Carole Sattler, une main verte sur l’île rouge

Déléguée générale d’Avertem, une association lilloise de valorisation de l’ethnopharmacologie à Madagascar, cette jeune pharmacienne de 28 ans fait de sa discipline une science sociale.

Madagasikara , Madagascar en malgache, est une île magique. Prononcez-le devant Carole Sattler et observez le résultat. Les pupilles se dilatent, les zygomatiques se tendent, l’esprit s’évade. Pas de doute, le mot fait mouche. Sur Madagascar, la jeune pharmacienne est intarissable. Elle peut vous parler des heures durant de la forêt de Tampolo, dans la région d’Analanjirofo, au nord-est de l’île, où l’association Avertem* est implantée depuis 1999 ; de l’ananambo (Moringa oleifera), cet arbre dont les brèdes sont utilisés pour pallier les carences nutritives des enfants ; du repas traditionnel betsimsaraka (sakafo) avec riz, zébu, haricots, et bananes en dessert, le tout servi sur de grandes feuilles de ravinala, l’arbre symbole du pays ; du jardin médicinal installé par l’association Avertem en 2010, des opérations de reboisement, des échanges avec les villageois de Rantolava, Andapa ou Ambahavala… Autant de récits et d’anecdotes qu’elle ramène après chaque mission – sa cinquième en cinq ans ! – au comptoir de son officine à Étaples, dans le Pas-de- Calais. Un comptoir qu’elle retrouve à chaque fois avec beaucoup de plaisir : « J’aime prendre le large pour mieux revenir. Malgré le dépaysement, l’exotisme, l’humilité et la sagesse des populations là-bas, je reste profondément attachée à ma région. »

Le pouvoir des plantes

Le déclic pour l’ethnobotanique a lieu en 2008, lors d’un TP de botanique à la faculté de pharmacie de Lille II. « On devait analyser la pollinisation d’une abeille sauvage sur une orchidée, se souvient Carole Sattler. L’abeille croit s’accoupler avec un congénère alors qu’il s’agit d’un leurre sexuel mis au point par l’orchidée. Les fleurs des orchidées imitent les phéromones sexuelles des abeilles femelles pour se reproduire. Le pouvoir des plantes est fabuleux. C’est ce rapport de l’homme avec la nature que j’ai voulu explorer. »

La jeune femme se rapproche alors de l’association Avertem, fondée par des professeurs de botanique de la fac. Réunissant une trentaine d’étudiants et professionnels passionnés d’ethnobotanique, l’association a mis en place un projet solidaire à Madagascar, dans la forêt de Tampolo, qui vise à soutenir les populations détentrices de savoirs sur les plantes médicinales. Notre objectif est de faire connaître et de valoriser l’utilisation traditionnelle des plantes médicinales locales, véritable richesse sociale et culturelle acquises aux populations locales, explique Carole Sattler. C’est en 2009 que la pharmacienne s’envole pour la première fois vers Analanjirofo, au nord-est de l’île. Sur place, elle rejoint l’antenne locale d’Avertem ainsi que les équipes de l’Ecole supérieure des sciences agronomiques (Essa) de Madagascar qui participent au reboisement de la forêt de Tampolo. L’une des dernières reliques les mieux conservées de la forêt littorale orientale qui abrite nombre d’espèces rares et menacées (Pandanus spp, Orchidaceae, Arecaceae…).

Sensibiliser et éduquer

Au contact des guérisseurs, des mères de famille, Carole Sattler apprend beaucoup sur les vertus des plantes, compare, prend des notes. « On débarque avec un savoir médical académique et d’un coup on est confronté à des traditions millénaires où le magico-religieux est très présent. Il faut prendre le temps de comprendre cette culture, tisser des liens de confiance avec les maîtres des villages, faire preuve d’humilité… L’idée n’est pas d’aller à l’encontre de ces rites mais de conseiller les populations sur le bon usage de ces plantes, notamment concernant le dosage et la toxicité. » Des « classiques » manguier, cannelle, eucalyptus au Rara acuminata, arbre utilisé contre les pathologies buccales chez les enfants, en passant par le Xylopia buxifolia qui apaise les maux de dos, on trouve de tout pour se soigner dans la flore locale. Une fois par an, pendant trois mois, Carole Sattler coordonne une mission ethnopharmacologique composée de pharmaciens, chercheurs et anthropologues français et malgaches. Principales plantes ciblées ? Celles utilisées pour traiter les pathologies respiratoires et diarrhéiques. Des herbiers sont ensuite confectionnés et un atelier-séchoir a été bâti par l’association sur le campement de l’Essa.

Puis des recherches bibliographiques et pharmacologiques sont réalisées en France et en Madagascar pour étoffer une base de données aujourd’hui en construction. Mais hors de question pour Carole Sattler de s’approprier cette précieuse pharmacopée : « Les recherches doivent d’abord bénéficier aux populations locales. Il ne s’agit pas non plus de leur mâcher tout le travail. On n’est pas dans l’assistanat. Nous cherchons avant tout à intégrer les habitants à nos recherches, à les rendre acteurs de leur projet. »

Réunions, débats, journée régionale de la plante initiée par l’association en 2012… les opérations de sensibilisation sont nombreuses pour impliquer les villageois. L’association a également installé un jardin médicinal pédagogique qui compte une vingtaine de parcelles et une trentaine de plantes médicinales. Les jardiniers d’Avertem ont aussi conçu une pépinière, un germoir et un compost pour optimiser la pousse des plantes. Enfin, un guide de santé sur la diarrhée à destination des populations locales va bientôt être édité. Une concrétisation pour Carole Sattler, dont la thèse de fin d’études en 2011 s’intitulait Madagascar, des hommes, des plantes, des remèdes. Étude ethnopharmacologique de plantes d’intérêt dans les pathologies diarrhéiques.

Un savoir à préserver

De retour en France, Carole Sattler ne chôme pas. Colloques, ateliers, conférences dans les maisons de retraite, dans les facs, à la radio, soirées malgaches… cette boulimique de travail communique tous azimuts sur les actions menées à Madagascar. Dernier fait d’armes : une correspondance scolaire entre les élèves de l’école Léo-Lagrange de Wattrelos, dans le Nord, et les enfants de Tampolo. Auréolée du prix « Terre de femmes 2012 » décerné par la fondation Yves Rocher et qui récompense des femmes qui s’engagent au quotidien en faveur d’un développement durable, la déléguée générale de l’association œuvre désormais au rapprochement de deux cultures. « Il faut créer des passerelles entre le Nord-Pas-de-Calais et la région d’Analanjirofo. Il y a tant à apprendre au niveau médical, mais pas uniquement. L’anthropologie, la sociologie, l’ethnologie ont un rôle à jouer pour sauvegarder ce savoir thérapeutique. Les connaissances relatives à l’utilisation des plantes médicinales sont en effet essentiellement issues d’un savoir oral. Il n’est pas exclu que ce savoir disparaisse un jour, s’il n’est pas préservé. » Les plantes médicinales de la forêt de Tampolo peuvent pousser en paix. Carole Sattler et les membres de l’association Avertem veillent sur elles

(*) Association de valorisation de l’ethnopharmacologie en régions tropicales et méditerranéennes.