Alain Guilleminot « Les pharmaciens seront prêts pour vacciner »

À quelques jours du congrès national des pharmaciens, le président de l’UTIP appelle à une remobilisation de la profession autour de la question vaccinale, un enjeu de santé publique.

Pharma. Alzheimer, oncologie, DMLA, diabète, asthme… L’UTIP est surtout reconnue pour ses soirées de formation. Quelles sont les autres composantes de son activité ?

Alain Guilleminot. On nous cantonne un peu facilement dans ce rôle d’organisateur de soirées. C’est une composante importante de notre activité, mais ce n’est pas la seule ! L’UTIP [anciennement connue sous le nom d’Union technique interpharmaceutique de formation continue, Ndlr], c’est d’abord une organisation créée en 1952 pour accompagner les pharmaciens dans l’évolution de leur métier. Les soirées de formation et d’information y participent, tout comme le Congrès national des pharmaciens, organisé conjointement avec la FSPF [Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, Ndlr]et l’APR [Association de pharmacie rurale, Ndlr], les journées nationales, les modules e-learning, les réunions et échanges avec d’autres organismes de formation… Avec ses deux organismes de formation (Innovations UTIP et Form’UTIP), ses 200 responsables et ses nombreuses antennes régionales, l’UTIP Association est l’une des rares structures de formation en France capables de diffuser à l’ensemble des officinaux (titulaires mais également adjoints et préparateurs) des messages scientifiques sans connotation commerciale. J’insiste particulièrement sur l’indépendance de l’UTIP. Nous n’avons jamais fait et ne ferons jamais la publicité d’un produit pharmaceutique spécifique. S’il est vrai que nous travaillons avec les laboratoires pharmaceutiques pour l’organisation de certaines soirées, c’est toujours en étroite collaboration, jamais sous leur influence.

Vous évoquez l’évolution du métier de pharmacien d’officine. Une étape a-t-elle été franchie avec la loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (HPST) puis la convention pharmaceutique ?

On a parlé de révolution. Le terme n’est pas galvaudé. C’est un changement radical avec la pharmacie des trente dernières années. Je suis heureux d’avoir assisté à cette évolution. L’UTIP Association a ainsi profondément diversifié les thèmes proposés en soirées pour répondre aux nouvelles attentes des pharmaciens. Le pharmacien d’officine n’est plus uniquement un dispensateur de médicaments. C’est un professionnel de santé reconnu qui propose désormais une palette de services adaptés aux pathologies de ses patients.

Lors du prochain Congrès national des pharmaciens, l’UTIP proposera une session de formation DPC sur la vaccination. Pourtant, dans nos colonnes le mois dernier, Sandrine Hurel, députée et auteure du rapport sur la politique vaccinale en France, affirmait : « La vaccination en officine n’est pas encore mûre pour la France… »

Une chose est sûre, on ne va pas attendre l’autorisation du législateur pour se former et être en capacité d’assumer cette nouvelle responsabilité. On parle de recul de la vaccination en France et d’une méfiance grandissante des patients et on refuse d’intégrer le pharmacien à ce dispositif. Ce n’est pas sérieux ! Je garde en tête l’exemple des pharmaciens suisses. Des centaines d’entre eux dans le canton de Zurich se sont formés à la vaccination. Ils se sont organisés entre eux sans rien demander à personne. Et l’été dernier, le gouvernement de Zurich les a autorisés, par décret, à vacciner des adultes en bonne santé, sans prescription médicale. C’est une décision capitale. Et qu’on ne me parle pas d’une quelconque opposition du corps médical ! La Fédération des médecins suisses s’est déclarée favorable à ce dispositif. Et je rappelle que le renouvellement du vaccin antigrippe se fait en dehors du médecin. C’est l’infirmière qui vaccine. La Suisse comme le Portugal, le Canada, le Royaume-Uni ou les États-Unis autorisent leurs pharmaciens à vacciner. Dans chaque pays, on a noté une amélioration notable de la couverture vaccinale.
Je ne vois pas pourquoi les pouvoirs publics s’interdiraient de donner aux pharmaciens la possibilité de vacciner, quand le gain de couverture vaccinale est de 30 %. Au même titre que le dépistage des maladies chroniques au travers des Trod. Le pharmacien, en tant que professionnel de santé de proximité, est tout à fait capable de remplir cette mission qui contribue à améliorer la santé des patients. Cela n’engage que moi, mais les réticences des politiques à voir le pharmacien vacciner ne sont que temporaires. La vaccination à l’officine aura bien lieu.

