De l’industrie à la recherche, en passant par l’officine, la filière pharmaceutique s’illustre par une grande richesse et une incroyable diversité. De quoi offrir aux pharmaciennes et pharmaciens en mal de nouveaux challenges la possibilité de se reconvertir. Comment s’y prendre pour bifurquer vers l’officine après une carrière dans l’industrie ? Témoignages et conseils de ceux qui ont sauté le pas.
Elles ont sauté le pas
vers l’officine
Quelles sont les motivations des pharmaciennes et pharmaciens qui quittent l’industrie pour l’officine ? Comment réussir une telle reconversion ? Nous avons posé la question à deux pharmaciennes qui ont fait le grand saut.
Elles n’ont pas le même âge, n’exercent pas dans la même région mais ont un point commun : après des études de pharmacie, Sonia Jouve et Serena Borgno ont toutes deux embrassé une carrière dans l’industrie. Une étape de leur vie professionnelle que l’une et l’autre considèrent aussi riche qu’instructive, et qui leur a permis d’acquérir des compétences qui sont aujourd’hui une réelle valeur ajoutée à leur pratique officinale.
L’industrie avant le changement
Pour Sonia Jouve, l’officine n’est pas une nouveauté. En effet, cela fait maintenant 17 ans qu’elle y exerce, en tant que titulaire, aujourd’hui installée en Ardèche. Auparavant, la pharmacienne travaillait dans le développement pharmaceutique d’un grand laboratoire, à Lyon. Des responsabilités dans lesquelles elle s’est longtemps épanouie, malgré les longues journées et la rigueur demandée. Mais lorsque le site sur lequel elle était employée ferme – avec le projet de délocaliser les unités de recherche et développement en Allemagne -, Sonia Jouve commence à envisager une reconversion. « Mariée, avec des enfants, et ayant déjà vécu une expérience professionnelle en Allemagne, un tel déménagement ne correspondait ni à mes envies, ni à ma situation. Je devais donc réfléchir au choix que j’allais faire, se souvient-elle. Dans le cadre du plan social, avec le soutien de mes supérieurs, j’ai bénéficié d’un accompagnement qui m’a permis d’aller à la fac de Lyon pour suivre une formation en vue d’une reconversion en officine qui me tentait de plus en plus ».
Au début, le plus difficile a été la gestion de la « relation patient » que je n’avais pas dans l’industrie. ”
Sonia Jouve
Après un cursus universitaire en Italie, Serena Borgno a travaillé deux années en officine avant d’être recrutée chez L’Oréal, en France. Pendant plus de dix ans, elle y a occupé plusieurs postes, d’abord aux affaires réglementaires, à la gestion des projets informatiques ou encore à la restructuration du département de la recherche au sein de l’organisation. « J’ai ainsi pu acquérir beaucoup de compétences en management, en stratégie, en conduite du changement », raconte Serena Borgno, qui voit dans L’Oréal « une vraie école qui m’a permis de développer une grande expérience stratégique, très utile pour la suite. Néanmoins, au bout d’un moment, j’avais l’impression que ce que je faisais était un peu abstrait, que j’étais loin du terrain et des gens », raconte la pharmacienne.
Avec une collègue du géant cosmétique – devenue une amie -, elles décident de se lancer dans un projet de reconversion, pour ouvrir leur propre officine. Celle-ci devrait ouvrir ses portes à l’automne 2023, à Nantes. En attendant, Serena Borgno exerce en tant qu’adjointe dans une officine de la cité des Ducs, où elle acquiert une précieuse expérience de terrain.
Sonia Jouve, pharmacienne titulaire en Ardèche, après 10 années au sein d’un grand laboratoire pharmaceutique à Lyon.
Se reformer, une vraie bonne idée
Pour se lancer dans le grand bain de l’officine, Serena Borgno a, comme Sonia Jouve, obtenu un DU d’actualisation officinale à la fac d’Angers afin de se remettre à niveau et se former à la pratique au comptoir, délaissée au cours de sa vie professionnelle dans l’industrie.
Les deux femmes s’accordent pour dire que la formation théorique, même si elle n’est actuellement pas obligatoire lors d’une reconversion vers l’officine, a été essentielle pour gagner en confiance et en légitimité. Elles conseillent ainsi à tous ceux qui voudraient faire comme elles de l’envisager. « Lorsque l’on devient titulaire, il faut pouvoir gérer beaucoup de choses, et le fait d’avoir suivi une formation permet de se sentir plus légitime et sereine, et de rassurer son équipe sur les compétences que nous avons. Or une équipe qui se sent en confiance est plus motivée et travaille mieux », souligne Serena Borgno.
