La tendance à l’association et aux énormes structures a changé le marché de l’officine. Désormais, de plus en plus de pharmaciens peinent à trouver un repreneur, mais des solutions existent.

La mairie de Jouy-sur-Morin communique pour attirer les repreneurs. DROITS RÉSERVÉS
Dès l’entrée de la ville, une grande affiche interpelle les passants : « Sauvons notre pharmacie, Jouy-sur-Morin recherche un repreneur pour sa pharmacie ». En avril dernier, la municipalité a installé ce panneau d’un mètre sur deux en bord de route, comme une ultime tentative. Et pour cause, l’officine de cette petite ville de Seine-et-Marne, en Île-de-France, est en vente depuis 2021. En quatre ans, la titulaire n’a reçu que deux appels.
« Pour le premier appel, nous étions prêts à signer mais, au dernier moment, la personne s’est rétractée, explique Catherine Triquet, la titulaire. Le repreneur potentiel a suivi les conseils de ses amis, à savoir ne pas s’installer dans une petite officine de zone rurale. Quant au second acquéreur, il hésitait entre la reprise de mon officine et l’association, pour laquelle il a finalement opté, ce qui lui permettait d’avoir une pharmacie plus importante, de ne pas être seul et de bénéficier de plus de temps libre ».
Fusions et compensations financières
Depuis les années 2000, le nombre de croix vertes diminue en France, en raison, notamment, de la restructuration du réseau officinal. Entre 2013 et 2023, 2 028 officines ont disparu sur le territoire métropolitain, soit une baisse de 9,3 % en 10 ans, selon l’Ordre des pharmaciens, qui distingue deux modes de fermeture : actifs et contraints. Le premier regroupe les fusions d’officines (regroupements selon l’article L. 5125-5 du Code de la santé publique – CSP –) et des fermetures définitives avec restitution de licence à l’Agence régionale de santé (ARS) pour lesquelles le titulaire obtient une compensation financière de l’un de ses confrères (article L. 5125-5-1 du CSP).
« J’en fais la promotion car je trouve injuste et très sévère que les pharmaciens ne touchent rien en partant à la retraite, détaille Louis Maertens, expert-comptable. Pour les acquéreurs, l’opération est également bénéfique car elle leur permet de faire une acquisition défensive tout en développant leur patientèle ».
Le premier frein est l’isolement géographique
En revanche, les pharmacies qui ne trouvent pas de repreneur et doivent restituer leur licence, sans indemnisation du titulaire de la part des confrères, relève du second mode, qualifié de contraint. Cette situation représentait 64,2 % des fermetures en 2023, contre 45,3 % en 2022. « Le premier frein à la vente est l’isolement géographique de l’officine, souligne Louis Maertens. Dans les campagnes, quand la pharmacie la plus proche est à plus de 10 kilomètres, les confrères ne voient aucun intérêt à indemniser le titulaire cédant et ils ne vont pas le faire ». À titre de comparaison, les fermetures définitives indemnisées et les regroupements représentaient respectivement 17,7 % et 12,3 % des fermetures.
« Baisser le prix ne suffit même plus »
Les départements où les fermetures d’officines ont été les plus importantes sont l’Allier (22 %), l’Ariège (20 %), l’Yonne (20 %), le Gers (19 %) et la Corrèze (18 %). « Le deuxième grand frein, c’est l’effet taille, ajoute Louis Maertens. Les pharmacies qui ont un petit chiffre d’affaires, situées dans les villes ou dans des zones rurales avec peu d’attractivité commerciale et un faible tissu médical, attirent moins. Cela est dû à la tendance actuelle qui est davantage à l’association et aux structures plus importantes. Il y a encore quelque temps, je vous aurais dit que tout se négocie, mais nous n’en sommes plus là. Pour certaines typologies de pharmacie, baisser le prix ne suffit même plus. Nous sommes et allons de plus en plus vers un étiolement du maillage territorial ». Face à cette réalité, que peuvent faire les titulaires qui souhaitent vendre ?
Brader n’est pas la solution
Annonces, réseaux sociaux, bouche-à-oreille ou encore cabinets de transaction… Il faut faire feu de tout bois. « Les titulaires peuvent contacter plusieurs agences car elles n’ont pas forcément les mêmes méthodes et bases de données clients, conseille Louis Maertens. Je recommande aussi, au début, de ne pas s’avancer sur un prix pour laisser de la latitude aux potentiels acquéreurs ».
Désespérés, certains titulaires mettent leur pharmacie en vente à un euro symbolique. « Brader n’est pas une solution, assure Olivier Tellier, associé et cogérant de POD (Pharmacie Organisation Développement), cabinet de conseil en vente de pharmacies. Beaucoup de choses sont à mettre en place avant d’en arriver là. Le marché a changé, en défaveur des plus petites structures. Néanmoins, rien n’est impossible. Les adjoints veulent toujours s’installer, mais ils sont désormais plus exigeants et ont compris qu’avec les nouvelles missions, une surface importante était nécessaire. Leurs apports moyens n’ont pas augmenté, et se situent toujours entre 70 000 et 90 000 euros mais ils arrivent à trouver des aides ou des investisseurs. Ils peuvent ainsi reprendre des officines moyennes voire plus grosses, dès la première installation ».
Identifier les points négatifs pour y remédier
Pour attirer, Olivier Tellier conseille aux titulaires d’agir en amont : rénovation et réaménagement, développement des nouvelles missions mais aussi l’association. « Nous travaillons sur plusieurs dossiers de regroupements car les acquéreurs ont moins l’envie de travailler seuls, détaille-t-il. Il est préférable d’effectuer les changements le plus tôt possible et rester à l’affût des locaux commerciaux à proximité. Cela est plus facile de vendre un tiers des parts d’une pharmacie avec un chiffre d’affaires de trois millions que trois pharmacies d’un million ».
Pour ceux qui ne veulent pas – ou ne peuvent pas – s’associer, l’expert en transaction recommande d’identifier les aspects négatifs et bloquants. « Parfois, la masse salariale ou les charges sont trop élevées, indique Olivier Tellier. Je conseille de préparer la vente un à deux ans en amont, en dressant un bilan clair et réaliste. Ce délai laisse ensuite le temps de remédier aux bémols. Une fois que cela est résolu, on arrive plus facilement à trouver un repreneur ».
Depuis deux ans, la titulaire pourrait être à la retraite
Un enthousiasme que Catherine Triquet a du mal à partager. Après quatre années de recherche, elle ne voit plus d’issue. « Vu que je ne trouve personne, je me pose la question d’arrêter, confie-t-elle. Bien que je sois à la retraite depuis deux ans, je ne l’ai pas prise. À ce rythme, je peux encore attendre très longtemps… Aujourd’hui, j’ai envie de profiter de ma famille ».
Changer la législation aiderait aussi les titulaires comme Catherine Triquet et à maintenir le maillage territorial. « On pourrait imaginer un système dans lequel ces petites pharmacies seraient des succursales de plus grosses structures, maintenant ainsi un point de vente dans des zones rurales, détaille Louis Maertens. Cela permettrait de lutter contre les déserts médicaux et de maintenir l’accès à des professionnels de santé sur le territoire ».
En attendant, Jouy-sur-Morin cherche encore et toujours. « Il y a quinze ans, l’officine était déjà menacée de fermeture, raconte Catherine Triquet. J’ai choisi de m’y installer pour éviter cela et je n’ai jamais regretté ce choix : cela a été une très belle expérience ». Pour l’instant, la titulaire garde encore les clés de son officine… En espérant bientôt les confier à celui ou celle qui souhaitera poursuivre cette belle histoire. ■