Président du directoire d’Interfimo, Olivier Mercier détaille pour Pharma l’évolution de l’économie officinale, suite à la publication de l’étude des prix de cession des pharmacies, réalisée par la filiale de LCL.
BIO EXPRESS1990 : chargé de mission chez Interfimo. 1993 : responsable du bureau de Grenoble. 2000 : directeur régional d’Interfimo Méditerranée. 2002 à 2006 : rejoint LCL en tant que directeur Particuliers et Professionnels Avignon, puis directeur du pôle d’Affaires patrimoniales de Marseille. 2006 : création et direction du pôle Grands Comptes d’Interfimo. 2017 : directeur général d’Interfimo. 2020 : Executive Master Gestion et politiques de santé à Sciences Po Paris. 1er février 2023 : président du directoire d’Interfimo. |
L’année 2022 a été une nouvelle année exceptionnelle pour l’officine, avec une croissance de CA record d’environ 11 %. Quel a été l’impact de l’inflation sur l’économie de l’officine ?
Olivier Mercier : La grande majorité des officines sont bien gérées : les pharmaciens sont des chefs d’entreprise qui connaissent leur politique d’achat, de distribution et de gestion du personnel… Aujourd’hui, les marges ne se font pas à la vente, mais à l’achat. Et, au travers des groupements il est possible d’obtenir des conditions intéressantes pour offrir aux patients clients des produits à des prix extrêmement ajustés. Le vignetté continue de se développer, avec des produits relativement chers qui répondent à un besoin démographique et épidémiologique, mais ce n’est pas avec les prix encadrés et réglementés de ces produits que le pharmacien gagne sa vie. L’inflation, malgré une baisse des prix de l’énergie en début d’année, tend à éroder les marges. Concernant la masse salariale, deux phénomènes se superposent : d’un côté, la révision des salaires suite à l’inflation et, de l’autre, la rareté de la main-d’œuvre qui fait monter les enchères. Donc oui, l’économie de la pharmacie pourrait être, à terme, impactée par cette crise du pouvoir d’achat et de l’inflation.
L’un des premiers secteurs touchés par l’inflation est la parapharmacie, qui affiche des baisses de 17 %. Quels sont les risques pour les pharmaciens ?
Si la problématique du pouvoir d’achat persiste dans le temps, il y aura des arbitrages dans la consommation. Le pharmacien devra à un moment ou à un autre, répercuter le coût de l’inflation (hausse des salaires, du loyer et de l’énergie) sur le coût des produits hors vignette, à défaut sa marge va en souffrir. La parapharmacie deviendra peut-être alors l’apanage des grandes pharmacies dont les conditions d’achat permettent à leurs clients de bénéficier et d’accéder à des produits de para et d’OTC à des prix très compétitifs. Aujourd’hui, seulement 20 % des pharmacies ont la capacité de répondre à la problématique de pouvoir d’achat.
Étonnement, cela n’a pas eu l’air d’impacter les prix de cession, qui sont même passés de 83 % en 2021 à 87 % du CA en moyenne nationale en 2022, pour les officines de plus de 1,2 million de CA. Comment l’analysez-vous ?
Pour l’instant, c’est encore vrai même si notre étude retraite l’effet Covid.
Aujourd’hui, au coût des marchandises, des salaires et de l’énergie s’ajoute un 4e facteur qui se fera de plus en plus ressentir : la remontée des taux d’emprunt, qui devrait jouer sur la valeur des actifs. En 2022, le montant moyen de l’emprunt d’un pharmacien en première installation était de 1 300 K€ contre 1 150 K€ en 2021. Mais tant que le rapport acquéreur/vendeur ne s’équilibre pas, le marché va rester entre les mains des cédants et la rareté des offres de qualité fera accroître les prix.
Les chiffres des cessions au premier trimestre 2023 invitent-ils a plus de raison ?
Il est difficile de répondre sur les prix de cession sur cette période, mais le nombre de cessions (parts et fonds) repasse lui à la hausse (+ 6,2 %) par rapport au 1er trimestre 2022 (+8,4 % de cessions de fonds et +3,7 % de cessions de parts). Et ce, malgré des taux aux alentours de 4 % pour une maturité de 12 ans. Pour mémoire, nous étions en dessous de 1 % il y a un an et demi ! Ce qui m’interpelle le plus est le rythme inédit de la remontée des taux. Mécaniquement, les prix auraient dû baisser, mais à condition d’un désintérêt pour l’acquisition de fonds ou de parts de pharmacie. C’est une question d’offre et de demande.
Les apports sont-ils en augmentation ?
C’est une réalité : un jeune peut aujourd’hui s’installer avec peu d’apport. C’est essentiel, car une profession qui n’arrive pas à attirer ses jeunes est une profession qui se paupérise et qui se meure. Néanmoins, il faut savoir raison garder ! Ces artifices et les apports complémentaires ne doivent pas décorréler le dossier de sa réalité économique. En effet, à un moment, si les taux d’emprunt à long terme continuent d’augmenter, le prix des actifs achetés, c’est-à-dire la valeur des fonds, devra s’ajuster. Les apports complémentaires sont une façon d’aider le marché à se réguler en permettant que la pharmacie reste, quoiqu’il arrive, entre les mains des professionnels du secteur.
C’est une réalité : un jeune peut aujourd’hui s’installer avec peu d’apport. ”
À ce propos, observez-vous, comme en biologie ou en radiologie, une tendance à la financiarisation de l’officine ?
