PDA : faire équipe avec les Ehpad

Marché croissant et prometteur, la préparation des doses à administrer (PDA) pâtit pourtant toujours d’un vide législatif. Malgré cela, des officinaux s’investissent déjà dans des projets, notamment en Ehpad où la PDA se révèle souvent indispensable. Travailler avec un Ehpad, est-ce rentable ? Faut-il se lancer ? 

19 % des résidents ont une prescription de plus de 10 molécules différentes. GETTY IMAGES

 

La patate – pourtant pas si chaude – passe de gouvernement en gouvernement depuis 15 ans, sans jamais bénéficier de cadre juridique précis. En France, la préparation des doses à administrer (PDA), considérée dès 2013 par l’Académie nationale de pharmacie comme une « méthode visant à renforcer le respect et la sécurité du traitement et la traçabilité de son administration » ne fait l’objet d’aucun décret officiel encore aujourd’hui.

L’Arlésienne date de 2009. La ministre de la Santé de l’époque, Roselyne Bachelot, annonçait alors la parution d’un texte devant réglementer la PDA. Depuis, plus rien. Seul un décret daté du 5 octobre 2018 évoque les conseils et prestations pouvant être proposés par les officinaux sans pour autant citer directement la PDA. Dès lors, cette pratique qui consiste à répartir les médicaments d’un patient en unités de prise selon différents moments de la journée et pour une période déterminée peut s’apparenter à « un acte de déconditionnement du médicament, voire de reconditionnement hors autorisation de mise sur le marché », analyse la revue Prescrire dans une publication d’avril 2019. 

La PDA est soit manuelle, telle la répartition des doses dans un pilulier, soit réalisée à l’aide d’automates qui reconditionnent les unités de prise dans des sachets transparents réétiquetés. Elle concerne principalement les thérapeutiques orales solides, mais certains automates peuvent aussi reconditionner d’autres formes, y compris liquides. 

 

S’inspirer de nos voisins belges

Si pour l’heure, aucune règlementation précise n’encadre la PDA dans l’Hexagone, « ça ne saurait tarder », espère Stefan Vereycken, responsable commercial France et Belgique de JVM, une entreprise européenne qui offre des solutions pour l’automatisation des processus pharmaceutiques. 

En effet, le plat pays a dix ans d’avance sur la France en matière de PDA, grâce à un arrêté royal publié en 2012. « Avant cela, en Belgique, on n’avait pas de cadre légal. Le pharmacien n’osait donc pas se lancer puisque théoriquement, on aurait pu nous annoncer que la PDA était interdite du jour au lendemain, se souvient Stefan Vereycken. Cependant, les politiques ne pouvaient pas revenir en arrière, le processus étant en route ». Pour le responsable commercial, la situation est la même en France : « la PDA est déjà trop avancée ; reculer n’est plus possible. D’autant que l’Europe a émis des recommandations sur la PDA. Un jour où l’autre, la déclaration politique sera faite, c’est une certitude », analyse Stefan Vereycken. 

 

Pour les grands et les petits

En attendant la publication d’un cadre législatif, certains officinaux tricolores se sont déjà lancés dans la PDA. Si l’on pouvait croire le marché réservé aux grandes pharmacies, les près de 4 000 officines qui feraient de la PDA en France ont en réalité des profils très variés. « Toute pharmacie peut être en capacité de le faire, c’est une question d’organisation », veut rassurer Christophe Péri, pharmacien dans le Var. « Nous étions déjà une équipe nombreuse ; nous avons donc optimisé le temps de travail de chacun afin d’inclure la PDA au planning », poursuit le titulaire qui travaille avec un Ehpad de son département. 

Stefan Vereycken l’assure lui aussi : une petite pharmacie peut faire de la PDA semi-­automatisée. « Chez JVM, il existe une gamme assez large d’automates. Nous avons des robots avec plus de 170 emplacements, qui correspondent à la gamme “hôpital”, mais nous avons aussi des modèles d’initiation qui s’adressent aux petites pharmacies qui délivrent en ambulatoire. Nous visitons les locaux des pharmaciens pour voir quel robot peut être adapté à leur surface. Idéalement, il faut prévoir un espace de 3 mètres sur 4, soit environ 12 m2 », décrit le responsable JVM. 

 


34,2 milliards d’euros

C’est le coût de la prise en charge des personnes âgées dépendantes par les pouvoirs publics et les ménages, soit 1,6 % du PIB.


