Philippe Truelle, vice-président de l’AMLIS : « Nous demandons un moratoire sur les baisses de prix des médicaments »

À quelques semaines de la présentation du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, Philippe Truelle, vice-président de l’AMLIS, l’organisation représentative des PME de santé, demande un moratoire sur les baisses de prix appliquées aux médicaments matures, essentiels, dont la viabilité économique semble de plus en plus compromise.

Revue Pharma : Le prochain PLFSS 2026 devrait, une fois de plus, être placé sous le signe des baisses de dépenses pour l’Assurance maladie, et en particulier des baisses de prix sur le médicament. Comment les PME de santé perçoivent ces orientations budgétaires ?

Philippe Truelle : Je suis à la fois navré et désabusé. La santé des patients va être menacée, car l’accès au médicament essentiel est fragilisé. Alors que l’année 2025 n’est pas terminée, il va être demandé 600 millions d’euros d’économies supplémentaires aux industriels du médicament via des baisses de prix additionnelles.

C’est très préoccupant, notamment pour nos entreprises, les PME qui fabriquent des produits de santé, car nous commercialisation déjà très majoritairement des médicaments à moins de 5 euros. Ce sont des coupes arbitraires et inconsidérées, qui vont entraîner, je le crains, une perte de souveraineté sanitaire de la France et des ruptures de stock. Parce qu’aujourd’hui, nos entreprises fabriquent la majorité des médicaments en France.

Craignez-vous pour la viabilité économique de vos entreprises ?

Beaucoup de PME du médicament sont effectivement dans des situations très instables, voire déséquilibrées. Et ces effets vont s’accélérer.

Nous avons déjà eu un exemple emblématique récemment : la société Carelide, basée dans le nord de la France, était l’un des derniers fabricants français de soluté de perfusion français. Il faut rappeler que les solutés de perfusions sont des médicaments très utilisés – plus de 150 millions d’unités consommées en France chaque année – mais très peu chers.  Cette société a dû être placée en redressement judiciaire parce qu’elle n’arrivait plus à faire face à ses coûts de production, ramenés au prix de vente du produit.

D’autant plus que, malgré la baisse des prix, les industriels ont dû mener des investissements importants : mise en place de la sérialisation, détenir des stocks de médicaments de 2 à 4 mois pour certains médicaments… Tout cela, nous l’avons assumé à coût constant. Et désormais, le tissu industriel français du médicament est fragilisé, alors que nous réalisons 70 % de notre chiffre d’affaires en France.

Combien de petites et moyennes entreprises en France sont menacées ?

Nous estimons qu’environ 10 % des PME du médicament sont en grande fragilité. Donc aujourd’hui, sur 160 entreprises, on parle de 15 à 20 entreprises, qui produisent et commercialisent en majorité des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur.

Si l’enveloppe continue de se resserrer autour des médicaments essentiels, quels sont les risques pour l’accès au soin ?

Si les prix baissent encore, c’est plus de ruptures, des disparitions d’entreprises, mais aussi – on le voit déjà – des arrêts de commercialisation. Des pharmaciens hospitaliers ou officinaux ont dû passer aux préparations magistrales pour certains dosages qui avaient arrêté d’être commercialisés.

Dans d’autres situations, les traitements de substitution sont souvent un peu moins adaptés que le traitement initial, donc avec le risque d’effets indésirables, et un risque d’une moindre adhérence du patient au traitement. Tout cela, au bout du compte, à un coût humain et sanitaire monstrueux. Ce coût pour la société n’a jamais été évalué dans le budget de la Sécurité sociale pour en faire une priorité d’économie.

Vous formulez ces alertes depuis de nombreuses années, que vous répond l’État ?

Un peu comme pour les pharmaciens, on continue à nous proposer de chercher des leviers de performance… Mais cela fait 20 ans que les industriels investissent, travaillent sur leur performance. Et, force est de constater que, sur des médicaments à moins de 5 euros, voire moins de 1 euro, dont les prix n’évoluent pas ou baissent, cela ne peut plus fonctionner.

Jusque-là, de nombreuses entreprises s’en sortaient, car elles avaient un mix entre médicaments matures et médicaments innovants. C’est un système qui, bon an mal an, a fonctionné pendant une quinzaine d’années. Mais, aujourd’hui, le modèle a basculé et ce sont la majorité des PME qui fournissent les médicaments matures. Il n’y a plus d’équilibre.

Quelles contre-propositions souhaitez-vous formuler à l’aube de la présentation du PLFSS 2026 ?

Pour que tous les Français puissent continuer à être soignés avec les médicaments du quotidien, il faut stopper les baisses de prix. Notre première demande est donc un moratoire sur les baisses de prix des médicaments. Ensuite, deuxième proposition : reconnaître la valeur des médicaments matures et d’intérêt thérapeutique majeur et les inscrire dans une démarche de revalorisation. Il est temps d’agir aussi pour revaloriser les médicaments qui sont fabriqués en France et en Europe. Il est temps de reconnaître le cout réel de production de ces médicaments essentiels, souvent négligés politiquement.

Et en contrepartie, faudra-t-il réguler le prix des médicaments chers et innovants ?

Pour moi, l’arrivée massive d’innovations thérapeutiques est une bonne nouvelle. Il faut continuer à en promouvoir l’accès, notamment pour les patients en errance thérapeutique, qui n’avaient jusque-là aucune solution. Néanmoins, il y a une question d’équilibre. Les traitements que portent nos entreprises représentent la majorité des volumes, mais une très grande minorité des dépenses de médicaments de l’Assurance maladie : 15 %. À l’inverse, les médicaments innovants représentent moins de 1 % des volumes, mais la majorité des dépenses. Le gouvernement doit trouver une nouvelle stratégie pour financer ces deux pôles qui, à mon sens, ne répondent pas aux mêmes enjeux.

C’est pour cela que nous avons proposé, il y a plusieurs mois, qu’il y ait un « sous ONDAM » différent avec d’un côté les médicaments matures, de l’autre les médicaments innovants. Pour les gérer dans des enveloppes différentes, avec des équilibres plus sereins.

Vous demandez également une révision de la clause de sauvegarde, pourquoi ?

C’est devenu un cauchemar pour certains d’entre nous. Quasiment une question de vie ou de mort. Il y a 5 ans, pour mon entreprise, la clause de sauvegarde était de 0,2 % du CA remboursé, puis 2 %, puis 8 %, pour arriver même à 10 % ! Désormais, mon laboratoire a une clause de sauvegarde qui est même supérieure à son résultat net… C’est extrêmement inquiétant, l’État en est conscient, mais la réforme n’est toujours pas sur la table. Nous proposons donc de caper la clause de sauvegarde à moins de 2 % du chiffre d’affaires.

Comment envisagez-vous l’avenir du système de santé ?

En France, nous avons la chance d’avoir un réseau de professionnel de santé extrêmement engagés et responsables. Je pense désormais qu’il faut mettre tous les acteurs autour de la table pour dresser un plan stratégique à 5 ou 10 ans pour notre système de santé. Et faire des choix : meilleurs investissements, prévention, efficience, etc. Pour faire en sorte que le système fonctionne mieux, au bénéfice du patient.