Crise des ressources humaines : quelles solutions à l’officine ?

Numerus clausus, salaires jugés trop bas, charge de travail accrue, incivilités au comptoir… Les raisons pour se décourager des métiers de l’officine ne manquent pas. La crise des ressources humaines, latente depuis quelques années, a été amplifiée par celle du Covid-19. Face à cela, les titulaires doivent trouver des solutions pour remotiver ET prendre soin DE leurs équipes…   

COMMENT en sommes- nous arrivés là ?  

La crise du Covid-19 en a mis une autre en exergue, celle des ressources humaines dans les officines. Déjà présente depuis quelques années, elle s’est aggravée avec la charge de travail liée à la pandémie. D’où vient le malaise ? Explications. 

 

Horaires à rallonge, vacances décalées, week-end travaillés… Depuis deux ans, le Covid-19 met à rude épreuve les pharmaciens et les préparateurs de toute la France, avec une charge de travail et des missions qui augmentent. Davantage de travail donc, mais les bras manquent souvent. L’insuffisance de personnel officinal n’est qu’en partie liée à la crise du Covid-19. Le malaise réel est plus profond, plus ancien. 

 

Numerus clausus et perspectives professionnelles

Depuis des années, dans toutes les régions, nombre de titulaires peinent à recruter et à garder leurs collaborateurs. “La base de cette crise des ressources humaines vient du numerus clausus qui a longtemps limité le nombre de pharmaciens formés, explique Véronique Legrand, pharmacienne, DRH chez 3Ssanté. La demande est donc supérieure à l’offre, ce qui explique le manque actuel de candidats. Et même si le numerus clausus a été réformé en 2020, plusieurs années seront nécessaire avant que la tendance ne s’inverse”. Une conjoncture à laquelle s’ajoute parfois une baisse de l’attractivité des métiers de l’officine dès les études. “Il y a 10 ans, 60 % des étudiants se destinaient à l’officine, mais ce pourcentage a baissé et n’est plus que de 35 à 45 % aujourd’hui, poursuit Véronique Legrand. Les jeunes préfèrent aller dans l’industrie pharmaceutique car ils ont de meilleures perspectives d’évolution… Cela est aussi lié à leur stage en pharmacie qui les décourage parfois, notamment quand ils passent plus de temps en arrière-boutique – à ranger les médicaments et gérer les stocks – qu’au comptoir puisqu’ils n’ont le droit de servir la patientèle qu’à partir de la 3e année de pharmacie”.

 

La base de cette crise des ressources humaines vient du numerus clausus qui a longtemps limité le nombre de pharmaciens formés. ”

Véronique Legrand, pharmacienne, DRH chez 3Ssanté

 

Une baisse de l’attractivité renforcée par la crise sanitaire

Un désamour de la profession qui peut aussi arriver après plusieurs années de travail. En effet, certains pharmaciens et préparateurs changent de métier, se reconvertissent… Plusieurs raisons peuvent les motiver mais l’une des revendications principales, et depuis longtemps, reste la hausse des salaires. “Les préparateurs se sentent dévalorisés d’un point de vue salarial et humain, explique David Brousseau, préparateur. Ils travaillent énormément mais se sentent oubliés par l’État et par la population, qui ne sait souvent même pas quel est notre métier”. Un sentiment, là encore, exacerbé lors de la crise sanitaire. En février et mars 2020, le peu de masques fournis par l’État n’étaient destinés qu’aux pharmaciens. À cela s’ajoutent, aussi bien pour les préparateurs que les pharmaciens, de nombreux facteurs. “L’exercice s’est trouvé complexifié : horaires à rallonge, clients agressifs, travail dans des barnums à l’extérieur durant l’hiver, explique Philippe Becker, expert–comptable chez Fiducial. Et une impossibilité de pratiquer le télétravail. Que vous soyez pharmacien, infirmière, serveur dans un restaurant ou encore ouvrier du bâtiment, vous n’êtes pas éligible à ce qui est souvent vu comme un avantage”.
En résulte parfois un sentiment de baisse de l’attractivité de la profession qui a mené certains collaborateurs à démissionner ou à se reconvertir vers d’autres métiers. Et ce, d’autant plus que les jeunes générations aspirent à un meilleur équilibre entre vie personnelle et professionnelle, ce qui a été très compliqué ces derniers mois au sein des officines.

