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Entretien cancéro : quand la croix verte passe au rose

À l’occasion d’Octobre Rose, La Revue Pharma a recueilli le témoignage de trois pharmaciens qui proposent un accompagnement à leurs patients sous traitement anticancéreux.

L’oncologie à aborder aussi lors des bilans de prévention !

Depuis janvier 2024, les pharmaciens, au même titre que les autres professionnels de santé, peuvent proposer des bilans de prévention à leur patientèle à quatre âges clés, entre 18 et 25 ans, 45 et 50 ans, 60 et 65 ans, 70 et 75 ans. L’objectif est de permettre un échange sur certaines thématiques de prévention comme les maladies cardiovasculaires, la sédentarité, et plus généralement certaines habitudes de vie. Or en oncologie particulièrement, la précocité du diagnostic a un impact fort sur la guérison. L’Institut national du cancer (INCa) le rappelle encore dans son panorama des cancers 2023 en évoquant l’évolution du taux de mortalité standardisé entre 2010 et 2018. « La diminution globale de la mortalité est le résultat de diagnostics plus précoces et d’avancées thérapeutiques importantes, notamment parmi les cancers les plus fréquents », cite l’INCa. Ces bilans, en abordant les antécédents familiaux et certaines habitudes comme le tabagisme ou la consommation d’alcool, permettraient aussi d’améliorer la prise en charge des patients. En jouant sur la prévention cette fois. 

 

Depuis 4 ans, le pharmacien d’officine peut accompagner ses patients sous traitement anticancéreux par voie orale par le biais d’entretiens pharmaceutiques rémunérés, à l’instar de ceux pour les anticoagulants oraux ou les corticoïdes inhalés pour l’asthme. En pratique, cet accompagnement se découpe en trois entretiens la première année et deux les années suivantes. Trois pharmaciens partagent leur expérience, alors que certains s’adonnaient déjà à cette mission avant même qu’elle soit conventionnée. 

« La convention a permis de structurer les choses », se réjouit Jérôme Sicard, pharmacien à Châlons-en-Champagne, dans la région Grand Est. Le titulaire marnais connaît bien le sujet : ses premiers entretiens thérapeutiques en cancérologie remontent à son installation, en 2010, après un passage dans l’industrie pharmaceutique. « Cette expérience m’a permis d’acquérir un bagage en oncologie et de suivre les patients d’une manière un peu différente. Donc, très tôt, j’ai proposé des entretiens dans une zone de confidentialité aux patients », rajoute-t-il. 

À une quarantaine de kilomètres à l’ouest, à Épernay, Caroline Masset, propose, elle aussi, cet accompagnement à la patientèle de son officine depuis 2021. La titulaire explique cette volonté. « La pandémie a un peu bouleversé nos habitudes. Avant, le pharmacien se positionnait principalement derrière le comptoir, mais avec le Covid, il a développé de nouvelles compétences, hors comptoir, souvent dans un espace de confidentialité. Ces temps d’échanges, parfois courts, m’ont permis de découvrir de nouvelles relations avec les patients et de voir mon métier différemment. » 

 

Plus simple en initiation

Désormais, Caroline Masset propose systématiquement un accompagnement à tout patient qui débute un traitement par chimiothérapie orale. « C’est relativement facile de capter l’attention à ce moment-là, car le patient vient d’avoir le diagnostic et a besoin de toutes les informations possibles », explique-t-elle. La pharmacienne concède toutefois davantage de difficultés avec les patients dont le traitement est déjà instauré, en particulier en hormono­thérapie. « Dans ce cas-là, je leur explique que cela fait partie des nouvelles missions confiées au pharmacien et que s’ils en ressentent le besoin, c’est possible. Mais c’est sûr que c’est moins spontané et donc plus difficile de convaincre », détaille Caroline Masset.

