Le traitement de substitution aux opiacés (TSO) nécessite une prise en charge dans la durée et la proximité. Le pharmacien est en première ligne dans le suivi de son observance, la lutte contre le mésusage et, plus généralement, l’accompagnement du patient.
Le cas de Jérôme
Monsieur Jérôme D. se présente avec sa première ordonnance de TSO. Après avoir évalué sa dépendance, son médecin lui a prescrit un traitement oral à base de buprénorphine à haut dosage (BHD). Dépendant à l’héroïne, sans co-addictions ni pathologies particulières, Jérôme est bien décidé à s’en sortir. Il est soutenu pour cela par ses proches.
ORDONNANCE SÉCURISÉE
La buprénorphine est un médicament inscrit sur la liste 1, assimilée aux stupéfiants, pour laquelle une primo-prescription par un médecin spécialiste n’est pas nécessaire. Elle est soumise partiellement à la réglementation des stupéfiants.
Sa prescription doit être rédigée en toutes lettres sur une ordonnance sécurisée. Elle est limitée à 28 jours.
La mention du nom de la pharmacie, choisie en accord avec le patient, est obligatoire.
Le pharmacien doit respecter les règles de fractionnement : quantité délivrée en une fois limitée à 7 jours au maximum, sauf mention expresse du prescripteur. Le fractionnement souhaité par le prescripteur doit être indiqué : quotidienne en début de traitement, puis hebdomadaire, après la stabilisation, par exemple.
Le pharmacien ne peut exécuter l’ordonnance dans sa totalité que si elle lui est présentée dans les 3 jours suivant sa date d’établissement.
Après enregistrement de la délivrance, le timbre de l’officine, le numéro d’enregistrement, la date d’exécution et les quantités délivrées doivent être mentionnés sur l’ordonnance.
La concertation, le dialogue avec le médecin doivent être systématiques : lors de la première ordonnance (un contact téléphonique, devant le patient, est fortement recommandé), quand le patient n’est pas connu, lorsqu’il y a modification des doses ou chevauchement, devant toute difficulté, suspicion de mésusage ou de nomadisme, et aussi souvent que nécessaire au cours du suivi.
LA BHD EN PRATIQUE
Le traitement débute par une phase d’induction : le médecin instaure une posologie initiale, puis évalue la réponse du patient dans les 24-48 heures. Une délivrance quotidienne est recommandée durant cette période.
La première dose doit être prise lors de l’apparition des premiers signes de sevrage, au moins 6 heures après la dernière prise d’opioïdes. Prise trop tôt, la BHD peut déclencher des symptômes de manque. L’effet substitutif intervient après 45 à 90 minutes.
Au cours des quelques jours qui suivent, la dose est progressivement adaptée en fonction de l’effet clinique obtenu, jusqu’à stabilisation à une dose d’entretien. Pour l’atteindre, une à deux semaines sont généralement nécessaires. L’adaptation de la posologie se fait par paliers de 2 à 8 mg, sans dépasser 24 mg par jour. La phase de stabilisation se caractérise par l’arrêt de la consommation des opiacés naturels et une sensation de mieux-être, avec réduction d’appétence aux opiacés et absence de signes de sevrage.
La plupart du temps, le TSO se poursuit plusieurs mois ou années. Lorsque l’état clinique paraît stabilisé, et si c’est le souhait du patient, son arrêt peut être programmé. La posologie doit alors être diminuée progressivement. La période de fin correspondant à une période à risque, le suivi doit donc être très attentif.
Avec un taux de couverture (rapport du nombre de personnes traitées par TSO/nombre d’usagers d’opioïdes) estimé à 85 %, la France a le niveau le plus élevé de prescription de TSO par habitant dans l’Union Européenne.
