Chloroquine et coronavirus : quelle efficacité réelle ?

Qui aurait pensé que le destin de l’antipaludique chloroquine prendrait un tel tournant ? Même confinés aux quatre coins de la France, nous entendons chaque jour parler de cette molécule. En effet, suite à des communications de scientifiques chinois, l’infectiologue Didier Raoult, directeur de l’institut Méditerranée Infection, a initié, avec accord des autorités sanitaires françaises, des études sur l’efficacité de la chloroquine chez les patients infectés par le coronavirus. Où en sommes-nous ?

Pourquoi la chloroquine ?
Une lettre à l’éditeur chinoise publiée dans Nature Cell Research le 4 février 2020 teste cinq molécules efficaces dans le traitement d’infections proches (virus du SRAS et du MERS). La cytotoxicité des molécules a été testée in vitro sur des cellules rénales humaines qui ont ensuite été infectées par le virus nCoV-2019. L’efficacité antivirale des molécules a alors été évaluée sur les cellules infectées, à différentes concentrations. Un duo gagnant : l’antiviral remdesivir et l’antipaludique chloroquine ont montré leur capacité d’inhibition du coronavirus à faible concentration micromolaire.
La lettre mentionne deux études signalant la chloroquine comme potentiel antiviral à large spectre. Elle bloque l’infection virale en augmentant le pH endosomal requis pour la fusion du virus à la cellule, interférant alors avec la glycosylation des récepteurs cellulaires du virus. Contrairement à la remdesivir, la chloroquine agit au niveau des trois stades d’infection du nCoV-2019. Par ailleurs, l’activité immunomodulatrice de la chloroquine est mise en avant : elle permettrait de renforcer synergiquement son effet antiviral in vivo.

Que penser de ces études préliminaires chinoises ?
L’équipe de chercheurs chinois suggère ainsi une potentielle efficacité de l’antipaludique contre le virus nCoV-2019 et incite la communauté scientifique à poursuivre les études sur des patients infectés. Pourtant, ces premiers résultats restent à prendre avec pincettes : aucune communication faite sur le nombre de patients inclus, les cellules utilisées proviennent de patients seins, pas d’étude d’innocuité de la chloroquine utilisée à des doses antivirales, pas de preuves scientifiques publiées quant à l’activité immunomodulatrice, pas de révision par les pairs des méthodes scientifiques d’ailleurs non spécifiées.

Des études françaises suite aux recommandations chinoises
L’incitation chinoise à la poursuite des recherches sur la chloroquine n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd… L’infectiologue Didier Raoult obtient, début mars, l’accord des autorités sanitaires françaises afin d’engager un essai clinique.
C’est désormais devenu une habitude : il publie le 16 mars une vidéo présentant l’avancée de l’étude. 24 patients ont participé à l’essai clinique non randomisé ouvert, recevant 600mg d’hydroxychloroquine (Plaquenil) par jour. « Après six jours de traitement, plus que 25% des patients étaient porteurs contre 90% des patients n’ayant pas reçu le traitement » déclare le professeur dans la vidéo. Il préconise donc cette posologie durant 10 jours pour une totale élimination du virus.

Quelle suite pour cet antipaludique ?
« Un essai plus vaste par d’autres équipes sera initié dans les plus brefs délais sur un plus grand nombre de patients » affirme Olivier Véran, lors d’une conférence de presse téléphonique. Ces essais ont déjà débuté au CHU de Lille. Un feu vert du gouvernement donc, mais sans précision quant au déroulement des essais à ce jour.
En outre-Atlantique, l’Université d’Oxford vient de publier le protocole d’essai qui débutera courant mai. 10 000 participants seront recrutés et les résultats de l’étude randomisée en double aveugle ne verront le jour, à priori, que dans deux ans.

Une molécule qui ne fait pas l’unanimité
Le conseil scientifique sur le nouveau coronavirus, mis en place par le gouvernement, reste sur ses gardes. Si le Pr Didier Raoult, membre de ce conseil, croit dur comme fer au pouvoir antiviral de la chloroquine contre le coronavirus, les autres experts, eux, modèrent toutes déclarations. Face aux lacunes des études de toxicité et aux nombreuses interactions médicamenteuses connues de la chloroquine, les scientifiques du conseil rappellent qu’il est indispensable de ne pas officialiser de résultats précoces.

Quelles conséquences médiatiques à ce jour ?
Dans un contexte de crise sanitaire sans précédent, la population française est à l’affût de la moindre information. Ainsi, quand pléthore d’articles avancent le potentiel effet thérapeutique de l’antipaludéen face à l’ennemi numéro un du moment, il est facile d’imaginer que les pharmaciens d’officine se retrouvent face à des patients réclamant la molécule. « Coronavirus : les pharmaciens, témoins des inquiétudes des malades comme des bien-portants » titrait le Monde santé, le 17 mars dernier. Il semblerait que ça ne soit que le début.