Pour les grossistes répartiteurs, le secteur subit une tempête depuis 10 ans, et le rachat par le groupe Phoenix de l’OCP est peut-être le point d’orgue de cette situation tourmentée, alimentée par des contextes sociaux et économiques évolutifs. Pandémie de Covid, inflation généralisée, ou encore marges réduites, le milieu de la répartition pharmaceutique est en pleine transition, à la fois pour maintenir le cap, mais aussi pour obéir aux enjeux de société à venir.
La répartition pharmaceutique
en pleine transition
Le secteur de la répartition pharmaceutique traverse une période particulièrement mouvementée. Emmanuel Déchin, délégué général de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP) dresse un tableau de la situation.
Baisse des prix des médicaments, diminution des marges… Les grossistes répartiteurs accusent une baisse importante de leurs revenus sur les médicaments remboursables, qui correspondent à la majeure partie de leur activité. Selon Emmanuel Déchin, délégué général de la CSRP, ce contexte pourrait s’apparenter à « une crise qui ne date pas d’hier ». Une situation palpable en effet depuis près de 10 ans et qui s’est traduite en 2016 par un résultat de la profession à peine à l’équilibre. Depuis 2017, les choses s’accélèrent avec 23 millions d’euros de perte d’exploitation cette année-là, puis 47 millions en 2018, 65 millions en 2019… La CSRP a alerté les pouvoirs publics depuis bien longtemps. « Nous sommes arrivés peu à peu à ce qu’ils admettent qu’on se trouvait face à un problème, mais entre admettre le problème et agir, il y a un pas », regrette Emmanuel Déchin.
« Indispensable en période de crise »
La pandémie du Covid a permis aux grossistes répartiteurs de franchir ce pas. En effet, les grands services rendus par la profession dès le début de la crise ont montré l’importance du secteur dans la chaîne de santé : livraison de masques aux officines, de gel hydroalcoolique, transferts de traitements entre les pharmacies à usage intérieur des hôpitaux et les officines, etc.
De plus, depuis février 2021, les grossistes ont aussi la charge de distribuer des vaccins anti-Covid dans des conditions de stockage et de livraison inédites. Cette mission s’accompagne de contraintes logistiques fortes, comme de lourds investissements dans des chambres froides spécifiques pour la conservation des vaccins, ou encore la mise en place de procédures et d’équipes dédiées à la préparation des commandes de vaccins.
Pour Emmanuel Déchin, « 2020 a été une sorte de déclencheur. Le gouvernement a pris conscience que la répartition est utile en temps normal mais qu’elle est indispensable en période de crise. On le voit encore aujourd’hui ». Effectivement, leur importance continue de se démontrer en cette période de tensions d’approvisionnements où ils permettent de réguler les livraisons aux pharmacies.
Le gouvernement a pris conscience que la répartition est utile en temps normal mais qu’elle est indispensable en période de crise. ”
Emmanuel Déchin, délégué général de la CSRP
Un plan de soutien
C’est dans ce contexte que les autorités ont décidé d’aider les répartiteurs pharmaceutiques en mettant en œuvre un plan de soutien à hauteur de 90 millions d’euros, répartis en trois types d’actions :
• Une augmentation de la marge règlementaire de distribution en gros (30 millions d’euros) sur le médicament remboursable par l’Assurance maladie dès 2020. Les grossistes répartiteurs perçoivent maintenant une marge de 6,93 % du PFHT (prix fabriquant hors taxe) avec un maximum de 32,50 € (correspondant à un PFHT de 468,97 €). Sans compter un plancher assuré de 0,30 € pour les médicaments les moins chers.
• Une diminution de la contribution sur les ventes en gros en 2021, là aussi pour une valeur de 30 millions d’euros. Ainsi, depuis 1991, une contribution dite Acoss (Agence centrale des organismes de Sécurité sociale) a été mise en place et de nombreuses fois revues. Elle a pour objectif de définir la façon dont la répartition pharmaceutique contribue à combler une part du déficit de la Sécurité sociale. Cette contribution est calculée sur le chiffre d’affaires du secteur.
• Création en 2022 d’un « forfait froid » pour la distribution des médicaments thermosensibles pour un montant global de 30 millions d’euros par an. C’est ainsi que les grossistes répartiteurs perçoivent un forfait de 0,63 euro par boîte de médicaments remboursables de la chaîne du froid.
