Revaloriser le remplacement pour favoriser l’épanouissement des pharmaciens

Depuis ses premiers cours en fac de pharma, on ne cessait de lui vanter le système québécois de la pharmacie d’officine. Après un stage outre-Atlantique, la pharmacienne Marjorie Puthot en est persuadée : les pharmaciens français mériteraient d’être mieux reconnus.

“ L’officine est mon métier de cœur mais comment faire avancer la profession à mon niveau ? Permettre de prendre davantage de temps pour sa famille, et pour être plus épanoui. ”

 

Elle n’en a jamais douté : être titulaire d’une officine serait son métier et elle ferait tout ce qu’il faut pour y parvenir. À 36 ans, Marjorie Puthot, docteure en pharmacie et fondatrice de 24/7 Services, se rappelle de ses premiers pas dans l’officine de sa tante, à défaire les caisses de la CERP et à être émerveillée par la proximité avec les patients. Si bien qu’en 2006, la Briançonnaise (Hautes-Alpes) franchit le seuil de la fac de pharma deGrenoble, tout en s’impliquant activement en tant que trésorière de la « corpo » étudiante.

Un rêve de l’officine qui se concrétise donc à mesure que Marjorie passe les années et s’oriente vers la spécialité correspondante. Mais surtout un rêve qui ne souffre pas de désillusion, puisque les week-ends et les vacances de l’étudiante étaient déjà consacrés, « par besoin et par plaisir », à ce qui se dessinait comme une passion inaltérable : la gestion d’une officine, au contact des patients fidèles et des touristes venus du monde entier.

 

Le pharmacien québécois, expert de santé reconnu

Pendant ce temps-là, Marjorie Puthot remarque que les pharmacies québécoises trouvent un écho particulier dans les cours de sa fac grenobloise. Ces « pharmacies communautaires », comme on les appelle outre-Atlantique seraient « en avance » sur le système des pharmacies françaises : rémunération à l’acte (ce qui n’était pas le cas à l’époque en France), importance du conseil aux patients, possibilité de prescription… sont autant de raisons d’avoir « des paillettes dans les yeux ». 

Sans l’ombre d’un doute, parmi les 6 mois obligatoires de stage en dernière année, 3 seront consacrés à une officine québécoise. « J’allais enfin pouvoir découvrir la pharmacie québécoise dont on me parlait depuis 6 ans », sourit celle qui n’est alors pas au bout de ses surprises.

Bien intégrée au sein d’une officine indépendante, tandis que la majorité des pharmacies locales appartiennent à 4 grandes enseignes, Marjorie découvre les joies de la présence du comptoir dans le fond des drugstores, « derrière le coca et le sucre », mais surtout les joies de la reconnaissance des pharmaciens en tant qu’experts de santé par la population locale. Épaulés par les assistants techniques en pharmacie (ATP) qui accueillent les patients et suivent les directives de leurs ordonnances, les pharmaciens « sont toujours là pour donner leurs conseils et leurs opinions pharmaceutiques, pour adapter les posologies, pour signer des prescriptions, etc. », sourit Marjorie. « C’était fantastique de voir tout ce qu’on pouvait faire par rapport aux pharmacies françaises ! »

Au Québec, les pharmaciens sont vraiment reconnus pour leur expertise et s’en servent : on va voir le pharmacien parce qu’on a besoin de parler à un expert. ”

 

Des modèles à importer en France

En 2010, fin de stage oblige, la jeune pharmacienne rentre en France, attirée par le système de soins et la sécurité sociale de l’Hexagone, avec toujours en tête son rêve d’acheter une officine mais sans pour autant laisser son expérience québécoise ne devenir qu’un doux souvenir : elle veut importer chez elle tout ce qu’elle a appris sur place. L’image du pharmacien d’officine en France doit être revalorisée et dépasser l’idée réductrice du marchand de médicaments que peuvent en avoir les patients. « J’avais tout mon avenir tracé au Canada, mais je voulais prouver qu’il était possible de concilier les bénéfices des systèmes pharmaceutiques des deux pays », explique Marjorie.

 

En attendant, elle garde bien au chaud le contact des personnes rencontrées au Québec, et qui lui seront professionnellement décisives. Jacques Besner est l’une d’elles. Entrepreneur qui vit à Montréal, il tient également une société qui permet aux officinaux de se faire remplacer en cas de besoin, dans le respect de la profession et des conditions de travail. Un concept qui plaît bien à Marjorie, qui voyait jusqu’alors le remplacement comme une situation précaire et représentée par « ceux qui ne trouvent pas de job ailleurs ». Le contact est pris, les liens sont créés, l’étincelle est lancée.

 

« Le remplacement pour profiter de la vie »

Après une année en Espagne à développer de nouvelles compétences, Marjorie poursuit sa pratique en officine française et décide finalement, en 2012, de recontacter celui qui deviendra son associé, Jacques. Il avait déjà proposé à Marjorie d’exporter son modèle en France. L’occasion parfaite, d’après elle, de s’extraire d’un mode d’intérim généraliste et trop peu valorisant pour le métier.

La seule condition pour que la pharmacienne accepte de participer au développement du concept de Jacques est de « reconnaître le travail de chacun à sa juste valeur, et d’œuvrer ensemble pour valoriser le remplacement et la profession ». Autrement dit, savoir trouver un équilibre entre vie perso et vie pro, de sorte que la qualité de vie devienne une évidence. « En France, on n’avait pas cette perception du remplacement comme une solution pour mieux profiter de la vie », insiste la pharmacienne. C’est ainsi que la même année, 24/7 Services naît et commence à proposer des services de remplacement en Île-de-France.

Profiter de la vie, c’est justement bien ce que compte faire la Briançonnaise. Son rêve se réalise en 2014 lors de l’achat d’une officine dans sa région natale, puis avec la naissance de sa fille en 2017. « J’étais à la pharmacie quand elle a marché pour la première fois. Si j’avais eu l’occasion de me faire remplacer, j’aurais pu en profiter pour la voir plus souvent ». Une expérience douce-amère qui ne laisse plus la place au doute : « tout le monde a besoin de se faire remplacer et tous les parents ont le besoin et le droit de voir leurs enfants ». 

 

Revaloriser le métier de pharmacien

En 2019, l’officine de Marjorie est vendue et la pharmacienne se consacre entièrement à son entreprise de remplacement, idée qu’elle n’avait absolument pas eue avant de découvrir « le life-style québécois, celui de concilier plaisir et boulot ».

Au fond, au-delà de tenir une officine, l’ambition de la pharmacienne était surtout celle de « faire avancer la profession à [sa] façon », en replaçant le pharmacien au centre du système de santé. Or, le travail et les conseils précieux des pharmaciens ne peuvent passer dans un premier temps que par leur épanouissement personnel. 

« L’officine est mon métier de cœur mais comment faire avancer la profession à mon niveau ? Permettre de prendre davantage de temps pour sa famille, et pour être plus épanoui », et ainsi d’avoir plus de lucidité et de joie lorsqu’on prodigue des conseils précieux… 

Bref, à redonner sa saveur au métier de pharmacien, aux yeux de la profession et de la population. « Je veux que les remplaçants soient reconnus comme acteurs de la profession. C’est mon cheval de bataille. » ■


 BIO EXPRESS

1986 : naissance à Briançon ;

2006 : début de ses études de pharmacie à Grenoble ;

2006 – 2010 : travail étudiant en officine ;

2012 : création de 24/7 Services ;

2014 : achat de son officine ;

2017 : naissance
 de sa fille ;

2019 : vente de son officine pour se consacrer à 24/7 Services.