Les protocoles de coopération peuvent désormais entrer en application dans toutes les pharmacies. L’occasion d’évoquer la mission de premier recours qui prend son essor en officine et l’exercice coordonné, qui vient en appui des pratiques professionnelles.
Les protocoles nationaux de coopération sur la cystite et l’odynophagie sont accessibles depuis mars à toutes les officines, nécessitant une formation pour les mettre en application. Jusqu’alors réservés aux pharmaciens exerçant en structure d’exercice coordonné, ces protocoles peuvent donner lieu à la dispensation d’un antibiotique après réalisation d’un test rapide d’orientation diagnostique (Trod) en officine. « La cystite du samedi après-midi est compliquée à gérer. L’idée était de sécuriser une pratique que les pharmaciens adoptaient déjà pour dépanner », rappelle Guillaume Racle, pharmacien à Épernay (Marne) et conseiller pour l’économie et l’offre de santé à l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Cofondateur de la communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) Nord Aisne, il témoigne de l’accueil favorable de cette pratique sur son territoire lors de la table ronde « Premier recours et prescription pharmaceutique : prenez votre place dans le parcours de soins du patient ! » organisée aux Rencontres de l’Officine le 27 janvier 2024 à Paris. La CPTS Nord Aisne s’étend sur 36 communes avec seulement 7 médecins généralistes et sans permanence de soins, sans maison médicale de garde et avec un service d’urgence accessible à plus d’une demi-heure de voiture. Selon Guillaume Racle, cette protocolisation vise à créer un intermédiaire entre la prescription médicale et le conseil officinal en fixant un cadre par l’élaboration et l’application d’un arbre décisionnel. « C’est rapide, sécurisé et coordonné. Sur l’ensemble des CPTS, il n’y a pas eu de remontées d’incidents », assure le pharmacien marnais. Il serait opportun d’adjoindre à cette nouvelle pratique un recours à la télémédecine et à la téléexpertise, estime-t-il. « Entre 10 et 15 autres protocoles pourraient voir le jour, notamment sur la conjonctivite bactérienne et les petites blessures. »
Peut-on parler de « prescription pharmaceutique » ?
C’est un débat sur les mots qui ne sera pas tranché. « Les termes de prescription et de consultation accolés aux pharmaciens sont crispants, clivants et cela n’est pas à la hauteur de l’enjeu », relève Sophie Tallaron. Le médecin généraliste Martial Jardel est réticent à ces appellations. « Parler de dispensation protocolisée me paraît plus juste que prescription pharmaceutique. Une prescription est la résultante d’un choix, d’une prise de responsabilité alors que le pharmacien est ici dans le cadre d’un protocole où il y a une déresponsabilisation du choix par le logigramme. » Pour Agathe Peigné, la prescription des vaccins, c’est le terme officiel. « Pour la dispensation protocolisée des antibiotiques, cela doit l’être aussi », considère-t-elle. Guillaume Racle défend cette position. « D’abord pour rendre lisibles et abordables les nouvelles pratiques officinales aux yeux de la population. Et c’est important aussi vis-à-vis des autorités de tutelle. Quand on prescrit un vaccin, nous n’avons pas la même responsabilité que quand on le dispense et on l’administre. C’est un acte qui doit être valorisé. » Le pharmacien relativise : « Nous ne réalisons pas une prescription blanche, mais une prescriptio-n-type ».