Le fait d’avoir suivi une formation permet de se sentir plus légitime et serein, et de rassurer son équipe sur les compétences que nous avons. ”
Serena Borgno
« Se reformer, même sur une durée courte, et effectuer un stage pratique représentent une étape cruciale, abonde Sonia Jouve, qui trouve même dangereux d’aller travailler au comptoir sans être bien préparé car la santé des patients est en jeu ». Pour la pharmacienne, les premiers temps, « le plus difficile a d’ailleurs été la gestion de la « relation patient » que je n’avais pas dans l’industrie. J’avais peur de mal noter les interactions médicamenteuses, l’historique, et les données nécessaires, surtout à l’époque où on n’avait pas à disposition les mêmes logiciels qu’aujourd’hui, détaille-elle. Arriver en ayant acquis des connaissances théoriques et pratiques m’a soulagée. Il est d’autant plus important de se reformer que les molécules se compléxifient et que l’on est de plus en plus face à des pathologies chroniques multiples », ajoute Sonia Jouve, désormais présidente de l’Uspo Ardèche.
Les deux pharmaciennes estiment toutefois que les compétences acquises dans l’industrie représentent aussi un réel avantage dans leur pratique officinale, leur permettant d’être plus à l’aise sur le management des équipes, les décisions commerciales et stratégiques, la mise en place de processus de contrôle qualité, les interactions avec les délégués commerciaux mais aussi la gestion des horaires et du stress.
Serena Borgno, pharmacienne adjointe et future titulaire à Nantes, après 10 ans passés chez L’Oréal.
Se poser les bonnes questions
Si le travail officinal suppose des horaires à contre-courant de ceux de bureau, avec des permanences le week-end, les deux pharmaciennes s’estiment satisfaites de leur équilibre vie professionnelle/vie personnelle. En plus de la formation, elles soulignent l’importance d’avoir eu une vraie réflexion en amont sur ce que le travail en officine, une reconversion, un changement, impliquent sur la vie privée.
« Le plus important est d’avoir réfléchi à ce que vous voulez dans votre travail et dans votre vie privée. Une reconversion est un choix de vie à faire, ce n’est pas qu’une décision professionnelle », souligne Sonia Jouve. « Je crois qu’il faut aussi rassurer les gens : se tourner vers l’officine est une passerelle possible quand on vient de l’industrie. Et avec de la volonté, on peut y arriver », s’enthousiasme Serena Borgno. ■
Les DU en pratiqueEn France, 14 facultés proposent des diplômes universitaires, tels que les DU :
Tous comprennent des cours théoriques sur le conseil, la législation en vigueur, des cas pratiques au comptoir et un stage d’insertion professionnelle. |
Reconversion vers l’officine :
comment s’y prendre ?
La décision est prise : vous souhaitez quitter l’industrie pour vous reconvertir vers la pratique officinale. Découvrez ici les étapes primordiales d’une transition sereine.
Se reconvertir, c’est possible ! Encore faut-il se poser les bonnes questions, afin d’être bien certain de disposer de toutes les compétences requises pour exercer dans de bonnes conditions.
Pour passer de l’industrie à l’officine, une remise à niveau, via un diplôme universitaire (DU), est nécessaire pour pouvoir s’inscrire au Tableau de la Section D de l’Ordre des pharmaciens. Les formations s’articulent autour de modules théoriques – qui peuvent être pris à la carte selon les DU et les profils des pharmacies. Par exemple, le DU Préparation à l’exercice officinal de l’Université Paris-Saclay propose des modules pour travailler aussi bien la relation avec le patient que les aspects juridiques et commerciaux.
« Nous proposons quatre modules, deux au comptoir (Étude et exécution de l’ordonnance et Médication officinale et premier recours) et deux modules plus axés sur le droit et le management (Législation pharmaceutique et droit social et Gestion de l’Officine entreprise) », explique la Pr Hélène van den Brink, vice-doyenne en charge de la pédagogie et responsable du DU Préparation à l’exercice officinal de l’Université Paris-Saclay.
Un stage pratique est également proposé. Ces diplômes aident donc les candidats à remettre le pied à l’étrier avant de se retrouver face à des patients au comptoir.
« D’une durée maximum de six mois, les stages pratiques permettent aux pharmaciens d’entrer plus rapidement en contact avec les réalités des métiers de l’officine et surtout d’appréhender, en situation, les divers outils, tels que les logiciels de gestion d’officine (LGO). S’il n’est pas toujours obligatoire, un stage est fortement recommandé afin de s’assurer que l’exercice officinal est bien conforme aux attentes », souligne l’Ordre des pharmaciens.
