Après des années d’attente, l’officine peut désormais substituer neuf médicaments biologiques par leurs biosimilaires. Un gain de marge, mais à quel point ? Comment accompagner le patient vers cette transition parfois déroutante ?
enfin une bouffée d’oxygène pour le réseau
Et de 9 ! Fin février, les officines ont pu officiellement substituer 9 médicaments biologiques par leurs biosimilaires. De quoi donner une bouffée d’air frais aux comptes de l’officine… Mais quelle marge anticiper ?
Depuis 2017, les autorités n’ont cessé de faire un pas en avant, deux pas en arrière au sujet des biosimilaires. Désormais, le long atermoiement autour de la substitution de ces « copies » de médicaments biologiques en officine semble bel et bien derrière nous.
Depuis le 27 février, ce sont 9 groupes de médicaments biologiques similaires qui peuvent être substitués directement au comptoir. Après le filgrastim, le pegfilgrastim en 2022, et, en novembre dernier, le ranibizumab (Lucentis), Forsteo, Enbrel, Humira, Lovenox, Gonal-F et Eprex sont venus s’ajouter à la liste.
De quoi répondre aux demandes répétées de la profession qui plaide depuis des années pour ce droit de substitution élargi, afin de donner une bouffée d’oxygène au réseau. D’autant plus que d’autres inscriptions devraient suivre dans les semaines ou mois à venir, à l’instar de la substitution du Stelara ou d’Eylea qui est dans les tuyaux.
Le game changer ? La LFSS 2024 !
Le vent a définitivement tourné en faveur des pharmaciens en décembre 2023. À l’occasion du vote de la Loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2024, les parlementaires ont adopté l’inscription quasi automatique des biosimilaires sur la liste des médicaments substituables par le pharmacien. Aussi, le texte indique que les officines peuvent substituer systématiquement un biomédicament par son biosimilaire dès lors que celui-ci est commercialisé depuis au moins deux ans, sauf avis contraire de l’ANSM. Un délai abaissé à un an par la LFSS 2025.
Un tournant stratégique donc pour le pharmacien comme pour l’Assurance maladie qui entend économiser 90 millions d’euros en 2025 grâce à ces « copies » de médicaments biologiques, en général 20 à 30 % moins chères que l’original. Côté officine, alors que l’égalité de marge entre référent et biosimilaire – attendue de longue date – est actée depuis juillet dernier, la substitution s’annonce comme une bouffée d’air frais pour redresser les comptes des officines.
Entre 180 et 300 millions d’euros de marge en plus
Néanmoins, la question se pose : quel potentiel économique pourra dégager cette accélération de la substitution des biosimilaires ? « En fonction du taux de pénétration, la marge pourrait varier de 180 millions à près de 300 millions d’euros », résume Julien Chauvin, président de la commission Études et stratégie économique à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, qui a réalisé début mars une étude sur le sujet.
Alors que le CA PFHT des médicaments biologiques et leurs biosimilaires s’établit à 1,675 milliard d’euros, « nous avons regardé les deux types de marge sur lesquels le pharmacien pourrait tirer un levier de croissance », poursuit Julien Chauvin. D’abord, la marge grossistes, fixée à 6,93 % et plafonnée à 32,5 euros, ajoutée à une remise commerciale dont le montant n’est pas encore fixé.
« Si l’on simule une remise commerciale assez basse, de 15 %, la marge globale serait de 180 millions d’euros en plus pour les pharmacies », souligne Julien Chauvin, qui précise que ce chiffre pourrait être « probablement supérieur, car les remises pourraient plutôt varier entre 20 et 30 % ».
Prudent, ce premier scénario à 180 millions euros de marge intègre un taux de pénétration des biosimilaires à 35 %. Or, en imaginant faire grimper la pénétration à 80 %, la marge s’envolerait à 300 millions pour le réseau ! Un cocktail « gagnant-gagnant, pour l’Assurance maladie, et pour le pharmacien », souligne Julien Chauvin. Reste encore à obtenir l’arrêté de plafonnement des remises commerciales, « que nous devrions avoir dans les semaines à venir ».
Le taux de pénétration dans la balance
Désormais sur les rails, la substitution des biosimilaires risque toutefois de se heurter à la pratique des prescripteurs et l’adhésion des patients, entraînant des taux de pénétration très variables en fonction des spécialités. « Lorsque le médicament relève de l’aigu, je pense que cela va être relativement simple ; pour les patients chroniques, ce sera peut-être un peu plus compliqué, il nous faudra de la pédagogie », anticipe Mehdi Djilani, pharmacien titulaire sur l’île d’Oléron et président de TotumLab. Il prend l’exemple du pegfilgrastim et du filgrastim, « prescrits en oncologie en prévention des neutropénies fébriles. Il n’y a pas vraiment de switch de l’un à l’autre, et nous délivrons le biosimilaire plutôt en initiation ».
