Victorien Brion « La pharmacie reste un métier passionnant »

Paces, Grand entretien, numerus clausus, défaut d’attractivité des études de pharmacie… N’éludant aucun sujet d’actualité, le président de l’Anepf fait preuve d’optimisme sur l’avenir de la profession.

Pharma. Quels sont les grands dossiers de votre mandat ?

Victorien Brion. Ils sont nombreux. Pour la première fois, le bureau de l’association était composé d’un vice président industrie, ce qui a permis de renforcer les liens avec les représentants de l’industrie du médicament en France, et notamment le Leem. Cela répond à une hausse du nombre d’étudiants inscrits dans cette filière, qui représente aujourd’hui plus du tiers des quatrième et cinquième années. D’autres projets ont été ou sont réalisés en collaboration avec l’ordre national des pharmaciens. Ainsi, lors de l’Opération jeunes lancée par l’Ordre courant 2013, un questionnaire « métier » à destination des étudiants en sixième année et des internes a permis de prendre le pouls des futurs pharmaciens et de recueillir leurs attentes. L’Anepf sera aussi présente aux côtés de l’Ordre pour présenter, en octobre, les résultats de ce questionnaire et dresser les principales recommandations pour l’avenir de la profession.

L’Anepf a également lancé le « Grand entretien », une vaste enquête socioéconomique sur les étudiants en pharmacie de France. Que comptez-vous faire des résultats ?

En lançant le Grand entretien en mai, l’Anepf réaffirme avec emphase ses valeurs associatives et solidaires. Rarement dans son histoire, l’association ne s’était autant intéressée aux conditions de vie des étudiants en pharmacie et à l’impact de ces dernières sur leurs études. Au travers de cette enquête socio-économique d’ampleur diffusée au sein des vingt-quatre facultés de France, nous cherchons à connaître les étudiants en pharmacie d’aujourd’hui. De quel milieu social viennent-ils ?

Quelles sont leurs conditions de logement ? Quel est leur temps de trajet pour se rendre à la fac ? Exercent-ils une activité en parallèle pour financer leurs études ? Cette activité leur permet- elle de subvenir à leurs besoins ? Est-ce un frein à leur réussite ? Bénéficient- ils d’une mutuelle ? Autant de questions qui nous permettront d’être force de propositions et de solutions pour améliorer leurs conditions de vie, notamment au niveau de l’insertion professionnelle et de la mobilité, venir en aide aux étudiants en difficulté… Ce projet entend également casser l’image du pharmacien fils à papa, issu d’un milieu favorisé. Les études se sont depuis de nombreuses années démocratisées en accueillant des jeunes de milieux sociaux différents. C’est cette richesse que nous souhaitons relayer dans notre étude. Un travail colossal mais passionnante.

La FSPF a signé l’avenant instaurant un honoraire de dispensation à la boîte. Cette révolution du mode de rémunération ne fait pas l’unanimité, notamment auprès des deux autres syndicats et des groupements, qui viennent de lancer une pétition. Quelle est la position de l’Anepf sur ce sujet ?

Même si nous suivons le dossier au jour le jour, l’Anepf ne peut se positionner stricto sensu pour ou contre puisque l’économie officinale ne fait pas partie de son champ de compétence et que l’ensemble de la profession reste divisée. Nous prenons acte de ce changement et souhaitons qu’un travail pédagogique soit effectué dans les facultés afin d’expliquer ce mode de rémunération aux futurs pharmaciens. J’invite, en particulier, les représentants syndicaux à venir exposer les données macroéconomiques et l’application quotidienne de ce bouleversement. Nous essayons par ailleurs de tenir les étudiants informés sur ces actualités afin qu’ils suivent et comprennent au mieux les différentes problématiques. Je suis convaincu qu’ils sont prêts à saisir tous les leviers pour renforcer leur statut de futurs professionnels de santé pleinement impliqués dans le parcours de soins du patient, de la prévention au suivi des pathologies chroniques.

Depuis l’instauration de la Paces, la filière pharmacie est souvent considérée comme un choix par défaut. Comment lui redonner de l’attrait ?

Communiquer, communiquer et encore communiquer. Pour redonner le goût des études de pharmacie aux lycéens, bacheliers et étudiants de première année, il n’y a pas de secret. Il est urgent de réexpliquer que, toutes filières confondues, les études de pharmacie sont une mine d’opportunités professionnelles. Beaucoup de jeunes l’ignorent encore mais le pharmacien d’officine est bien plus qu’un simple vendeur de boîtes.

L’Ordre avait lancé en 2013 la campagne « Pharma c’est pour moi » afin de promouvoir les métiers et cursus de la pharmacie auprès des lycéens. A-t-elle porté ses fruits ?

À titre de comparaison, je dirais que les effets ont été les mêmes que lors de la campagne de l’Assurance maladie « Les antibiotiques c’est pas automatique ». Le déclic a eu lieu mais il retombe très vite une fois l’opération achevée. C’est pour ça que nous planchons avec l’Ordre sur la mise en place d’une deuxième campagne. Les supports de communication sont une chose mais rien ne vaut la bonne parole portée par les étudiants en pharmacie et les professionnels de santé auprès des lycéens. C’est dans cet esprit que l’association travaille actuellement sur une application mobile, avec un pan « promotion des filières » à destination des étudiants en pharmacie et des lycéens.

Autre constat inquiétant : en 2013, un étudiant sur dix inscrit en DFGSP2 envisageait une réorientation. Craignez-vous une défection de plus en plus conséquente ?