Des pistes à explorer
Pour Emmanuel Déchin, « ce total de 90 millions n’est pas tout à fait suffisant pour enrayer la chute. Fin 2021, nous observions toujours un résultat légèrement négatif ». D’après lui, le problème qui intervient depuis est l’inflation, qui n’épargne aucun secteur, privé ou public, mais la répartition pharmaceutique ne peut répercuter son impact sur le prix de vente des médicaments remboursables. « Concrètement, nous observons un impact de l’inflation de 45 millions d’euros en 2022 et nous tablons sur 40 millions d’euros en 2023. »
Pendant de nombreuses années, la répartition est parvenue à maîtriser ses coûts de fonctionnement puisque l’inflation était relativement faible. Elle est même parvenue à les contenir en deçà de cette dernière. « Aujourd’hui, ce n’est plus le cas : l’inflation devient très lourde pour le secteur », continue Emmanuel Déchin.
Des pistes sont à explorer, mais « il n’y a pas beaucoup de leviers sur lesquels agir ». Il en existe essentiellement deux :
- La marge de distribution. Pour lui, cela représente « un moyen extrêmement simple et significatif à mettre en œuvre : relever le plafond au-delà de 32,50 € ».
Cela permettrait ainsi de générer des gains relativement importants puisque le marché pharmaceutique de ville est actuellement tiré vers le haut par des produits chers (médicaments de plus de 500 € de PFHT). - La contribution sur les ventes en gros. Pour l’exercice 2022, elle est estimée à plus de 190 millions d’euros. Pour le délégué général de la CSRP, « cela reste très important surtout pour un secteur qui perd de l’argent ». Cette taxe est calculée sur le chiffre d’affaires et non sur les bénéfices. « Pour un secteur comme la répartition pharmaceutique où les chiffres d’affaires sont très importants mais avec une marge règlementée relativement faible, cela reste très pénalisant ». Agir sur la contribution sur les ventes en gros est, pour la CSRP, la priorité pour le secteur.
La répartition en route vers l’écologie
Pour Emmanuel Déchin, le cœur de l’activité restera la livraison de médicaments aux officines de ville, dont les flux de distribution et d’approvisionnement pourraient évoluer.
« On se rend compte qu’aujourd’hui beaucoup de livraisons ont lieu, avec pour conséquence une empreinte carbone importante ». Un regroupement des livraisons et une diminution du nombre de prestataires permettraient de diminuer considérablement l’impact sur l’environnement. De par ses infrastructures et ses capacités logistiques, la répartition pourrait répondre à ces besoins « verts ».
Dans des situations de fortes tensions d’approvisionnement comme celle que nous observons en ce moment sur de nombreuses molécules, le flux du direct s’arrête car il ne permet pas d’assurer le minimum d’équité que garantit la répartition en livrant toutes les pharmacies de France alors que le direct est plus accessible aux grosses officines.
« En période de tensions d’approvisionnement, les grossistes permettent d’avoir un peu de médicaments, un peu partout, ce qui est impossible avec le direct. D’ailleurs, l’ANSM sollicite de plus en plus la profession pour mettre en place une distribution la plus équitable possible ».
La répartition est prête à s’adapter aux nombreuses contraintes afin de continuer à accompagner les pharmaciens d’officine dans leur quotidien. ■
Phoenix rachète OCP :
quels effets en France ?
L’achat de l’OCP par le groupe Phoenix Pharma a surpris les pharmaciens français. Néanmoins, le cas français n’est pas représentatif de la situation européenne.
Signé en juillet 2021, le rachat de l’OCP par le groupe Phoenix Pharma a été finalisé le 31 octobre 2022 après autorisation des autorités de concurrence. D’un point de vue français, ce rachat peut paraître étonnant : « le petit rachète le grand » puisque l’OCP a réalisé 30,77 % de parts de marché de la répartition pharmaceutique en 2021 alors que le groupe Phoenix Pharma en a réalisé 8,99 %.
Mais ce rachat ne se limite pas au marché français. Phoenix Pharma est un groupe familial indépendant allemand et un leader européen du commerce pharmaceutique. Avant le rachat, le groupe était déjà présent dans 27 pays européens et employait 39 000 personnes sur 161 sites de répartition pharmaceutique.
« Une offre plus étendue »
Quant à l’OCP, elle était depuis 1993 une filiale du groupe allemand GEHE, devenu Celesio, puis McKesson Europe en 2016. En 2021, le groupe américain annonce finalement se séparer des activités de McKesson Europe en France, Italie, Irlande, Portugal, Belgique et Slovénie.
Grâce à l’acquisition de l’OCP, le groupe Phoenix Pharma s’implante en Belgique, en Irlande, au Portugal et en Slovénie et est désormais présent dans 29 pays en employant 45 000 personnes sur 224 sites.