Jérôme Sicard, qui anime le module « entretiens pharmaceutiques » de la certification nationale Oncopharma lancée par le groupement Totum, abonde en ce sens. « C’est la difficulté que rencontrent certains confrères. En initiation, c’est fluide, mais quand cela fait trois ans qu’un patient est sous traitement, il vous regarde un peu en chien de faïence en vous disant « ça fait trois ans que vous me suivez à la pharmacie et vous ne m’avez jamais proposé ça ». C’est là qu’il faut avoir des arguments à présenter, car un entretien ne doit pas tomber comme un cheveu sur la soupe. » 

Cette difficulté, Hélène Valque, titulaire à Beaurains dans les Hauts-de-France, confie ne pas y avoir été trop confrontée. Après avoir vendu son officine en 2013, elle a exercé en milieu hospitalier, où elle s’occupait de l’unité de chimiothérapie, mais aussi de l’éducation thérapeutique. À sa réinstallation en 2019 et après l’obtention d’un DU de pharmacie clinique en oncologie de l’Université de Lille, elle décide de développer les entretiens dans son officine. « J’expliquais aux patients que je venais du milieu hospitalier et que j’avais travaillé justement en unité de production de chimiothérapie et donc je proposais un accompagnement sur l’alimentation, l’automédication, les effets indésirables. Je le présentais ainsi et cela s’est fait assez naturellement », explique-t-elle.  

 

Savoir-être, savoir-faire et interpro

Hélène Valque insiste sur la particularité de l’accompagnement en oncologie et de la posture à adopter, différente de celle des autres entretiens. « On ne peut pas faire un entretien en oncologie avec un patient en lui posant des questions à la suite, explique-t-elle en référence au questionnaire de la CPAM. « Si, vraiment, je veux un accompagnement complet, je dois démarrer par “je vous écoute, racontez-moi votre histoire ”, et je le laisse parler. Cela me permet aussi de voir comment le patient parle de sa maladie et d’utiliser les mêmes mots que lui. Par exemple, s’il n’emploie pas le mot cancer, je ne l’emploierai pas non plus. » Elle complète par la suite son accompagnement de quelques questions pour éventuellement recueillir les réponses manquantes dans le cadre du questionnaire.  

« Écoute, bienveillance et empathie sont les trois éléments majeurs dans la relation, estime pour sa part Jérôme Sicard. Bien entendu, je parle d’écoute active : le pharmacien doit être comme une éponge : il absorbe tous les signaux envoyés par le patient et est attentif à ce qu’il se passe. » Exit donc l’approche paternaliste, « la relation, il faut la construire », poursuit-il. 

Toujours dans le rejet de cette approche sachant/profane, le Châlonnais, bien qu’il reconnaisse la nécessité d’un bon socle de connaissances en oncologie, met en avant le droit de ne pas savoir. « Certains pharmaciens ont énormément de mal avec cela, explique-t-il. La cancérologie, c’est tellement large, tellement technique, ça évolue tellement vite… En revanche, ce qu’il faut savoir faire c’est trouver la bonne information au bon endroit ». Puis, revenir vers le patient un peu plus tard avec les bonnes réponses. 

Savoir l’orienter vers d’autres professionnels, plus à même de satisfaire ses besoins, est aussi un point essentiel. « Il faut être en connexion avec les compétences disponibles au niveau de son territoire, c’est très important. La cancérologie, c’est également connaître son territoire », estime Jérôme Sicard. Onco-esthéticienne, oncopsychologue, dermographiste médical, kinésithérapeute spécialisé dans le cancer du sein…, il existe tout un pan de professions, médicales ou non, vers qui orienter le patient en fonction de ses besoins. 

