Lorsqu’il n’est pas planifié, l’arrêt maladie d’un collaborateur peut désorganiser le bon fonctionnement de l’officine. Quelques clés pour bien aborder la situation et manager ses équipes.

Les principaux risques professionnels en officine
• Chutes : sols, allées et escaliers encombrés ou glissants, rayonnages en hauteur, moyens d’accès aux rangements en hauteur inadaptés…
• Contagions ou infections
• Douleurs au dos et aux articulations : absence d’aide à la manutention (chariots, rolls…), postures contraignantes lors de la mise en rayons (flexions, inclinaisons), gestes répétitifs…
• Agressions, stress : difficultés avec la patientèle, vols, longues journées de travail, charge de travail mal équilibrée…
Source : INRS
Depuis cinq ans, le taux d’absentéisme dans le secteur privé en France s’est envolé. De 5,54 % en 2019, il plafonne désormais à 6,7 % en 2022, soit une augmentation de 21 %. Et l’officine est loin d’être épargnée. Douleurs lombaires, articulaires, chutes, charge de travail inadaptée, relation difficile avec la patientèle, gestion du stress et des agressions… 110 000 journées sont perdues chaque année en pharmacie, selon l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS).
Aussi, en 2023, la moitié des accidents en officine était liée à des chutes, 42 % à la manutention manuelle. En moyenne, un salarié était arrêté 268 jours pour une maladie professionnelle, 85 jours pour un accident du travail. « Évolution de la réglementation, contraintes économiques, exigences clients, horaires décalés liés aux gardes de nuit : les pharmaciens d’officine sont confrontés à de nombreux défis », note l’INRS.
Et quand un arrêt maladie inopiné tombe au sein de l’équipe, il risque de déstabiliser toute l’organisation de l’officine. « Lorsqu’un arrêt est reconduit toutes les deux semaines, voire des mois, le titulaire est dans l’expectative. C’est cette attente qui va mettre tout le monde sous tension », met en garde Mireille Soubrenie, consultante et coach pour les pharmaciens d’officine, Synopsis Management.
La pire erreur ? « Ne pas communiquer »
Premier piège à éviter donc : « ne rien dire ! », martèle l’experte du management, qui conseille aux titulaires d’adopter « la communication la plus transparente possible auprès de son équipe ». Pour cela, elle préconise de mettre en place une réunion d’équipe, « un lieu d’apprentissage pour éviter les tensions et le stress ». Ce temps d’échanges doit permettre d’identifier les tâches réalisées par le collaborateur en arrêt maladie, puis de les répartir dans le reste de l’équipe.
« Il existe quatre catégories de tâches : celles qui sont importantes et urgentes, les importantes, mais non urgentes, celles qui sont urgentes, mais pas importantes, et enfin les tâches non importantes et non urgentes », résume Mireille Soubrenie. Aussi, lors de la répartition de la charge de travail du salarié absent « identifiez bien les tâches qui peuvent être reportées », souligne la coach, pour éviter la surcharge de travail.
Effet boule de neige
Sans communication, sans partage d’expériences, et sans répartition claire des tâches à réaliser, « on risque l’éparpillement, qui peut conduire à un effet boule de neige si l’absence est mal gérée », anticipe Mireille Soubrenie, qui illustre : « si un préparateur est en arrêt maladie alors qu’il réceptionnait les commandes, il vaut mieux désigner quelqu’un d’attitré pour effectuer cette tâche pendant son absence, car si tout le monde l’effectue un peu, cela signifie que personne ne le fait réellement ».
Autre écueil : ne pas savoir déléguer. « Le risque lors d’un arrêt maladie prolongé est que le titulaire prenne tout en charge, ou que tout retombe sur un collaborateur consciencieux », alerte-t-elle encore.
Intensifier l’activité ?
« La tension est de toute façon inévitable, car une absence de longue durée entraîne une intensification de l’activité sur le reste de l’équipe », abonde Thomas Morgenroth, enseignant-chercheur et professeur de droit à la faculté de pharmacie de Lille. Il note qu’elle peut aussi induire « des désagréments de la part de la patientèle si l’attente est trop longue ». Aussi, pour ne pas atténuer la qualité du service, il convient de redéfinir le planning de l’équipe.