 

 

Reconversion et manque de mobilité

Un jour, une de mes collaboratrices m’a annoncé qu’elle ne voulait plus faire ce métier et se concentrer sur sa passion : devenir coach sportive… Elle n’est pas un cas isolé ; actuellement, j’ai quatre postes de pharmaciens que je n’arrive pas à pourvoir, explique David Abenhaim, président du groupement Pharmabest et cotitulaire de la pharmacie Prado-Mermoz à Marseille. Conjoncturellement, c’est en partie lié au fait que beaucoup de jeunes diplômés font des missions dans des centres de dépistage ou de vaccination. Ils préfèrent un travail moins stable mais avec une bonne rémunération à la vacation. Sans cela, je pense que mes quatre postes auraient été pourvus depuis longtemps”. Beaucoup de pharmacies sont actuellement en sous-effectif ou en tension d’un point de vue des ressources humaines. Les titulaires savent que si l’un de leurs collaborateurs arrête, ils auront du mal à le remplacer et à recruter. Les petites et moyennes pharmacies sont plus menacées par cette réalité et certaines ont même dû fermer durant la pause déjeuner par exemple, par manque de personnel. “Toutes les régions ont le même problème de recrutement, notamment des préparateurs, poursuit David Abenhaim. Certaines sont plus épargnées. Ainsi, à Alès, beaucoup de préparateurs sont disponibles mais ne souhaitent prendre de poste à Montpellier où on en manque. La faible mobilité régionale de ce type de profil ne permet pas de leur proposer des postes ailleurs, c’est pourquoi le groupement va mener des actions directes avec les écoles pour prendre le sujet à la racine”. Malgré ce problème endémique, les pharmacies restent ouvertes et continuent à servir leurs patients. Faire face et assurer la même qualité de soins et de services, quelles que soient les circonstances :  c’est ainsi que beaucoup de pharmaciens et préparateurs voient leur rôle de professionnels de santé. •

 


 Pallier le manque de pharmaciens dans certaines zones 

Le manque de personnel dans les pharmacies touche toutes les régions, mais certaines sont encore plus démunies que d’autres. Pour l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (Anepf), cette situation est liée au stage de 6e année. “Financièrement, un étudiant ne peut pas aller à plus de 30 ou 40 kilomètres de sa fac, explique Numan Bahroun, président de l’Anepf. Il faut donner aux étudiants la possibilité de découvrir ces territoires. La solution serait d’avoir un statut d’interne et donc une hausse de la rémunération ainsi que des indemnités de transport et d’hébergement”.


 

TITULAIRE : comment dépasser la crise des ressources humaines ?

Avec la crise sanitaire, les équipes officinales ont plus que jamais besoin d’un bon encadrement. Titulaires, peaufinez votre stratégie managériale pour rebooster vos équipes et attirer de nouveaux collaborateurs. 

 

 

En cas de manque de personnel, en ce moment, les titulaires se débrouillent au sens strict du terme, explique Mathias Raimbault, pharmacien et consultant, fondateur du groupement parisien Marc & D. Ils essaient toutes les solutions possibles pour ne pas fermer : le recours à des cabinets de travail temporaire, l’augmentation des horaires de toute l’équipe, des étudiants en renfort… Un pharmacien a même fini par embaucher son fils et sa femme pour combler les absences”. Avec l’augmentation de l’activité et des missions liées au Covid-19, le personnel officinal est à bout de souffle. Plus que jamais, le titulaire doit se positionner en chef d’entreprise et manager, au sens bienveillant du terme : prendre soin de ses équipes, les écouter, comprendre leurs sentiments, les valoriser, etc. Ces attentions sont essentielles pour maintenir une bonne ambiance au sein de sa pharmacie et donner envie aux salariés de rester et de poursuivre leurs efforts. 