 

Sortir des sentiers battus 

Il est commun, aussi, que les entretiens échappent au cadre de la convention. Que ce soit dans les sujets abordés, ou en élargissant le recrutement aux patients qui suivent d’autres traitements anticancéreux. « Environ 80 % des patients que j’accompagne n’ont pas de chimiothérapie orale, cite Hélène Valque. Ensuite, je vais au-delà, en abordant les soins de support ou l’équilibre alimentaire par exemple. »

Autre limitation, selon la pharmacienne du Pas-de-Calais : le cadencement de cet accompagnement. Après l’entretien initial, la convention prévoit deux autres entretiens la première année, respectivement sur les effets indésirables et l’observance. « Clairement, sur le terrain, ce n’est pas adapté, regrette Hélène Valque. En général, avec mes patients, je vais réaliser un entretien tous les 3 mois ». La consœur pencherait plutôt pour une approche de suivi « plus intensive dans les 6 premiers mois » et un accompagnement « aux besoins du patient » par la suite. « En effet, il y a également un accompagnement psychologique qui ne se fait pas à date fixe. Il faut être là quand le patient a besoin de nous », ajoute-t-elle. 

« À partir du moment où on organise et on propose des entretiens, cela veut dire que des entretiens seront informels et sortiront du cadre de la convention », enchérit Jérôme Sicard. La convention a permis une systématisation du recrutement, un cadre, mais c’est vraiment en fonction des patients, de la disponibilité de l’équipe, que l’on va proposer des entretiens ».

Il y a également tout un accompagnement psychologique qui ne se fait pas à date fixe. Il faut être là quand le patient a besoin de nous. »

Hélène Valque, titulaire dans les Hauts-de-France

 

 

Embarquer toute l’équipe

Si les entretiens sont souvent menés par le titulaire, c’est bien l’ensemble de l’équipe officinale qui est sur le front. Hélène Valque explique que dans son officine, « toute l’équipe est formée sur des spécificités » : nutrition/micro­nutrition, prise en charge de la douleur ou encore sur les prothèses mammaires. « La mise en place d’entretiens nécessite que l’ensemble de l’équipe soit au courant de la démarche et sache l’expliquer au patient », confirme Jérôme Sicard. 

Caroline Masset y voit pour sa part un choix stratégique. « C’est au titulaire d’intégrer cette pratique dans les tâches du quotidien, comme une réception de commande ou la gestion de tel ou tel laboratoire. Cela demande énormément de patience et de pédagogie, car ce n’est pas obligatoire, mais aussi parce que c’est nouveau, donc pas encore mis en place par tout le monde. »

Les trois pharmaciens citent d’ailleurs comme principale difficulté le temps requis par ces entretiens, qui viennent s’ajouter à d’autres missions, elles aussi chronophages. « C’est une question de priorité, détaille Caroline Masset, qui prend l’exemple des bilans partagés de médication qu’elle-même et son cotitulaire réalisent. « Cet été, nous étions presque à un bilan partagé par jour quand nous étions là. La raison est que nous nous sommes donnés le temps de le faire. »

Jérôme Sicard estime qu’il « faut lever les freins qui viennent polluer la possibilité au patient de bénéficier de ce type de suivi inégalable. Je conseille aux pharmaciens de démarrer avec des patients qu’ils connaissent, sur des thérapeutiques “faciles d’accès”, et après, élargir sur des théra­peutiques peut-être plus complexes. Il n’y a aucune obligation. » Et de conclure : « l’important est que cela serve au patient ». ■

 

Que prévoit le dernier avenant pour les entretiens ? 

Signé en juin dernier, l’avenant 1 à la convention pharmaceutique apporte deux changements notables pour l’accompagnement pharmaceutique des patients chroniques. Une revalorisation des bilans partagés de médication, mais surtout la possibilité, à partir du 1er janvier 2025, pour le pharmacien de facturer chaque entretien à l’acte, et non plus 12 mois après la facturation précédente.  

Une ROSP exceptionnelle de 400 euros sera également accordée pour la réalisation d’au moins un entretien (cancéro, AVK, AOD, asthme, BPM…) en 2024. Elle sera versée au « premier semestre 2025 » précise l’avenant. 

Pour rappel, voici la rémunération associée à l’accompagnement pharmaceutique des patients sous anticancéreux par voie orale.