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Pénuries de médicaments : l’enquête du Sénat très sévère vis à vis des labos et du gouvernement

Cinq mois d’enquête, près de 120 personnalités auditionnées, dont 8 ministres : ce jeudi 6 juillet, le Sénat vient de rendre publiques les conclusions de sa commission d’enquête sur les pénuries de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique. Un rapport – lancé début 2023 par le groupe communiste du palais du Luxembourg – très critique vis-à-vis de la gestion politique du médicament et des labos pharma.

Les sénateurs ont ainsi formulé 36 recommandations « pour mettre fin aux pénuries de médicaments, qui suscitent la défiance et l’anxiété chez les patients comme chez les professionnels de santé », tient à souligner Sonia de La Provôté, sénatrice centriste du Calvados et présidente de la commission d’enquête, qui rappelle que la France est « au sortir d’un hiver particulièrement rude en termes de pénuries ».

700 médicaments à risque

« Loin de s’être résorbées, les tensions d’approvisionnement et les ruptures se sont multipliées, et aggravées, atteignant un niveau inédit en 2022 de plus de 3700 déclarations de ruptures ou de risques de ruptures, contre 700 en 2018 », indique d’emblée Sonia de La Provôté.

En cause : des enjeux conjoncturels et structurels. « La production pharmaceutique a été une victime majeure de la délocalisation ces dernières décennies », tient à rappeler la sénatrice du Calvados, tout en soulignant que la chaîne du médicament a été fragilisée « par un modèle de production à flux tendu et une financiarisation du secteur ». Elle en veut pour preuve : aujourd’hui « les laboratoires pharmaceutiques implantés en France s’orientent de plus en plus vers l’export, qui représente désormais la moitié de leur production, contre 1/5 en 1990 », constate Sonia de La Provôté.

Vient ensuite, côté des labos toujours, « une stratégie de lente éviction des produits matures », considérés comme peu rentables. « Les laboratoires se désintéressent de ces produits matures au profit de médicaments innovants dont les prix augmente de manière effrayante », rappelle la sénatrice centriste. Résultat : 70% des pénuries et tensions touchent désormais des produits matures.

Enfin, alors que le CEPS est chargé de fixer les prix des médicaments, la commission d’enquête sénatoriale craint qu’il ne soit « pris en otage devant la menace d’arrêter la production de certains labos ». Ainsi, « notre commission révèle que les industriels français envisagent dans les prochaines années d’abandonner la production de 700 médicaments, dont des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur », alerte Sonia de La Provôté.

Réponse européenne

Pour lutter contre l’urgence sanitaire que représentent les pénuries de médicaments, les sénateurs formulent ainsi 36 recommandations. Ils insistent particulièrement sur la nécessité pour les industriels de fournir des efforts d’anticipation.

« L’hiver dernier est particulièrement instructif : avec la triple épidémie grippe bronchiolite et Covid, la crise des médicaments pédiatriques n’a pas été suffisamment anticipée par les industriels – qui produisent à flux tendu, et font à tort des prévisions sur l’hiver précédent – ni par les pouvoirs publics », tient à souligner Laurence Cohen, sénatrice communiste du du Val-de-Marne, et rapporteure de la Commission d’enquête, qui insiste sur une « communication particulièrement brouillée du ministre de la Santé ». Les sénateurs invitent ainsi l’exécutif à « contrôler la fiabilité des informations que les industriels diffusent ».

Autre recommandation : si la liste des médicaments essentiels « est une première étape importante », il est « crucial qu’un cadre réglementaire y soit associé, sans quoi il n’y aura aucun effet opérationnel », fait savoir Laurence Cohen.

L’élue francilienne insiste également sur l’importance des contrôles vis-à-vis des labos, notamment sur la réalisation de stock de sécurité de 2 mois, car « en réalité les contrôles s’avèrent très lacunaires et interviennent lorsqu’une tension est déjà signalée ».

Répondre aux pénuries devrait passer, selon les sénateurs, par une politique européenne. Pour certaines molécules, le rapport de la commission propose ainsi « de faciliter le redéploiement des stocks européens », détaille Laurence Cohen, tout en « harmonisant les règles sur le conditionnement et l’étiquetage au sein de l’Union ».

Bilan « mitigé » sur les aides aux entreprises

Concernant le prix des médicaments, nerf de la guerre pour les industriels, là aussi le Sénat appelle à « revoir profondément les modalités de régulation des dépenses sur le médicament », indique Laurence Cohen. « On prend sur les médicaments matures pour aller sur l’enveloppe des médicaments innovants », regrette la parlementaire. « On peut envisager des hausses de prix du médicament, mais sous conditions, en tenant compte de l’apport médical ! Aujourd’hui, il n’y a aucune transparence sur le prix des médicaments de la part des laboratoires et le CEPS mène un combat courageux pour essayer d’avoir des infos », affirme-t-elle encore.

Enfin, le palais du Luxembourg tire un « bilan mitigé » des aides accordées aux entreprises pharmaceutiques pour relocaliser notamment. « Sur la centaine de projets financés, seuls 18 concernaient un réel projet de relocalisation et 5 portaient sur un médicament ou un principe actif stratégique », tacle Laurence Cohen, évoquant le plan France 2030 d’Emmanuel Macron.

Quant au crédit impôt recherche (CIR) – 750 millions d’euros perçus chaque année par l’industrie pharma – « nous constatons que ces aides publiques sont dirigées fortement vers les innovations sans traduire aucun engagement à produire en France », résume Laurence Cohen.

Ces 36 recommandations « constituent un consensus de toutes les familles du Sénat », tient à souligner Laurence Cohen. « Nous pensons que la réponse aux pénuries du médicament est avant tout une réponse politique », insiste-t-elle encore. Désormais, les deux sénatrices espèrent rencontrer François Braun afin de mettre en œuvre rapidement ces recommandations.

Léa Galanopoulo