Source : Observatoire français des drogues et des toxicomanies
BON USAGE & CONSEILS
Conseils de prise
● Prendre la dose en une prise, en maintenant les comprimés sous la langue, jusqu’à dissolution complète (5 à 10 minutes sont nécessaires), sans les mâcher. S’humecter la bouche préalablement avec de l’eau favorise la dissolution du comprimé et l’absorption du principe actif.
Lorsque la dose se compose de comprimés de différents dosages, ceux-ci peuvent être placés sous la langue simultanément ou en deux temps (la deuxième part doit être prise dès que le ou les comprimés de la première part sont dissous).
● Ne consommer ni aliments ni boissons tant que les comprimés ne sont pas complètement dissous.
● Ne pas modifier ou arrêter le traitement sans l’accord du médecin. Un arrêt brutal peut entraîner l’apparition de symptômes de sevrage.
La prise devant le pharmacien peut être recommandée pendant la phase d’instauration du traitement.
Consulter le médecin
● Si l’effet du Subutex paraît trop fort ou trop faible, notamment au cours des jours qui suivent le début du traitement.
● Immédiatement en cas de dépassement de prise : un surdosage nécessite la mise sous surveillance médicale et éventuellement un traitement en urgence à l’hôpital.
● Rapidement en cas d’oubli : ne pas prendre de dose double pour compenser.
Risques à connaître
● Comme tous les dérivés de la morphine, la BHD est un antalgique puissant, susceptible de masquer la douleur en cas de maladie ou de traumatisme grave (appendicite, fracture…).
● Les consommations associées exposent à des risques de réactions très graves, y compris de décès. La prise concomitante d’autres psychotropes, et surtout de benzodiazépines mais aussi d’alcool ou de cannabis, peuvent augmenter la somnolence et le ralentissement psychomoteur, ainsi que le risque de défaillance respiratoire.
● L’usage détourné du médicament (injection ou sniff) entraîne une instabilité psychique (avec irritabilité, agressivité, etc.) due aux effets excitants du TSO.
À éviter
La conduite automobile et les activités dangereuses en début de traitement : une baisse de la tension artérielle ou une somnolence peuvent apparaître.
LES CLÉS DU SUCCÈS
En dehors de la posologie et du bon usage, le succès de la prise en charge dépend étroitement de la motivation personnelle mais aussi de la qualité de l’alliance thérapeutique (régularité aux consultations, qualité de l’échange avec le médecin, le pharmacien), qui est le premier critère d’observance du traitement, avant l’amélioration des paramètres physiques et psychiques.
Une prise en charge globale, à la fois médicale, sociale et psychologique (logement, aide psychologique, recherche d’emploi…) est aussi indispensable pour limiter le risque de rechute. ■
Une activité agoniste partielle, ou agoniste-antagoniste
La buprénorphine se fixe au niveau des récepteurs cérébraux μ et κ. C’est sa liaison lentement réversible aux récepteurs μ qui lui confère son activité en minimisant de façon prolongée le besoin en stupéfiants. Ses effets d’agoniste partiel lui apportent, de plus, un index thérapeutique élevé en limitant ses effets dépresseurs, notamment sur les fonctions cardiorespiratoires.
Délivrance de TSO chez une personne placée en garde à vue
Une officine peut être réquisitionnée par l’officier de police judiciaire (OPJ) pour délivrer les médicaments nécessaires à une personne pendant sa garde à vue. Répondre à cette réquisition est une obligation pour le pharmacien.
La réglementation pharmaceutique s’applique concernant la validité de l’ordonnance et les règles de dispensation. L’OPJ peut prendre connaissance du plan de prise, et des explications sur le traitement peuvent être rédigées à l’intention du patient.
Concernant la facturation, soit le gardé à vue dispose de ses cartes vitale et mutuelle à jour, soit le pharmacien fait l’avance des frais. Ceux-ci peuvent être pris en charge par l’aide médicale de l’État (AME). Pour se faire rembourser, le pharmacien doit prendre contact avec le service de la Direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités (DDETS).