Ce chiffre est à relier avec un autre tout aussi alarmant : un tiers des étudiants inscrits en Paces choisissent par défaut la filière pharmacie. L’Anepf avait alerté sur les dangers de la mécanique de la Paces. Malheureusement, ce que l’on redoutait a fini par arriver. Elle a encouragé les stratégies de choix aux dépens de l’intérêt pour la filière. Le système Paces est mortifère pour la pharmacie à plus d’un titre. Il y a effectivement la délicate question du choix par défaut de la filière pharmacie, mais aussi l’échec de nombreux étudiants en deuxième et troisième années et l’abandon pur et simple de la filière pharmacie. Mais je reste un éternel optimiste. Je suis persuadé que la tendance va s’inverser. Lors de mes passages dans les facs, je me suis rendu compte que des étudiants de deuxième ou troisième année n’avaient pas encore perçu tout le potentiel des études de pharmacie.

Manque d’encadrement, objectifs non définis, absence de bilan de connaissances, les stages d’initiation et d’application des enseignements coordonnés font également l’objet de vives critiques dans un sondage réalisé par l’Anepf en juin 2013. Comment y remédier ?

Comme dit précédemment, une partie du public concerné par ces stages n’est que modérément intéressé par la pharmacie. Le travail pédagogique effectué par les maîtres de stage est primordial et doit permettre aux étudiants de découvrir la « vraie vie » à l’officine. Le travail sur les objectifs, les compétences à acquérir et la formation des maîtres de stage vont déjà dans le bon sens. Il faut continuer à œuvrer dans cette direction.

Autre thématique en vogue : l’interprofessionnalité, avec les pôles de santé, les Sisa et autres maisons pluridisciplinaires. Au sein de l’Anepf, avez-vous des échanges avec des associations d’étudiants en médecine, kiné ou école d’infirmières ?

L’interprofessionnalité a fait l’objet de l’une de nos dernières contributions, avec la Charte de la formation à l’interprofessionnalité dans les études de santé, rédigée par la Fédération des associations générales étudiants (Fage). Avec les autres associations, nous avons par exemple réfléchi à des cours communs sur des thèmes transversaux comme la prévention et l’éducation thérapeutique, la pharmacologie ou le vieillissement de la population, l’objectif étant que chaque filière de santé ait entre 5 et 10 % de cours mutualisés avec d’autres. Nous militons également pour la mise en place d’une « semaine de l’interprofessionnalité », avec des cours magistraux bloqués et des exemples de cas pratiques de patients pris en charge puis suivis par plusieurs professionnels. Avec le changement de gouvernement, le dossier a pris du retard mais on y travaille activement. Aujourd’hui, les destins professionnels des médecins généralistes, spécialistes, pharmaciens, infirmiers et autres kinés sont liés. L’exercice médical n’est plus isolé mais groupé, notamment au travers des Sisa et des maisons pluridisciplinaires de santé. Si l’on peut reconnaître une qualité à la première année commune aux études de santé, c’est d’avoir rassemblé les associations d’étudiants (Anemf, Anesf, Unecd…). Nous travaillons ensemble pour améliorer cette réforme. Pour les étudiants, c’est moins évident. Ce serait une illusion de croire que l’interprofessionnalité se construit lors de la première année. Elle se forge davantage en cinquième ou sixième année, notamment lors des stages. Mais, encore une fois, nous essayons, avec les autres associations d’étudiants en santé, de faire bouger les lignes.

L’Anepf mène depuis deux ans un combat contre l’antenne française du centre universitaire portugais Fernando-Pessoa, dénommé aujourd’hui Clesi*, qui souhaite ouvrir de nouveaux cursus. Que répondez-vous à Bruno Ravaz, son président, qui déclare que le Clesi est « une réponse à un système de sélection français dans le cadre du numerus clausus [qui] est horriblement contraignant » ?

Si le numerus clausus est contraignant pour certains étudiants, que dire des 9 500 € d’inscription réclamés ! Monsieur Ravaz propose une autre forme de sélection par l’argent. Pas sûr que cette démarche soit en adéquation avec les valeurs de notre système universitaire.

Banques frileuses, transactions à l’arrêt, trésorerie dans le rouge… L’avenir s’annonce difficile pour les pharmaciens qui souhaitent s’installer. Quel message d’espoir leur délivrer ?

Quel professionnel de santé peut se targuer d’être à la fois entrepreneur, manager et expert médical ? Quel professionnel de santé est le premier acteur des soins de premier recours du fait de sa proximité ? Quel professionnel de santé bénéficie du capital de confiance le plus élevé de la part de ses patients ? Je vous laisse le soin de répondre à ces questions…

Propos recueillis par Olivier Valcke

Bio express

  • 1986 Naissance à Sarrebourg (Lorraine)
  • 2004 Bac S
  • 2009 PCEP1
  • 2010 Membre du bureau de l’Amicale des étudiants en pharmacie de Strasbourg, président de 2011 à 2013
  • 2010-2012 Élu au Conseil des études et de la vie universitaire (Cevu) de l’université de Strasbourg
  • 2012 Directeur adjoint étudiant de l’UFR de pharmacie de Strasbourg
  • Depuis 2012 Élu au conseil d’administration de l’université de Strasbourg
  • Depuis octobre 2013 Président de l’Anepf

 


(*) Centre libre d’enseignement supérieur international.