Isabelle Hilali et Jeanne Bossi Malafosse « Le traitement des données de santé devient une source de création de valeurs considérables »

La nouvelle procédure concernant l’accès aux bases de données médico-administratives et leur traitement dans le cadre des projets de recherche inquiète le HealthCare Data Institute.

Pharma : Vous contestez la complexité de l’article 193 de la loi de modernisation de notre système de santé, qui réforme la mise à disposition des données de santé. Que lui reprochez-vous ? 

Isabelle Hilali : Le développement de la santé mobile et des objets connectés, l’implication croissante des patients et les progrès de l’interopérabilité ouvrent les perspectives d’un système de soins amélioré, au bénéfice des patients. Dans ce contexte, le traitement des données de santé devient une source de création de valeurs considérables, en particulier pour la recherche scientifique. En l’état, et avant la publication de ses décrets d’application, ce texte n’apparait ni opérationnel ni de nature à permettre une plus grande ouverture des données, en introduisant une procédure lourde, particulièrement pour les entreprises du secteur privé.

Jeanne Bossi Malafosse : Ce texte suscite quelques interrogations. En effet, alors que le nouveau Règlement européen rend désormais chaque acteur redevable du respect de la protection des données personnelles (Accountability) et supprime les formalités préalables, le secteur de la santé reste du fait de la sensibilité des données traitées, une responsabilité de chaque Etat membre, qui devra donc trouver l’équilibre entre l’allègement du contrôle a priori et le nécessaire respect de la protection des données.

En quoi ce texte peut-il gêner plus particulièrement les entreprises du secteur privé dans l’accès à ces données ? Quel serait l’impact sur l’économie en France ?

Isabelle Hilali : Les acteurs, qu’ils soient institutionnels ou économiques, ont besoin de stabilité. Difficile de mener un projet industriel ou un grand projet national sereinement dans un contexte juridique, qui évolue à l’envers d’autres textes et surtout contre le mouvement que porte aujourd’hui le numérique. Certaines études sont aujourd’hui d’abord conduites avec des données étrangères, plus faciles d’accès et sans qu’aucune atteinte aux droits et libertés n’ait jamais été constatée. Le risque est également de voir se développer des bases de données parallèles, au risque de dévaloriser les bases de données nationales, qui sont pourtant d’une grande valeur scientifique. C’est une tradition juridique française de vouloir contrôler a priori plutôt qu’a posteriori. Vis-à-vis de ces données, il y a toujours eu une méfiance à l’égard du secteur privé, une méfiance injustifiée quand on sait que la règlementation française est extrêmement protectrice des données personnelles et en particulier des données de santé et de la vie privée des individus. Le risque pour la France se traduirait par une baisse de compétitivité en matière d’analyse des données de santé.

Que préconisez-vous afin d’améliorer ce texte ?

Isabelle Hilali : L’accès aux données de santé devrait être réellement simplifié et les procédures entre acteurs publics et privés mériteraient d’être alignées dès lors que des garanties importantes sont prises. À cet égard, les possibilités de sanctions de la Cnil doivent être plus lourdes et renforcées en cas de manquement.

Jeanne Bossi Malafosse : Il ne faut pas soumettre à des contraintes identiques des données dont le risque de ré-identification peut être variable. À cet égard, il ne faut pas confondre l’intensité du risque (les conséquences de sa survenue) avec la probabilité de la survenue de ce même risque. La Cnil doit poursuivre son effort de simplification dans le domaine de la santé et les nouvelles dispositions de la loi constituent à cet égard, une nouvelle opportunité pour elle.

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