Début avril, Interfimo a dévoilé ses statistiques des prix de cession des officines sur 2024. Jérôme Capon, directeur de réseau chez Interfimo, analyse un marché en pleine mutation.
Je suis pratiquement sûr que les taux ne vont pas baisser. Nous ne reviendrons pas à la situation d’il y a 2 ans, avec des taux inférieurs à 1 % ».
Revue Pharma : En 2024, le marché de la transaction recule avec 1 442 opérations contre 1 606 en 2023, soit une baisse de 10 %. Est-ce une mauvaise nouvelle ?
Jérôme Capon : C’est effectivement un recul par rapport à l’année précédente, mais 2023 avait été une année record. Je trouve que, dans le contexte économique très compliqué que nous avons vécu, le marché s’est finalement relativement bien tenu. Je ne ferai pas de catastrophisme : le marché de la transaction reste dynamique. Après une année historique, nous revenons désormais à une stabilisation du marché de bon niveau, surtout dans le contexte actuel.
Les baisses de prix s’accélèrent aussi, avec un prix moyen qui passe de 84 % du CA à 76 %. S’agit-il pour vous d’une stabilisation du marché ?
Nous raisonnons de moins en moins en pourcentage de CA. Cette donnée a désormais peu de sens avec l’impact des médicaments chers, qui va augmenter le chiffre d’affaires, mais pas la marge. Les prix ont baissé et cela est assez sain pour les futurs jeunes acquéreurs. Néanmoins, les prix n’ont pas baissé suffisamment vite par rapport à la rentabilité : cette dernière baisse plus vite que les prix des officines.
Pour quelle raison le calcul du prix en fonction du chiffre d’affaires est-il obsolète ?
Le pourcentage de CA n’est pas un bon indicateur, car ce qui va compter lors de l’achat c’est la marge en euros de la pharmacie et l’excédent brut d’exploitation (EBE) en euros. La rentabilité va permettre de rembourser l’endettement, et non le niveau de CA. Le prix doit donc être fixé en termes de rentabilité. Nous le disons depuis plusieurs années. Une entreprise vaut sa rentabilité, et pas son chiffre d’affaires.
Quel serait pour vous le bon indicateur de prix d’une officine ?
Lorsque vous réalisez des valorisations d’entreprise, il faut plusieurs méthodes, plusieurs comparatifs. Les deux critères de rentabilité pertinents sont le multiple de l’EBE retraité et le coefficient de marge. Raisonner en marge permet ainsi de faire abstraction du poids des médicaments chers.
Lorsqu’on regarde les prix en coefficient de marge, y a-t-il aussi une baisse ?
Oui, il y a une légère baisse. Les prix de cession en multiple de marge étaient, cette année, de 2,66 fois la marge brute, contre 2,75 fois en 2023. On assiste donc à une légère tendance baissière, mais il s’agit toutefois d’une moyenne sur toutes les officines de plus de 1,2 million de CA. Chaque officine doit ensuite s’analyser plus finement en fonction de sa taille, de son environnement.
En 2024, le prix de cession moyen des officines de plus de 1,2 M€ est supérieur à 7 fois l’EBE, contre 6,4 en 2023. Cette augmentation signifie-t-elle que les prix augmentent ?
Non. Les prix ont légèrement baissé, mais la rentabilité des EBE a baissé encore plus vite ! Par conséquent, cela fait augmenter ce coefficient, mais cela ne veut pas dire que les officines se vendent plus cher. Nous insistons là-dessus dans notre étude, en disant : attention à bien adapter les prix de cession en fonction de la rentabilité !
Les pharmacies de moins de 1,2 M€ de CA sont toujours en souffrance, avec un prix de cession historiquement bas de 54 % du CA. Cette tendance va-t-elle se poursuivre ?
Oui et de plus en plus ! Depuis 5 ans, nous observons un réel fossé, qui se creuse, entre les officines de moins de 1,2 M€ de CA et les autres. La taille de l’officine est un critère déterminant dans la fixation de son prix. Plus les officines sont grandes, plus elles attirent les investisseurs, car elles se font rares sur le marché de la transaction.
L’avenir pour les petites officines est-il dans le regroupement ?
Les regroupements sont dans l’air du temps, mais il ne faut pas oublier la notion d’accès aux soins ! Les regroupements sont intéressants d’un point de vue économique, mais il ne pourra pas non plus y en avoir partout en France, car la priorité reste le maillage pharmaceutique. C’est un vrai sujet politique.