Autre exemple où patient comme prescripteur risquent d’être moins déroutés : l’énoxaparine. « Nous anticipons un taux de pénétration très élevé, car ce n’est pas un traitement chronique », poursuit Julien Chauvin. Quant à l’Humira ou au Stelara, « ils sont, eux aussi, en capacité de bénéficier d’un taux de pénétration important, car il n’existe pas de différence notable sur le dispositif d’injection et nous aurons vraisemblablement beaucoup moins de “non substituables” », imagine le pharmacien installé à Tours.
Là où le bât blesse, c’est du côté du Lucentis. Avec seulement 6 % de pénétration en 2024 (avant sa possibilité de substitution en officine donc), les biosimilaires du Lucentis peinent à percer le marché. En cause ? « L’obligation pour le biosimilaire de reconstituer le produit. Une large majorité des ophtalmologues préfère opter pour le “non substituable” », constate Julien Chauvin.
« Un frein important », rappelle-t-il, alors que le chiffre d’affaires du Lucentis et de ses biosimilaires fait partie des plus élevés du domaine, à 219 millions d’euros par an. « Nous espérons toutefois que le Lucentis reste un cas isolé et que les autres molécules pourront atteindre un taux de pénétration à 80 % », pondère Julien Chauvin, qui espère notamment beaucoup de la substitution du Stelara, dont le chiffre d’affaires atteignait les 321 millions d’euros en 2024.
Taux de pénétration par spécialité(à fin février 2025, source IQVIA) Adalimumab → 58 % Enoxaparine → 21 % Epoétine → 88 % Etanercept → 58 % Follitropine alfa → 71 % Tériparatide → 69 % Ranibizumab → 6 % Filgrastrim → 96 % Pegfilgrastim → 90 % |
Pas d’amalgame avec le générique
Malgré l’espoir que les biosimilaires suscitent pour le réseau, « il ne faudra pas faire d’amalgame avec l’histoire des génériques », tempère encore Julien Chauvin. En effet, si les génériques possèdent un répertoire assez homogène, prescrits par l’ensemble des médecins, « les biosimilaires, quant à eux, sont dépendants d’un très petit nombre de médecins, spécialistes et/ou hospitaliers », analyse le président de la commission Études et stratégie économique de la FSPF. En d’autres termes : « un seul médecin qui opte pour du “NS” à la capacité de rendre le taux de pénétration extrêmement faible à l’échelle de son territoire », souligne le pharmacien.
En bref, « il ne faut pas s’enflammer trop vite sur le taux de pénétration de toutes les molécules », tient à résumer Julien Chauvin. L’expert anticipe plutôt une opportunité économique « en deux temps » pour l’officine.
Un premier temps d’abord dans les deux à trois ans à venir, « où l’économie pour les comptes sociaux ne sera pas spectaculaire, car les prix des bioréférents commercialisés depuis plus de 6 ans vont baisser pour tendre vers celui des biosimilaires », indique Julien Chauvin. Ce premier temps sera, avant tout, l’occasion de faire entrer dans la pratique et l’esprit des patients la substitution au comptoir.
Puis, dans un second temps, « une fois que la mécanique sera bien enclenchée, de nouveaux médicaments biologiques vont arriver, avec des écarts de prix considérables. Ce sont alors des centaines de millions d’euros qui seront économisés grâce à la substitution ». Avec l’explosion des médicaments biologiques à venir dans les dix prochaines années, « l’Assurance maladie aura beaucoup de chance de nous avoir », sourit encore le pharmacien. ■
Tiers payant contre biosimilaire ?
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Pédagogie et communication au comptoir
“ L’objectif n’est pas de substituer tous azimuts. ”
L’extension de la substitution à 9 groupes de médicaments biologiques est assujettie à quelques impératifs au comptoir.
Retour sur les points de pédagogie à adopter.
Les économies pour le système de santé sont évidemment le premier argument mis en avant par Arnaud Daguet, pharmacien titulaire à Châteauroux, pour expliquer sa satisfaction à l’élargissement de la liste des groupes biologiques similaires substituables à 9 molécules fin février.
Pour autant, le Castelroussin, très à l’aise sur le sujet, fort d’une expérience de plusieurs années dans un laboratoire du CNRS spécialisé dans ces traitements, pense aussi aux premiers concernés par l’extension de cette liste : les patients. Conscient aussi du discours à roder, à parfaire, pour expliquer au mieux à tous, et rassurer les plus réticents à la substitution, à laquelle ils sont d’ailleurs parfaitement libres de s’opposer.
La même efficacité
« Contrairement aux génériques, pour lesquels il n’existe que des études de phase 1 qui évaluent la sécurité et la tolérance vs princeps, le médicament biosimilaire doit suivre des études de phase 1 et de phase 3, et ainsi démontrer en plus son efficacité clinique », rappelle ainsi Arnaud Daguet. C’est donc vraiment important de rassurer le patient en expliquant qu’il s’agit d’un médicament qui a la même efficacité que le traitement d’origine ».
