Issam Moussly « La générosité de la profession »

Pharmacien dans la Marne, Issam Moussly apporte médicaments et vivres au peuple syrien, via son ONG urgence solidarité syrie. Car, si les dons diminuent, les besoins augmentent…

Pharma. De quand date la création de l’ONG Urgence solidarité Syrie ?

Issam Moussly. L’association Urgence solidarité Syrie est née des événements de mars 2011. Après la sanglante répres-sion de l’insurrection populaire par le régime de Bachar el-Assad, les besoins en médicaments étaient particulièrement importants. Nous avons fait partir un premier convoi d’aide médicale vers la Syrie pour approvisionner clandestinement les dispensaires et les hôpitaux accueillant les blessés. Au dé-but, il s’agissait d’un carton, d’une valise, d’un sac rempli de compresses et de pansements. Progressivement, les palettes ont remplacé les cartons qui ont elles-mêmes été remplacées par des conteneurs. Au fil des missions, nous avons gagné en professionnalisme, affûté la logistique. Forte de son exper-tise, l’association achemine désormais chaque mois 15 tonnes de médicaments vers la Syrie.

Quels sont les besoins sur place ?

Notre intervention recouvre deux volets : une aide médicale pour les blessés de guerre avec des compresses, des antalgiques/analgésiques, de la morphine, des anti-inflammatoires, mais aussi de l’atropine pour lutter contre les at-taques chimiques et une aide médicale du quo-tidien qui porte sur l’approvisionnement en produits antidiabétiques, médicaments antire-jet, anticancéreux, anxiolytiques, lait infantile, compléments alimentaires pour favoriser l’al-laitement maternel… Il y a un besoin absolu et vital de médicaments.

Au fil des missions, vous avez diversifié votre activité…

Notre spécialité reste le médical, mais Urgence solidarité Syrie ne se borne plus uniquement au réapprovisionnement des stocks médicamenteux. Sur le territoire syrien et dans les camps de réfugiés en Jordanie ou au Liban, l’ONG procède désormais à une distribution de lait infantile et de couvertures. À travers la campagne « Du lait pour les enfants de Syrie », nous espérons sensibiliser les citoyens français aux graves carences alimentaires des enfants syriens. N’oublions pas les mères souvent très jeunes et privées de soutien masculin. Urgence solidarité Syrie a mis sur pied plusieurs projets de réinsertion dans la vie active, qui vont de l’atelier de couture au salon de coiffure en passant par la restauration. Devant la tragédie qui s’opère, il s’avère nécessaire de diversifier nos missions pour parer le plus possible aux besoins des populations.

tir les systèmes d’éducation et de soins (voir encadré). Malgré les bombes, un réseau de soins tente de s’organiser et de venir en aide aux populations. Les infirmiers, les médecins et les pharmaciens syriens font un travail remarquable. Bravant le danger, ils continuent à venir au chevet d’une population martyrisée. J’évoquais tout à l’heure la diversification de nos missions. Urgence solidarité Syrie, en étroite collaboration avec des ONG sur place telles que l’UOSSM France (l’Union des organisations de secours et soins médicaux) ex-AAVS (Association d’aide aux victimes en Syrie), intervient dans la formation des professionnels de santé syriens. Des pharmaciens, médecins, infirmiers volontaires forment les équipes soignantes, font valider des acquis à des étudiants en médecine ou pharmacie qui ont dû interrompre leurs études à cause de la guerre. L’objectif est de maintenir des struc-tures de soins fixes et du personnel soignant en Syrie. Le gros problème concerne le circuit de distribution du médicament, qui est inexistant. Les hôpitaux et dispensaires ne doivent leur survie qu’aux ONG qui les approvisionnent en médicaments.

Quels sont vos liens avec la Syrie ?

J’ai quitté la Syrie en 1974 pour faire mes études de pharmacie en France, à Reims. J’y ai rencontré ma femme, fondé une famille. Je suis titulaire depuis trente ans à Pleurs. Pour moi, la Syrie, c’était de l’histoire ancienne, un vague souvenir, une douce nostalgie. Ma sœur m’avait rejoint en France. Ma vie familiale, ma carrière professionnelle étaient ici, en France. Les années ont passé, mes trois filles ont grandi, se sont montrées de plus en plus curieuses, m’ont harcelé de questions sur mon histoire personnelle, mes racines… Et puis un jour, elles m’ont demandé de les y emmener. Notre premier voyage familial date de 2002 et nous y sommes retournés régulièrement depuis. En mars 2011, j’étais en Syrie avec ma famille. J’ai été témoin du soulèvement populaire, des prémisses de la révolution syrienne. Le peuple demandait des jours meilleurs, de la liberté, du travail, des réformes structurelles … C’était une révolution pacifique qui a été réprimée dans le sang.

