Tramadol et codéine sur ordonnance sécurisée : la mesure reportée au 1er mars 2025, inquiétudes autour du risque « d’opiophobie »

Trois mois de répit. Face à la gronde des soignants et aux risques de menace de prise en charge de la douleur, l’Agence du médicament a annoncé le report de la mesure de passage sur ordonnance sécurisée du tramadol et de la codéine. Initialement prévue pour le 1er décembre, elle aura finalement lieu le 1er mars 2025.

« La réduction de la durée maximale de prescription des médicaments contenant de la codéine ou de la dihydrocodéine à 12 semaines est également différée au 1er mars 2025 », fait savoir l’Agence. Un délai supplémentaire pour « permettre de faciliter la transition vers ces nouvelles mesures pour les professionnels de santé et assurer aux patients l’accès à leurs traitements ».

Une menace sur la prise en charge ?

Annoncé fin septembre, ce passage sur ordonnance sécurisée du tramadol et de la codéine avait été qualifié de précipité par une partie des confrères. Philippe Besset, président de la Fédération de syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) avait ainsi dénoncé « l’empressement de l’ANSM », qui « menaçait la prise en charge de la douleur ».

Principale raison avancée par le syndicat : l’exécution des ordonnances sécurisées au format numérique, pas encore intégrées dans certains LGO, source de potentiels couacs lors de la délivrance. « Ce délai précipité ne laisse aux pharmaciens que deux choix aussi insatisfaisants l’un que l’autre : perdre un temps conséquent pour obtenir une ordonnance papier conforme voire, dans des cas assez fréquents tels que l’injoignabilité du prescripteur, refuser purement et simplement la dispensation du traitement », regrettait alors le syndicat, qui « n’acceptait aucun de ces choix ».

Les spécialistes de la douleur mettent en garde contre un risque d’opiophobie 

Le 20 novembre dernier, la Société française d’étude et traitement de la douleur (SFETD) a pour sa part mis en garde contre un risque « d’opiophobie ». « La crainte des dérives ne doit pas conduire à une opiophobie, qui risque d’aggraver le phénomène d’oligoanalgésie (insuffisance à reconnaître et à fournir une analgésie chez les patients souffrant de douleur) déjà présent en France, notamment dans des situations d’urgence », alerte la Pr Valéria Martinez, présidente de la SFETD, par voie de presse.

Alors que 12 millions de Français se voient prescrire des opioïdes chaque année, et que cette consommation en hausse inquiète, la SFETD rappelle que la situation en France est « sans commune mesure » avec la crise des opiacés aux États-Unis. « Nous devons autant nous soucier des risques liés à une surprescription que de ceux liés à une sous-prescription lorsque les opioïdes sont nécessaires », souligne même la Pr Valéria Martinez.

Pas opposée à une prescription sécurisée pour autant, la société savante met toutefois en garde contre une mesure précipitée, alors que les logiciels ne sont pas adaptés et que les ordonnanciers sécurisés risquent de manquer dans les temps impartis.

« L’éducation des patients, la formation à la douleur des étudiants en médecine et la formation continue pourraient être des leviers bien plus efficaces que la peur ou des restrictions excessives imposées aux prescripteurs », tranche ainsi la SFETD.

17% d’ordonnances suspectes pour le tramadol

Pour rappel, selon l’enquête DTA 2022, 135 décès liés aux opioïdes (faibles et forts) ont été recensés dans toute la France. Soit un taux de décès d’environ 0,2 décès pour 100 000 habitants. « Un chiffre 100 fois inférieur à celui des États-Unis », rappelle la SFETD.

En parallèle, selon l’enquête OSIAP, le pourcentage d’ordonnances suspectes concernant le tramadol est passé de 6,9 % en 2013 à 17 % en 2022. Sur environ 2 600 ordonnances falsifiées, 457 concernaient le Tramadol, 416 la codéine pour ses spécialités antitussives et 293 pour des indications contre la douleur.