Des logigrammes qui sécurisent
Titulaire à Montpezat-sous-Bauzon (Ardèche) et présidente du groupement Pharm-Upp, Sophie Tallaron applaudit la mise en place de ces protocoles qu’elle assimile à une démarche de soins non programmés : « Il existe un enjeu majeur d’accès aux soins et nous y répondons en proposant un premier recours. À travers le conseil officinal, le pharmacien gère un certain nombre de situations qui ne nécessitent pas d’être protocolisées. Pour d’autres, des arbres décisionnels sont coconstruits avec les médecins, permettant de nous entendre sur une base et d’éviter les mauvaises interprétations. Cela ne concerne pas seulement la prise en charge, mais aussi la capacité d’être orienté. » Cette mission de premier recours offre de nouvelles perspectives à la profession. « Elle donne de la visibilité au métier de pharmacien auprès des jeunes et booste l’attractivité vers nos études, relève Agathe Peigné, étudiante en 4e année de pharmacie à Tours et vice-présidente en charge des perspectives professionnelles à l’Anepf. Comme future officinale, elle assure ne pas avoir de complexes vis-à-vis des médecins. Pour l’étudiante, il ne s’agit pas de « voler des tâches à un autre professionnel, mais de les répartir avec lui au bénéfice de la population. C’est reconnaître les compétences de chacun tout en se cantonnant aux siennes. La décision finale et les cas compliqués reviendront toujours au médecin. » Omnipraticien, cofondateur et président du collectif Médecins solidaires, le Dr Martial Jardel temporise l’enthousiasme des pharmaciens. « Nous sommes d’accord pour réfléchir à de nouveaux équilibres entre professionnels de santé, reconnaît-il. Et puis on ne peut pas dire qu’on a trop de travail et en même temps ne pas vouloir partager ». S’il est favorable aux protocoles de coopération, le praticien estime que des limites sont à ne pas franchir : « Il y a toujours eu une porte étanche entre celui qui prescrit et celui qui délivre, celui qui touche, qui soigne le patient et celui qui analyse la prescription et fournit les médicaments. Cette étanchéité s’efface. » Ce à quoi Guillaume Racle renchérit : « Parfois, la seule étanchéité qui existe est entre le remboursement du traitement que le patient vient chercher auprès du médecin et le conseil du pharmacien qu’il doit payer ». La frontière est surtout celle du diagnostic clinique. « Nous sommes incapables d’aller regarder un tympan. C’est au médecin de dire s’il y a une otite. Mais il a mieux à faire que de s’occuper d’un mal de gorge ! » Martial Jardel voit une dichotomie entre les pratiques médicales et officinales : « On ne rame pas dans le même sens. Dans notre formation, nous apprenons à nous méfier de l’industrie pharmaceutique et à rédiger des ordonnances dans lesquelles est inscrit que ce qui est nécessaire et prouvé par la science. Alors que dans certaines pharmacies, on trouve un bric-à-brac extraordinaire de produits qui peuvent tout soigner. Plus le pharmacien vend de médicaments, mieux il vit. »
L’atout de l’exercice coordonné
Allant au-delà de ces considérations, le regroupement en CPTS ou en maison de santé pluriprofessionnelle (MSP) constitue un appui aux pratiques professionnelles. Sophie Tallaron exerce au sein d’une MSP multisite depuis près de 8 ans. « Cela ne marche que si les professionnels s’engagent et que l’on a envie de travailler ensemble, souligne la pharmacienne. Elle est cependant dubitative concernant les CPTS. « La notion de territorialité élargie fait que les professionnels peuvent ne pas avoir de patients en commun. Du fait de la distance géographique, on ne se connaît pas et c’est parfois difficile d’entrer en confiance pour déléguer avec les protocoles. Je suis parfois surprise qu’on veuille faire entrer au chausse-pied et de manière systématique une ou plusieurs MSP dans une CPTS. » Guillaume Racle admet que les CPTS aux dimensions très élargies peuvent perdre en performance. « La force du dispositif, c’est l’humain et la proximité. Dire à un médecin qu’il s’est peut-être trompé ou gérer une situation conflictuelle quand on ne se connaît pas, cela ne marche pas. Quand on a créé un lien humain, nous ne sommes plus dans la défiance. » L’effet négatif des MSP monosites est qu’elles fonctionnent comme un « aspirateur à médecins ». Les CPTS permettent de limiter ce phénomène. Dans leur fonctionnement de tous les jours, le pharmacien voit « une vraie différence entre ceux qui travaillent en équipe et les autres. Dans les officines, nous avons l’habitude de nous confronter à différents points de vue. » ■
Où en est Osys ?
L’expérimentation « article 51 » Osys affiche aujourd’hui 3 200 situations de triage en officine. Lancé en Bretagne en 2021, le dispositif s’est étendu en janvier à la Corse, l’Occitanie et le Centre-Val de Loire. Il se limite désormais à six situations : plaies simples, piqûres de tiques, brûlures du premier degré, douleurs pharyngées, conjonctivites et cystites. Les pharmaciens participants ont aussi été autorisés à mettre en œuvre les protocoles nationaux avec dispensation de médicaments après réalisation d’un TROD en dehors d’une structure d’exercice coordonné. Le pharmacien n’a plus la nécessité d’appuyer cette prise en charge sur la délégation d’un médecin, mais il doit l’en informer systématiquement, au moyen du dossier médical partagé (DMP).