Là-bas, mes amis, mes confrères pharmaciens m’ont ouvert les yeux sur la barbarie du régime d’el-Assad. À mon retour en France, j’étais révolté. Je ne pouvais rester les bras croisés derrière le comptoir de ma pharmacie, il me fallait agir.

Ces actions vous permettent-elles de mieux sensibiliser les potentiels donateurs?

Il est sûr que l’on touche davantage le public lorsqu’on évoque la situation sur place des enfants et des nourrissons. Chaque action menée par Urgence solidarité Syrie correspond à un réel besoin sur le terrain. Nos réseaux sur place nous ont alertés sur le fait que les régions de Homs, de Deraa et Kuneitra sont surpeuplées par l’afflux de réfugiés en provenance des zones de guerre. De nombreuses familles avec des enfants en bas âge fuient le conflit. Nous avons ainsi recensé 28 000 enfants de moins de 30 mois qui ont besoin de lait, ce qui représente un coût annuel de 15 millions d’euros. Il y a une réelle urgence à intervenir !

Quel est l’état du système de soins en Syrie ?

Avant toute chose, il faut savoir que le régime de Bachar el-Assad cible principalement les hôpitaux et les écoles. La moitié des hôpitaux syriens ont été détruits. Le régime veut anéantir
les systèmes d’éducation et de soins (voir encadré). Malgré les bombes, un réseau de soins tente de s’organiser et de venir en aide aux populations. Les infirmiers, les médecins et les pharmaciens syriens font un travail remarquable. Bravant le danger, ils continuent à venir au chevet d’une population martyrisée. J’évoquais tout à l’heure la diversification de nos missions. Urgence solidarité Syrie, en étroite collaboration avec des ONG sur place telles que l’UOSSM France (l’Union des organisations de secours et soins médicaux) ex- AAVS (Association d’aide aux victimes en
Syrie), intervient dans la formation des professionnels de santé syriens. Des pharmaciens, médecins, infirmiers volontaires forment les équipes soignantes, font valider des acquis à des étudiants en médecine ou pharmacie qui ont dû interrompre leurs études à cause de la guerre. L’objectif est de maintenir des structures de soins fixes et du personnel soignant en Syrie. Le gros problème concerne le circuit de distribution du médicament, qui est inexistant.
Les hôpitaux et dispensaires ne doivent leur survie qu’aux ONG qui les approvisionnent en médicaments.

D’où viennent vos dons ?

Au démarrage du projet, nous avons pu compter sur la générosité des pharmaciens. J’ai la chance de bénéficier d’un réseau de pharmaciens actifs et solidaires, qui m’a tout de suite soutenu. Beaucoup sont venus spontanément apporter leur aide financière et humaine. De nombreux laboratoires pharmaceutiques ont également répondu à l’appel, notamment l’association Tulipe du Leem – qui fédère les dons des entreprises de santé pour répondre en urgence aux besoins des populations en détresse lors des crises sanitaires aigües, des catastrophes naturelles et des conflits – les laboratoires Thuasne et Menarini. Bien d’autres encore, dans des domaines diversifiés, sont venus contribuer au soutien notamment alimentaire. Nous menons tout au long de l’an-née une multitude d’activités pour récolter des fonds : marché de Noël, kermesse, pièces de théâtre, ateliers cuisine… Enfin, nous établissons des relations avec d’autres organisations humanitaires pour optimiser nos frais logistiques. Ces liens que nous avons noués avec Médecins sans frontières, ou l’UOSSM France nous permettent d’assumer les frais de transport d’une grande partie des convois. Il faut compter 7 000 euros pour un convoi de médicaments. Mais comme pour toutes les causes, la lassitude commence à se sentir chez nos principaux donateurs. J’en appelle donc à la générosité de la profession : la situation sanitaire sur place est catastrophique. Votre aide est précieuse.

Vous avez pourtant un lien familial fort avec la Syrie puisque votre père a été un proche d’Hafez el-Assad, le père de Bachar el-Assad…

Mon père était en effet un des conseillers juridiques d’Hafez el-Assad. Il a en partie rédigé la Constitution de la Syrie, après le coup d’État de 1971. Mon père connaissait bien le régime el-Assad, il savait ce qui se préparait. Il nous a envoyés, mon frère et moi, en Europe pour nous protéger. Sous Hafez el-Assad, la Syrie, c’était pire que la Corée du Nord.