 

Casser le rapport hiérarchique et redonner du sens au métier

Le titulaire doit être celui qui solutionne les problèmes et instaure un contexte professionnel favorable à l’épanouissement de ses collaborateurs en les impliquant dans la vie et les orientations de l’entreprise, explique Grégory Reyes, maître de conférence à l’Institut d’administration des entreprises de Poitiers et spécialisé en pharmacie. Pour cela, il convient de casser le rapport hiérarchique : échanger avec ses équipes et leur déléguer de vraies responsabilités. Toutes ces choses sont valorisantes et redonnent du sens au métier”. Cette augmentation des compétences du personnel doit aussi se voir sur la fiche de paie… Et ce, d’autant plus si le chiffre d’affaires de la pharmacie est très largement positif.
Il est nécessaire de faire comprendre aux employeurs que les négociations doivent être généreuses, explique Olivier Clarhaut, ancien préparateur et actuel secrétaire fédéral de la branche Officines au sein du syndicat Force Ouvrière. Il faut qu’il y ait une reconnaissance salariale de l’investissement des équipes”. 

 

Il est nécessaire de faire comprendre aux employeurs que les négociations doivent être généreuses. Il faut qu’il y ait une reconnaissance salariale de l’investissement des équipes. ”

Olivier Clarhaut, ancien préparateur et actuel secrétaire fédéral de la branche Officines au sein du syndicat Force Ouvrière

 

Chouchouter ses collaborateurs par de petites attentions

Le titulaire doit aussi instaurer un cadre de travail agréable. Pour cela, de petites attentions et des gestes simples sont très importants : des moments d’échanges avec chacun des collaborateurs, des réunions avec tous, prendre le temps de les féliciter individuellement pour leur travail, accepter – quand cela est possible – une certaine flexibilité sur les horaires de travail (par exemple en cas de grève dans les écoles, etc.). “Tous ces avantages font que les collaborateurs se sentent bien traités et auront envie de rester, explique Pascale Hauet, pharmacienne et formatrice chez Pragmatic RH. Il est important de chouchouter les collaborateurs pour les fidéliser, surtout en ce moment car c’est ce que le titulaire a de plus précieux. Le management doit être à la hauteur des efforts fournis par les équipes, qui ont besoin des meilleures conditions de travail possibles”. Enfin, le titulaire doit aussi encourager la formation de ses collaborateurs et leur spécialisation. Si un salarié a obtenu un DU en aromathérapie, le titulaire peut, par exemple, lui proposer de gérer entièrement ce rayon de la pharmacie. Un échange donnant-donnant : valorisation du salarié qui fournit une compétence intéressante pour l’officine.

 

Rendre le métier plus attractif…

Côté perspective d’évolution et offre d’emploi, on doit aussi veiller à ce que la parapharmacie et le merchandising ne constituent pas une trop grande partie de l’emploi du temps des collaborateurs. “Pour lutter contre la crise des ressources humaines, il est primordial de se recentrer sur l’essence du métier de pharmaciens : être un professionnel de santé, explique Gilles Bonnefond, conseiller du président de l’USPO. Il ne faut pas imiter la grande distribution avec des promotions placardées partout et des techniques issues du commerce à bas prix. Les jeunes candidats ne trouveront le métier attractif que s’il correspond à leurs attentes, c’est-à-dire prendre soin des patients avant tout”. 

Lors de la publication d’une annonce ou pendant le recrutement d’un collaborateur, n’hésitez pas à mettre en avant ce type de spécificités en détaillant le travail attendu. Dans un univers très concurrentiel, il est très important de se démarquer et “vendre” tous les atouts de l’officine comme l’ambiance, les temps organisés en équipes ou encore un comité d’entreprise.

 

La robotisation : récupérer du temps pharmaceutique

Enfin, prendre soin de ses équipes signifie aussi alléger autant que possible leur quotidien. Pour cela, l’installation d’un robot au sein de l’officine est un avantage car il prend en charge certaines tâches chronophages. Ainsi, les collaborateurs ont plus de temps pharmaceutique.
Dans la même optique, les titulaires ont aussi intérêt à externaliser au maximum tout ce qui relève de l’administratif, de la gestion des réseaux sociaux, des commandes, du merchandising… “Les groupements aident à déléguer toutes ces tâches qui ne relèvent pas du métier de pharmaciens, conclut Pascale Hauet. Avant la crise, on avait peut-être encore le temps de s’en occuper mais maintenant, il vaut mieux confier tout cela à un groupement et se recentrer sur le cœur de métier”. • 