Dans la même veine, en 2024, vous observez une augmentation des défaillances en pharmacie avec 140 ouvertures de procédures collectives…
Oui, mais il ne faut pas, là non plus, faire de catastrophisme. Globalement, dans toutes professions confondues, on voit une augmentation très sensible des procédures. La pharmacie est donc, elle aussi, touchée, mais dans une moindre mesure. N’oublions pas que 2024 marquait aussi la fin de l’impact des aides Covid. Jusque-là, certaines officines étaient encore soutenues par ces aides, mais aujourd’hui, c’est fini. Les Prêts garantis par l’état (PGE) sont en train d’être remboursés. Finalement, les officines qui se sont trouvées en défaillance en 2024 sont ni plus ni moins que les mêmes officines qui étaient déjà en difficulté avant le Covid. Désormais, la grande difficulté va être pour les petites officines, qui ne trouvent tout simplement pas d’acheteur.
Pourtant, les officines rurales sont cédées à des prix légèrement supérieurs…
Oui, elles ne se portent pas si mal. La baisse des prix est globale, quelle que soit la typologie de l’officine. Avec une officine rurale, achetée à un juste prix, les repreneurs devraient normalement bien s’en sortir. Toutefois, la tendance que l’on observe au niveau rural est qu’elles attirent moins les jeunes, car ces derniers souhaitent davantage exercer en groupe, acheter une pharmacie à deux ou trois titulaires, afin de se répartir le travail sur la semaine, un modèle difficilement tenable en milieu rural.
Les apports ont-ils augmenté en 2024 ?
Non, nous restons sur le même niveau d’apport. Comme les prix ont relativement baissé, nous n’avons pas demandé d’apports supplémentaires. Le risque qui peut toutefois exister est pour les jeunes qui veulent acquérir une officine de taille très importante et qui vont donc devoir l’acheter cher, par rapport à sa rentabilité réelle. Ils doivent être particulièrement vigilants, car, ensuite, il va falloir rembourser le crédit, et si le prix est trop élevé, les banquiers demanderont plus d’apport.
Selon vous, les taux vont-ils continuer à se stabiliser pour l’année 2025 ?
Il est très compliqué de répondre à cette question compte tenu de la situation économique et politique. Je suis en tout cas pratiquement sûr que les taux ne vont pas baisser. Nous ne reviendrons pas à la situation que nous avons pu connaître il y a 2 ans, avec des taux inférieurs à 1 %. C’est derrière nous ! La situation géopolitique est très incertaine et il est difficile de faire des prévisions. Aujourd’hui, les taux se stabilisent après des hausses importantes. S’il y a une remontée des taux en 2025, je pense qu’elle sera légère, mais cela reste hypothétique.
Il ne faut donc pas attendre que les taux baissent pour s’installer ?
Non, je suis quasiment certain qu’il n’y aura pas de baisse sensible. Il est donc toujours intéressant de s’installer maintenant, à condition que les prix des officines s’adaptent à la rentabilité. Si vous achetez une pharmacie à un prix correct, 6,5 à 7 fois l’EBE retraité, votre dossier devrait passer. En revanche, si vous achetez à 10 fois l’EBE, soit vous avez une vraie stratégie de développement, soit cela va être très compliqué.
Est-il fréquent de voir des officines se vendre à 10 fois l’EBE ?
Oui, cela arrive. Notamment lorsque des pharmaciens ont repéré une très grosse officine depuis plusieurs années, qu’ils ont un coup de cœur. Dans ce cas, le sur-prix va devoir être financé par un apport personnel. Certaines officines en France sont très recherchées ; les prix sont alors élevés. On l’observe toujours au 1er trimestre 2025.
Avec la baisse de rentabilité, existe-t-il selon vous un risque de financiarisation à venir pour la pharmacie ?
En effet, cela peut être assez dangereux. Pour les officines de taille importante et très recherchées, certains acteurs financiers sont prêts et disponibles pour payer un sur-prix. Ce dernier est aussi dangereux pour la profession, car il risquerait d’entraîner une tendance inflationniste, les prix ne baisseraient pas assez vite, et les jeunes auraient de plus en plus de difficultés à s’installer. Enfin, le risque lié à la financiarisation est évidemment la perte de liberté d’exercice et d’indépendance du pharmacien. ■