Autre élément essentiel, selon lui, mentionné dans l’arrêté du 27 février, la démonstration du nouveau dispositif d’injection à l’aide des dispositifs médicaux (DM) factices fournis par les laboratoires. « Dès que les patients ont le DM entre les mains, qu’ils voient à quoi il ressemble, comment l’utiliser, l’appréhension diminue. » Un véritable prérequis à toute première substitution ou délivrance d’un médicament biosimilaire, à proposer « même si le patient a déjà bénéficié d’éducation thérapeutique à l’hôpital ».
Dernier élément à ne pas omettre : l’information du prescripteur lors de la première substitution. Une obligation selon l’arrêté, mais qui doit devenir un réflexe pour Arnaud Daguet, également coprésident de la CPTS de Châteauroux, naturellement impliqué dans l’interprofessionnalité. « À chaque substitution de médicament biologique, vaccination, on le note dans le dossier médical partagé et on prévient le médecin par message sécurisé ». Viendront ensuite tous les éléments « classiques » d’une délivrance, notamment lors des renouvellements : bonne tolérance, observance correcte et absence d’effets indésirables.
La communication : la clé
Forcément, le degré d’explication va différer selon les situations. En cas de traitement pour un trouble aigu, avec de l’énoxaparine par exemple, « moins d’explications seront à fournir qu’avec un traitement pour une maladie chronique », illustre Arnaud Daguet. Là encore, le pharmacien oppose deux situations. « Pour les patients en initiation, cela devrait être assez simple aussi. En revanche, ceux déjà sous traitement par un médicament biologique de référence depuis un certain temps risquent d’être plus craintifs de voir le traitement de substitution être moins efficace, et peut-être demander un certain temps d’adaptation. »
D’où l’importance selon lui d’apporter un soin particulier à sa communication. « Ensuite, les patients reviennent vers nous si besoin. Grâce à la vaccination, nous disposons de cabines dans la plupart des pharmacies pour s’isoler et prendre du temps pour la discussion. La problématique avec tout traitement injectable est que dans l’esprit des patients, c’est une voie qui est synonyme de gravité ou d’aggravation de la maladie, alors qu’au contraire elle permet souvent un meilleur contrôle. »
Rien ne sert de courir
Aussi, avec ce passage à 9 groupes biologiques substituables par le pharmacien, Arnaud Daguet préconise d’avancer progressivement, en ciblant, par exemple, prioritairement les patients bien connus de l’officine. « C’est tout récent, et l’objectif n’est pas de substituer tous azimuts. L’équipe doit aussi se former au discours », explique-t-il, tout en comprenant la réticence des médecins spécialistes et des associations de patients. « Ce sont des années de transition. Inutile de brusquer les choses, tout va se faire naturellement, dans un climat de confiance, entre les 3 acteurs, le patient, le prescripteur et le pharmacien d’officine. C’est fondamental. » ■
Les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde inquietsOpposée à la substitution des biosimilaires en officine, Sonia Tropé, directrice de l’Association nationale de défense contre l’arthrite rhumatoïde (ANDAR) explique pourquoi. Revue Pharma : Quelle est la position de votre association sur l’extension de la liste des groupes biosimilaires substituables par le pharmacien ? Sonia Tropé : Je ne vais pas vous mentir : nous étions farouchement opposés à l’extension de cette liste. Que le choix final du traitement dans une pathologie chronique comme la polyarthrite rhumatoïde (PR), maladie évolutive grave, aux lésions parfois irréversibles, soit laissé au pharmacien ne nous paraît pas pertinent. Cela nous inquiète, autant pour le suivi des événements indésirables, notamment leur imputabilité en cas de passage d’un traitement à l’autre, que pour le contrôle de la maladie, puisque les systèmes d’injection varient entre les dispositifs, ce qui peut poser des problèmes d’adhésion. Quelles sont vos inquiétudes pour les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde ? Comme la PR touche le plus souvent la main, l’administration peut être plus compliquée avec certains systèmes d’injection. À l’arrivée des biosimilaires en rhumatologie, les praticiens se sont justement mis à la page pour être en mesure d’accompagner au mieux les patients, mais aussi leur faire accepter un passage vers ces traitements. Désormais, comment faire comprendre à un patient, qui a déjà accepté un biosimilaire dans l’intérêt du système de santé, de s’en voir délivrer un autre ? Quelle est la motivation à accepter quand on vit avec une maladie chronique lourde et qu’on a connu des périodes où on ne pouvait même pas se lever ? Quelles sont vos attentes vis-à-vis des pharmaciens ? Tout d’abord, qu’ils respectent les conditions de l’arrêté, en accompagnant le patient dans le choix du dispositif le plus adapté à sa main, par exemple, lorsque le prescripteur ne l’a pas spécifié sur l’ordonnance. Surtout, que les pharmaciens ne perdent pas leur objectif de professionnel de santé : le bien-être du patient. Quitte à mettre parfois au second plan l’aspect purement financier. Dans le cadre de la PR, il est question de patients chroniques, qui vont potentiellement solliciter le pharmacien pour d’autres maux. Aussi, avoir une vision à long terme, écouter son patient et ne pas rompre la confiance avec lui sont essentiels. La délivrance d’un biosimilaire doit être, in fine, favorable à tout le monde, au système de santé, au pharmacien, mais surtout aux patients. |