Même les jeunes pharmaciens qui ont obtenu leur diplôme récemment et n’ont exercé que quelques années dans l’industrie peuvent tirer des bénéfices d’une telle formation. « Dans notre DU, le profil des candidats varie grandement, même s’ils sont nombreux à venir de l’industrie, quel que soit leur âge, détaille la Pr Hélène van den Brink.
Des jeunes diplômés, après seulement quelques années d’exercice professionnel dans l’industrie, qui pourraient directement être employés en pharmacie, retournent en cours pour être vraiment à jour dans leur pratique et leurs compétences. Les motivations varient aussi : les candidats peuvent avoir été licenciés, avoir envie d’autre chose… Ils ont parfois une réflexion sur le sens de leur métier et ce qu’ils peuvent apporter à la population : on le voit beaucoup suite à la pandémie de Covid, avec un regain d’intérêt pour tout ce que permet la nouvelle pratique officinale », observe la vice-doyenne.
Quelles aides pour se reconvertir ?
Comme pour toute personne souhaitant évoluer professionnellement, le Compte Personnel de Formation (CPF) permet d’accompagner un salarié dans la poursuite d’une formation qualifiante ou certifiante. Il est possible de l’utiliser pour s’inscrire à un DU.
On peut aussi recourir au Compte Personnel de Formation en période de chômage pour faciliter les processus de reconversion.
Continuer à attirer les pharmaciens vers l’officine
Face aux tensions de recrutement qui touchent tous les métiers de la pharmacie, et la très forte hausse de places non pourvues au sein des promotions d’étudiants en 2e année de pharmacie, deux priorités ont été définies : la garantie de la démographie pharmaceutique et l’amélioration de l’attractivité de la profession.
L’idée ? Favoriser la mobilité professionnelle en simplifiant les modalités d’accès aux passerelles permettant la reconversion entre les différents métiers de la pharmacie, en cours de carrière.
Pour mener à bien cette stratégie, l’Ordre s’appuie sur un comité de pilotage et plusieurs groupes de travail tout en rencontrant également régulièrement les pouvoirs publics pour présenter ses propositions.
Citons aussi l’exemple de l’Université Paris-Saclay, où une option « étudiants ambassadeurs pharmacie » a été mise en place au sein de la faculté. Les étudiants de pharmacie peuvent ainsi accompagner les lycéens dans la recherche d’informations sur les études et métiers de la pharmacie.
Enfin, la Commission des Nouveaux Inscrits de l’Ordre, mise en place récemment, a été pensée comme le bras armé de la stratégie « attractivité ». Son objectif est d’être un porte-voix des jeunes pharmaciens, comme de ceux qui viennent de se reconvertir, sur les problématiques qui les concernent.
Il ne s’agit pas de privilégier un métier plutôt qu’un autre mais bien de mettre en valeur les métiers de la pharmacie dans leur diversité et leur excellence. ”
Ordre des pharmaciens
Réunis pour la première fois en janvier 2023, neuf représentants de l’Ordre et huit représentants des primo-inscrits qui composent cette commission ont souhaité faire des questions d’attractivité de la profession, la priorité de leur action. « Il ne s’agit pas de privilégier un métier plutôt qu’un autre mais de mettre en valeur les métiers de la pharmacie dans leur diversité et leur excellence », précise-t-on à l’Ordre des pharmaciens. ■
Finance, management, droitAttention à ne pas négliger ces aspects !Exercer en tant que pharmacien d’officine suppose aussi de s’intéresser et d’appréhender l’économie de l’officine. De solides compétences en gestion, en management, en comptabilité sont nécessaires pour les titulaires. Comme l’explique Emmanuel Leroy, expert-comptable chez KPMG et enseignant à la fac Paris-Saclay en 5e année de pharmacie (dont certains des cours sont communs au DU) : « Nous proposons une présentation de l’économie de l’officine, pour montrer aux étudiants la réalité de la situation économique des officines. On leur explique ce que gagne le pharmacien, avec un sujet sur la marge commerciale et l’impact, de plus en plus important, des honoraires de dispensation et des nouvelles missions. On aborde aussi, via des études de cas pratiques, la manière d’améliorer les marges, en travaillant sur des aspects comme les médicaments génériques et l’importance de la négociation des conditions commerciales avec les laboratoires. Nous donnons aussi des cours pour que les étudiants en apprennent plus sur les besoins en fonds de roulement et l’impact sur la trésorerie de l’officine, la conséquence des dettes clients, le rôle des fournisseurs…Toutes ces données sont très importantes à saisir pour ceux qui souhaitent se lancer et ouvrir leur propre -officine ». |