Le titulaire a alors dans ses mains deux outils : « un remplacement via un CDD, mais on ne sait jamais si l’arrêt va être de longue durée ou pas, et l’augmentation temporaire de l’activité officinale », détaille Thomas Morgenroth. Alors que l’officine fait face depuis trois ans à une pénurie de main-d’œuvre, « la loi permet de recourir à une augmentation du temps de travail de l’équipe, via des heures supplémentaires, mais aussi de faire basculer temporairement les salariés de l’officine à temps partiel vers un temps complet », ajoute l’enseignant. Dans ce cas, il convient de faire un avenant conventionnel au contrat.
La convention collective prévoit la possibilité de rédiger jusqu’à 5 avenants par contrat, par personne et par an. « Toutefois, ce plafond ne s’applique pas en cas de remplacement d’un salarié absent nommément désigné », précise Thomas Morgenroth. « On pourra augmenter par un avenant la durée de travail d’un salarié à temps partiel pour pallier, un temps, les difficultés, pour revenir ensuite, avec un nouvel avenant, à la durée initiale. Cette modification reste néanmoins soumise à accord préalable du salarié », détaille-t-il.
Un salarié à temps partiel peut bien sûr refuser d’augmenter son temps de travail. Sans oublier que « le surcoût pour l’employeur n’est pas le même, tient à souligner Thomas Morgenroth. Pour un avenant de passage à temps complet, la majoration est de 15 %. En revanche, pour des heures supplémentaires au-delà de 35 heures hebdomadaires, elle est de 25 % voire 50 % ».
Dernière corde à son arc, le titulaire a la possibilité d’opérer une modulation unilatérale du temps de travail, mais sur une période limitée à 9 semaines pour les entreprises de moins de 50 salariés, « pour ensuite compenser par des semaines moins chargées ; c’est une solution dans l’urgence », précise le maître de conférences.
Constater l’inaptitude
« À terme, s’il n’y a pas de perspective de retour du salarié dans l’entreprise, il faut commencer à organiser son remplacement par une personne en CDI, et organiser la rupture de l’ancien CDI », indique Thomas Morgenroth. Et la loi interdit à l’évidence de licencier un salarié pour des raisons de santé.
Dans ce cas de figure, « la voie la plus classique est le licenciement pour inaptitude, qui nécessite de faire un constat d’inaptitude par la médecine du travail et avec le salarié qui décide ou non de constater son inaptitude partielle ou totale », détaille-t-il encore. Une procédure qui prend du temps.
« Aussi, le licenciement pour désorganisation de l’entreprise a été admis, mais encore faut-il pouvoir prouver que l’absence du salarié entraîne une problématique de ressource humaine importante, avec l’impossibilité matérielle de le remplacer », met en garde Thomas Morgenroth, qui rappelle que le risque est le recours prudhommal.
Remercier et valoriser
Dans tous les cas, le titulaire devra mettre les mains dans le cambouis, être davantage présent au comptoir, voire adapter ses horaires d’ouverture du fait d’une restriction de personnel. « Des choix compliqués à prendre », concède Thomas Morgenroth.
Pour Mireille Soubrenie, cette situation doit aussi être l’occasion de « remercier les collaborateurs de leur investissement, de remettre à plat l’organisation de l’officine et ne pas hésiter à faire évoluer d’un point de vue mission et salaire celles et ceux qui se sont investis ». ■
Ai-je le droit de contacter mon salarié pendant son arrêt ?
« L’employeur doit respecter la vie privée du salarié, mais cela ne lui interdit pas de le contacter pour des raisons de bon fonctionnement de l’officine, par exemple pour obtenir un code d’accès d’un logiciel. Dans la jurisprudence, un salarié avait été jugé car il avait refusé de communiquer un code d’accès à son entreprise et cela avait été considéré comme un comportement déloyal. Toujours est-il qu’il faut laisser le salarié tranquille et se reposer ».
Thomas Morgenroth