 

PDA : non rémunérée, mais rentable ?

Pas de décret, pas de rémunération prévue. « Je trouve ça anormal, lance Christophe Péri. La rémunération se fait au même titre que la dispensation d’une ordonnance au comptoir. Mais l’acte de PDA est un service gratuit alors qu’il faut gérer tout le consommable qui coûte une petite fortune : blister, étiquettes autocollantes, cartouches d’imprimante 4 couleurs, déplacements à l’Ehpad, etc. ». Néanmoins, les pharmaciens semblent de plus en plus nombreux à vouloir proposer ce service. Une étude de 2018 conduite par Cegedim sur l’évolution du marché de la PDA révèle que parmi les 523 pharmaciens interrogés, 76 % portaient un intérêt à la PDA, dont 39 % se déclaraient prêts à s’équiper dans moins d’un an. 

Est-ce à penser que l’activité est rentable ? « On s’y retrouve quand même financièrement : il y a du volume ;  pour ma part, 130 patients. Les génériques, c’est quand même le nerf de la guerre », reconnaît le pharmacien du Var. Le chiffre provient donc de la facturation des ordonnances. 

L’industriel Stefan Vereycken estime « qu’un résident d’Ehpad est un CA de 1 200 euros brut, avec un bénéfice de 25 % ce qui signifie que l’officinal gagne 300 euros par an pour un résident, avant taxes. Si on parle d’un Ehpad de 100 résidents, le pharmacien peut gagner 30 000 euros avant taxes ».

Mensuellement, un Ehpad moyen de 80 lits génère environ 10 000 euros HT de CA mensuel, pour une marge brute de 2 500 euros par mois. 

Si la PDA est « un marché de niche » pour le responsable commercial France et Belgique de JVM, elle constitue en tout cas un vecteur de croissance permettant de maintenir un CA relativement constant sur l’année. 

 

Comment conquérir les marchés ? 

Attention toutefois au respect de la déontologie : l’officine doit répondre à des appels d’offres. L’enjeu économique de la dispensation des médicaments en Ehpad a pu conduire certains pharmaciens à des actes de sollicitation de la clientèle en vue d’acquérir un marché dont la population polypathologique est consommatrice de médicaments, mais il est interdit de démarcher les établissements. 

Si la notion de proximité géographique semble indissociable du métier de pharmacien, rien n’est imposé actuellement. « Pour ma part, c’est l’Ehpad d’à côté qui m’a contacté suite à l’appel d’offre publié. Être proche de l’Ehpad me semblait primordial quand on sait que j’y vais pour livrer six jours sur sept, au moins une fois par jour. C’est un gain de temps, d’argent, et c’est du bon sens ! », explique Christophe Péri. 

Par ailleurs, une convention relative à l’approvisionnement en médicaments doit être élaborée entre le responsable de l’Ehpad et le ou les titulaires, précisant les conditions de réalisation de la PDA ainsi que les rôles et responsabilités de chacun. Elle est à transmettre à l’Agence régionale de santé par l’Ehpad et au Conseil national de l’Ordre des pharmaciens par l’officine. Pour le moment, la convention officine – Ehpad n’est pas réglementée d’où une grande variabilité dans les durées et contenus. 

 

S’équiper : homme ou robot ? 

Plusieurs écoles, mais un seul objectif : réduire le plus possible les erreurs de préparation. « Délivrer moins de 60 patients en PDA pilulier reste une activité abordable pour une équipe de préparateurs dédiée. Au-delà, ce processus de production devient trop chronophage en main-d’œuvre. S’automatiser est alors recommandé » : c’est l’analyse faite par une étude de thèse pharmaceutique de 2019. 

« Automatiser permet d’éliminer le plus possible l’intervention humaine et donc de réduire le taux d’erreurs. On n’a pas uniquement des robots qui préparent les sachets ; on a aussi des contrôleurs optiques capables de vérifier le contenu du sachet », se félicite Stefan Vereycken. 

Cela  n’est pas le choix du pharmacien Christophe Péri qui est resté sur une PDA manuelle, depuis 18 ans. « L’ensemble de l’équipe est investi pour que le jour où il manque quelqu’un, tout le monde soit en mesure de le faire. Comme le remplissage de pilulier est un travail rébarbatif, chacun l’effectue  une demi-­journée tour à tour, on fait un cycle. Puis, nous effectuons une vérification de ce qui a été préparé », détaille-t-il. 

Un fonctionnement qui semble pérennisé et convenir à tous. ■