Des financiers, il en faut. Mais tous ne répondent pas toujours à l’ADN du monde des professions libérales. Certains opérateurs ont tenté d’intégrer le secteur de l’officine en spéculant sur une ouverture probable du capital. C’est une menace dont on entend parler depuis 1948 ! Un deuxième point freine cette « financiarisation » : le modèle économique de la pharmacie avec ses 21 000 officines ne permet pas la réalisation d’économie d’échelle, contrairement à certains secteurs comme la biologie ou la radiologie où vous pouvez réunir les plateaux techniques, automatiser ou intégrer de la robotique… Masse salariale, immobilier et informatique sont particulièrement coûteux dans les entreprises officinales. Si ces trois facteurs ne sont pas rationalisés, vous n’arrivez pas à réaliser véritablement d’économies d’échelle en dehors des achats. La pharmacie reste un service de proximité où une concentration ne va pas de soi.
Selon vous, est-ce toujours une bonne idée de s’installer ?
Le marché de la distribution du médicament reste un marché porteur pour les années à venir. Mettez en rapport 21 000 pharmacies sur une population de 70 millions de personnes en 2030, dont près de 20 % auront plus de 80-85 ans. Même si les marges de demain sont encore plus encadrées – et les produits chers moins rentables – un flux de passage sera toujours assuré. Par ailleurs, le marché de la pharmacie représente à lui tout seul 15 à 18 % de ce que l’État, à travers l’Assurance maladie, est prêt à dépenser pour pouvoir répondre aux besoins de santé de la population. Au regard de ces marqueurs macro-économiques, malgré des tensions qui pourront se créer par moments sur le modèle économique de la pharmacie, il restera un secteur d’activité avec des fondamentaux solides.
Pour évaluer la valeur d’une officine, vaut-il mieux se fier au pourcentage du CA ou au multiple d’EBE ?
Le pourcentage du CA reste un référentiel chez les pharmaciens, mais à l’aune de la crise Covid et des évolutions épidémiologiques qui poussent à la consommation de produits chers, c’est aujourd’hui le multiple de l’EBE qui s’impose dans les choix stratégiques de se porter acquéreur ou non d’une pharmacie. On brille avec les pourcentages de CA et on vit avec les euros. C’est le solde net disponible qui permet de répondre aux impératifs économiques, de nourrir sa croissance externe et ses investissements de demain.
L’année dernière, Interfimo a justement développé un pôle d’évaluation pour donner de la transparence à la valeur de l’actif économique achetée par le praticien. Dans quoi je m’aventure ? Quels sont les engagements hors bilan, les passifs de cette entreprise ? Nous sommes sur un marché de parts et c’est beaucoup plus complexe pour le jeune pharmacien d’acheter une quote-part de capital et de comprendre de quoi se compose cette copropriété d’actif professionnel.
À quel moment de sa carrière le pharmacien doit-il faire appel à vous ?
Dès ses études ! Nous sommes d’ailleurs présents dans la quasi-totalité des facultés de pharmacie pour sensibiliser les 5es années à l’installation. Une des stratégies d’Interfimo, au travers du fonds de garantie, est d’aider les futurs libéraux à financer leurs études grâce à un prêt étudiant, distribué par le réseau LCL, et sur lequel il ne sera pas tenu d’apporter une caution amicale ou parentale pour que le sujet du financement ne soit pas un frein au démarrage de leurs longues études. Dans la même dynamique, nous mettons au point l’Interfimo Académie qui va réunir tout le savoir-faire d’Interfimo de ces 50 dernières années pour en faire bénéficier l’ensemble des professions libérales à travers une formation dédiée. Les libéraux sont souvent des cliniciens hors pair, mais ont rarement été formés au management de projet, au management de structure, etc. Avec la participation d’experts-comptables, d’avocats, notre objectif est de construire de véritables référentiels de compétences.
La philosophie d’Interfimo se résume en trois mots : proximité, expertise et utilité. Quelle expertise proposez-vous au pharmacien ?
L’activité libérale représente près de 8 % du PIB en France et 12 % de la valeur ajoutée. Interfimo, filiale de LCL, a donc toute sa place dans l’écosystème. Une grande partie de cette activité est liée à la santé qui doit répondre à de grands enjeux sociétaux – vieillissement de la population et accélération des grandes tendances épidémiologiques, défis technologiques, réglementaires, budgétaires et environnementaux ‑ qui vont obliger toutes les entreprises libérales à changer progressivement de paradigmes sans renier leur ADN. Il faut être proche de cet écosystème pour en comprendre toute la finesse. La force d’Interfimo a toujours été d’anticiper les grandes tendances du monde libéral.
Quel est votre modèle ?
Depuis l’origine, notre modèle repose sur une joint-venture, une subtile alliance entre le monde libéral et la banque LCL. Interfimo a été conçu par et pour les professions libérales. Interfimo est un organisme de caution mutuelle avec un fonds de garantie qui répond à des valeurs mutualistes, solidaires et universelles en accueillant toutes les professions libérales réglementées. En cotisant, l’infirmière permet à l’avocat de s’installer, l’avocat permet à l’expert-comptable de s’installer à son tour, l’expert-comptable permet au pharmacien de s’installer lui aussi et de se développer. C’est en cela qu’Interfimo est un modèle unique. En cas de difficultés, le fonds de garantie offre aussi une action de solidarité pour permettre aux entrepreneurs de surmonter les périodes difficiles. En tant que banquiers des entrepreneurs libéraux, nous accompagnons les entreprises dans leur création, leur développement, leur transmission dans l’intérêt des territoires et de nos concitoyens. ■
87 %
C’est le prix de cession moyen en pourcentage du CA (HT) observé en 2022, pour les officines de plus d’1,2 million d’euros. Une augmentation de 4 points par rapport à 2021.
2 millions
C’est le montant moyen du CA des officines acquises en première installation, en très nette hausse par rapport à 2021.
36 ans
C’est l’âge moyen du pharmacien primo‑accédant.