Pourtant, tous les pharmaciens ne sont pas favorables à cette mesure. Et les syndicats ne débordent pas d’enthousiasme…

À l’inverse des structures syndicales qui sont parfois bloquées dans un jeu politique, dans d’âpres négociations avec l’Assurance maladie, l’UTIP Association garde son libre arbitre. Elle ne s’interdit rien. L’association est proactive. Elle défriche, prospecte, innove sans attendre le tampon officiel du législateur. L’UTIP doit être l’aiguillon de la profession ! Nous entendons prouver aux pouvoirs publics par nos actions que le pharmacien se forme en continu et qu’il est compétent pour remplir des nouvelles missions de santé publique. Charge ensuite aux pouvoirs publics de trouver un modèle économique pour rémunérer ces nouvelles compétences. Mais c’est un autre débat qui concerne les organisations professionnelles.
J’ajouterais qu’au-delà de l’évolution du mode de rémunération et de la mise en œuvre d’honoraires, les pouvoirs publics et, surtout, les patients exigeront de plus en plus de leur pharmacien une mise à jour régulière de ses compétences. Car l’honoraire va notamment récompenser une expertise. Or, il faut que cette expertise soit entretenue, que nos connaissances soient constamment mises à jour…
Aider le pharmacien à acquérir ces savoirs, à perfectionner son conseil, ses services, c’est le cœur de notre mission.

Quel sera le contenu de cette session spéciale vaccination ?

Un des premiers enjeux sera de convaincre les professionnels de santé des bienfaits de la vaccination.
Beaucoup ne se vaccinent pas. Avouez que c’est un comble ! Il s’agira également de dresser un bilan des expériences étrangères. Enfin, on va essayer d’aller jusqu’à la pratique vaccinale avec des médecins formateurs qui seront présents pour expliquer le geste. D’ailleurs, des séances d’information seront déployées dans toute la France à l’issue du congrès. Des modules de e-learning sont également à l’étude sur cette problématique. Notre objectif est clair : que le pharmacien soit en capacité entière d’assurer cette vaccination en toute sécurité.

Les nombreux retards de paiement des entretiens AVK, le lancement chaotique des entretiens asthmatiques… Ces dysfonctionnements n’ont-ils pas freiné l’enthousiasme de la profession pour ces nouveaux services ?

L’élan s’est stoppé. C’est un fait indéniable. On constate, lors de nos réunions, une appétence moins grande pour le suivi et l’accompagnement des patients asthmatiques. S’il est vrai que les retards de paiement des entretiens AVK ont contrarié les pharmaciens impliqués et sans doute causé une méfiance, je ne pense pas que ce soit la seule cause.
En ce qui concerne les entretiens asthmatiques, la détection complexe des patients éligibles à ces entretiens a profondément retardé leur mise en place. Il n’en reste pas moins qu’il faut redynamiser nos troupes sur les entretiens pharmaceutiques. C’est un aspect incontournable de l’avenir de la profession. Il faut continuer dans cette voie.

Et pourtant, de nombreuses expérimentations (Trod, BPCO, diabète…) menées en région récoltent l’adhésion des pharmaciens. Pourquoi ce paradoxe ?

Je reprends l’exemple suisse de la vaccination. Quand la profession se mobilise seule, avec sonréseau, ses outils, ses patients, elle obtient des résultats. J’en profite pour saluer le travail des URPS de pharmaciens, qui multiplient les expérimentations autour de la prise en charge des patients chroniques.
Pour les entretiens AVK, la moitié du recrutement a été réalisée par les pharmaciens. Le patient avait reçu un courrier de l’Assurance maladie, mais c’est véritablement la sollicitation du pharmacien qui a fait bouger les lignes.
Le bouche à oreille a fonctionné. Au fil des entretiens AVK, on s’est aperçu qu’il y avait une réelle appétence des patients pour des diagnostics plus poussés. Les discussions nous ont amenés vers la nutrition, l’hygiène de vie, le suivi tabacologique, les addictions, les risques cardio-vasculaires… En termes d’éducation thérapeutique, de vastes domaines sont à explorer.

Vous militez donc pour une revue de médication à l’anglo-saxonne ?

C’est une réflexion menée actuellement au sein de l’UTIP. Lors de l’entretien AVK, le pharmacien doit poser la question : « Que suivez-vous comme autres traitements ? », qui amène obligatoirement patient et pharmacien à parler d’observance, d’interactions… Autant de notions qui nécessitent d’être approfondies. Il faut donc prévoir à l’officine un temps supplémentaire pour une revue de médication qui permettra d’améliorer considérablement l’observance et d’éviter les effets délétères de la iatrogènese médicamenteuse.

On parle beaucoup d’interprofessionnalité. À quand des sessions de formation pluridisciplinaires ?

Des initiatives sont prises en région au cours de nos soirées de formation. J’ai en tête des sessions Éducation thérapeutique du patient (ETP) réunissant infirmiers et pharmaciens. Des soirées qui permettent aux pharmaciens de dialoguer avec leurs confrères médecins, infirmiers, kinés ou sages-femmes, d’échanger sur leurs pratiques, d’initier une prise en charge du patient commune. Dans le cadre du programme « Personnes âgées en risque de perte d’autonomie » (PAERPA), des plans de formation adaptés vont concerner pharmaciens, médecins et infirmiers. Depuis leur lancement en 2010, les URPS ont beaucoup oeuvré pour le rapprochement des professionnels de santé libéraux en termes de projets interprofessionnels. L’UTIP doit favoriser ce rapprochement avec des formations adaptées et évolutives. Un positionnement qui, à n’en pas douter, va se renforcer dans les prochaines années.

Propos recueillis par Olivier Valcke

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