D’après Claude Castells, président de Phoenix France, cela permet au groupe « d’atteindre une taille critique en France ». D’après lui, les deux marques vont continuer à coexister pour « offrir aux pharmaciens d’officine le choix d’une expertise combinée des deux entreprises en fonction de leurs besoins […] pour assurer une offre plus étendue leur permettant de mieux accompagner les patients ». ■
Les métiers du pharmacien
dans la répartition
La répartition étant un secteur pharmaceutique, des règles précises s’appliquent aux personnes qui y travaillent. De nombreux postes sont accessibles aux personnes titulaires de leur doctorat en pharmacie.
Officine, industrie, internat… Trois options dont on parle pendant les études de pharmacies et parmi lesquelles il faut s’orienter dès la 3e année… Pourtant, une autre spécialité existe pour les pharmaciens, souvent méconnue.
Le pharmacien de la distribution en gros ! Au-delà des camionnettes blanches et des caisses colorées qui permettent à vos officines d’être livrées deux fois par jour, le métier de la répartition pharmaceutique est lourd de contraintes réglementaires pour garantir la qualité de leur activité.
Tout d’abord, les établissements de la répartition pharmaceutique doivent, au même titre que les industriels, disposer d’un statut d’établissement pharmaceutique et être dirigés par un pharmacien qui assumera alors la responsabilité de l’activité de chaque établissement de répartition. Les pharmaciens au sein de la répartition occupent généralement un autre poste en plus d’une responsabilité pharmaceutique tel que commercial, marketing, logistique, management, etc.
D’après la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP), 27 % des cadres de la répartition sont pharmaciens.
Mission de santé publique et bonnes pratiques
Outre cette obligation pharmaceutique, les grossistes-répartiteurs doivent répondre à une mission de santé publique. Là encore, c’est aux pharmaciens de s’assurer du respect de ces règles :
- Livrer toutes les pharmacies sur le secteur d’activité déclaré et qui en feraient la demande. Ainsi, un grossiste-répartiteur livrant une officine dans une commune donnée se voit obligé de livrer toutes les officines de cette même commune qui le lui demanderaient ;
- Référencer au moins 90 % des présentations des médicaments exploitées en France ainsi que des accessoires médicaux ;
- Détenir un stock correspondant au minimum à deux semaines de consommation ;
- Être capable de livrer tout médicament du stock dans les 24 heures suivant la réception de la commande ;
- Depuis 2008, participer à un système d’astreinte les week-ends et jours fériés.
Enfin, les établissements de la répartition pharmaceutique doivent appliquer les bonnes pratiques de la distribution en gros (BPDG) afin de garantir la qualité de l’ensemble de leurs prestations.
Le but principal des BPDG est de garantir et sécuriser l’origine, la qualité, et les conditions optimales de détention et de livraison des médicaments à usage humain dispensés en France.
Sous l’autorité du pharmacien responsable (PR), ces pratiques s’appliquent aux médicaments à usage humain et recueillent les principes fondamentaux devant être suivis dans toute entreprise pharmaceutique pratiquant la distribution en gros en matière de gestion de la qualité, de personnel et locaux ainsi que d’équipements (dont les systèmes informatisés).
Le poste de pharmacien dans la répartition pharmaceutique est un rôle clé dans la chaîne de distribution du médicament en France.
Il est garant de la qualité et de la sécurité de toute l’activité du répartiteur. Ses missions sont variées puisqu’il sera également en charge de missions non pharmaceutiques… ■
Une offre massive sur tout le territoire
Pour obéir à l’ensemble des besoins des pharmacies et des patients, la répartition pharmaceutique doit répondre à une logique de masse et de réactivité importantes sur le territoire.

Parts du marché entre acteurs de la répartition pharmaceutique. Ces chiffres ne prennent pas en compte l’acquisition de l’OCP par le Groupe Phoenix Pharma puisque cette opération, bien qu’initiée en juillet 2021, n’a été finalisée que le 31 octobre 2022.
Interface entre l’industrie pharmaceutique et les officines, la répartition pharmaceutique est un marché qui a représenté un chiffre d’affaire de 17 milliards d’euros en 2020. Peu connus du grand public, les grossistes-répartiteurs ont pourtant un rôle indispensable dans la chaîne du médicament. Sans eux, les pharmaciens devraient commander leurs médicaments et produits de santé auprès de plus de 500 fournisseurs…
Ces 7 groupes correspondent à 176 établissements de répartition basés sur tout le territoire métropolitain et desservent 21 600 officines. Ils permettent de livrer 30 000 références disponibles pour les pharmacies d’officines mais également hospitalières avec un délai moyen de livraison de 2h15. Ils emploient 12 000 personnes sur toute la France.
Entre l’achat, le rangement et la préparation des commandes, l’ensemble des employés de ces établissements manipule plus de 6 millions de boîtes par jour et plus d’1,8 milliard de produits par an. ■