pour Lucien Bennatan, tout est une question de choix : « Faut-il mieux s’intéresser à la parapharmacie ou aux DM du maintien à domicile ? »

Certains, comme Christian Hamard, pharmacien à Alfortville, dans le Val-de-Marne, ont choisi de ne pas développer les DM. Il privilégie le médicament, l’ordonnance, le suivi des traitements, la vaccination et la vidéoconsultation. Il argumente : « Comment voulez-vous délivrer des lentilles avec des enseignes de type Optic 2000 ? Idem pour les pansements anti-ampoules qui sont également vendus chez Decathlon ».

Ré-autonomiser le patient

Philippe Montaner est président fondateur de la société Timkl, une start-up qui veut recréer du lien entre malades chroniques et professionnels de santé « de proximité ». Depuis le mois d’avril 2019, il assure la livraison, la prise en charge, la formation et le suivi de l’installation des pompes à insuline pour les officinaux qui souhaitent prendre en charge les patients diabétiques. Il explique : « Notre but est de décharger les acteurs de santé des astreintes qui reposent sur les DM en leur apportant une plateforme logistique. » En bref, les pharmaciens continuent de se concentrer sur la santé des patients. En outre, son idée est de ne pas complexifier le parcours de soin du patient et faire bénéficier ce dernier d’un suivi régulier motivant son observance. Il explicite : « Nous souhaitons ré-autonomiser le patient, le faire prendre en charge avant qu’il ne décroche de son traitement… Tout cela grâce à la relation de confiance qui existe entre lui et le pharmacien. »

Aujourd’hui Timkl est actif dans 3 régions : Bourgogne-Franche-Comté, Ile-de-France et Pays de la Loire. Depuis 3 mois, une centaine de pharmaciens ont d’ores et déjà été formés. Timkl a le soutien de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine. Gilles Bonnefond, son président, aime dire que le pharmacien préempte à nouveau un espace qui lui échappait.

« Le patient qui utilise un DM est parfois obligé de prendre une demi-journée de RTT pour s’entretenir avec le prestataire de son DM. »

Hausse du chiffre d’affaires

Il ne reste plus qu’à communiquer sur ce nouveau service. Les pharmacies sous enseigne PHR disposent d’un corner « Mon maintien à domicile ». Outre la visibilité une fois franchie la porte de l’officine, le groupement met des kits vitrines à disposition de l’équipe officinale. Elle a également la possibilité de distribuer des catalogues, où figurent les DM, à ses patients. Les pharmacies du groupe ont fait le choix de l’outil numérique et font défiler les DM sur des tablettes tactiles. Se faire connaître des associations de patients est une autre manière de communiquer. « On ne va pas conquérir 100 % du marché, mais le pharmacien peut devenir un référent “par petites touches”. Certes, je l’avoue, c’est un travail de fourmi. Mais le jeu en vaut la chandelle : le chiffre d’affaires du MAD des pharmaciens qui ont fait le choix de l’accompagnement des patients via des DM a crû de 16 %, soit trois fois plus que le marché du MAD », déclare le président du groupe PHR.

Lorsque Lucien Bennatan était installé, il gérait 60 lits. Une personne de son équipe s’occupait de cette activité à temps plein. C’est à un pharmacien qu’il avait confié cette mission. Ce dernier accompagnait les patients de A à Z, y compris (et surtout) lors de la livraison du DM pour expliquer son fonctionnement et répondre aux questions des patients. Aux détracteurs qui lui feraient remarquer qu’employer une personne à temps plein pour s’occuper des DM représente beaucoup de charges, le président du groupe PHR rétorque que « le retour sur investissement était là ! »


Question à Catherine Rumeau‑Pichon, vice‑présidente du CEPS

Qui doit délivrer les dispositifs médicaux aux patients ?

« Il n’y a pas de raison de considérer qu’un pharmacien ou un prestataire de services est plus à même d’apporter ce service aux patients. Tout le secteur du MAD ou des DM en ville ne se prête pas forcément à être distribué par l’un ou l’autre. Prenons l’exemple d’un dispositif qui nécessite une hotline 24/7 dédiée aux patients. Une petite pharmacie n’a pas forcément les moyens de répondre à cette contrainte. En outre, le CEPS n’a pas vocation à choisir entre le pharmacien ou le prestataire de services. Il faut une saine émulation entre les deux, dans l’intérêt du patient. Je pense très sincèrement qu’il y a de la place pour tout le monde. » •