 


 La réforme du diplôme des préparateurs   

Depuis la rentrée 2021, le brevet professionnel (BP) préparateur en pharmacie a été transformé en Deust, officiellement reconnu Bac+2. “Le BP n’était pas intéressant car il équivalait à BAC+0 après deux ans d’études, explique David Brousseau, préparateur. Je pense que cette réforme va attirer beaucoup plus de candidats qui n’auront plus peur d’être enfermés dans un métier ou de devoir repartir à zéro s’ils veulent se reconvertir. J’espère aussi que cette évolution de nos compétences s’accompagnera d’une hausse des salaires et surtout d’une valorisation de notre métier”.


 

 

Le rôle des groupements

Face à la crise des ressources humaines et celle du Covid-19, l’aide d’un groupement est l’une des solutions pour alléger le travail des équipes et maximiser le temps pharmaceutique.

 

 Quand un titulaire manque de personnel, il fait automatiquement des arbitrages dans ses priorités mais toujours d’une façon positive pour le patient et négative pour l’officine, estime Harold Caignaert, directeur commercial & enseignes chez Giropharm. Par exemple, je n’ai jamais vu de pharmacies aussi mal rangées qu’en ce moment : les linéaires ne sont pas faits, le tri non plus, des cartons traînent, etc. Mais le plus important, la prise en charge des patients, elle, reste la même”.
Dans cette crise du Covid, à laquelle s’ajoute celle des ressources humaines et donc le manque de personnel, les missions et la charge de travail des équipes officinales augmentent. Plus le temps donc pour certaines choses, relayées au second plan… mais qui peuvent être pilotées par les groupements. 

 

Aide à la robotisation et gestion du merchandising

Pour gérer cette situation “d’urgence” et alléger le travail de ses équipes – notamment sur les aspects qui ne relèvent pas directement de la pharmacie -, faire partie d’un groupement peut s’avérer salvateur. “Nos conseillers vont dans les pharmacies de nos adhérents et s’occupent du point de vente, poursuit Harold Caignaert. Par exemple, ils font les têtes de gondoles ou mettent à jour les linéaires pour les aider”. Toujours dans la même optique de rationalisation du temps, les titulaires qui souhaitent installer des robots dans leur officines peuvent aussi être accompagnés par leur groupement : aide financière, solution de leasing, conditions d’achats privilégiées négociées en amont. Côté merchandising, les groupements soulagent aussi les pharmaciens sur divers aspects. Ainsi, ils créent les boucles qui vont défiler dans les linéaires digitaux, fournissent clefs en main des outils d’organisation (prise de rendez-vous en ligne, planogrammes) ou de communication (brochures pour les patients), gèrent certains services digitaux à l’instar des newsletters ou du site internet de la pharmacie, etc. “Des choses essentielles dont les équipes comme le titulaire n’ont plus le temps de s’occuper au quotidien…, précise Cyril Cortes, responsable concept au sein du groupe Giphar. Le groupement prend le relais”.

 

Déléguez !

En s’appuyant sur le groupement, les titulaires dégagent du temps sur certaines fonctions très chronophages liées au back-office, notamment pour les achats et la gestion du Générique, souligne Michel Dailly, directeur général d’Objectif Pharma et ses enseignes wellpharma et Anton & Willem. Nous apportons des solutions informatiques mais nous aidons aussi nos adhérents dans l’approvisionnement des masques et des GHA, la mise en place de TAG et de la vaccination, la prise de rendez-vous ou les échanges via une messagerie sécurisée utilisable par tous les professionnels de santé, etc”. 

Déléguer donc pour gagner du temps au comptoir… Mais aussi s’assurer une sécurité logistique et la garantie et de la conformité de la marchandise. “Les adhérents ne gèrent ni factures, ni les litiges auprès des laboratoires, explique Harold Caignaert.  Par exemple, si un carton de sirops est cassé lors d’une livraison, ils n’ont pas à passer trente minutes au téléphone avec un fournisseur, ils ont juste à signaler l’incident à nos agents collaborateurs du centre de facturation qui règlent le problème”. Le rôle du groupement ne s’arrête pas à une aide purement matérielle.

 

Quand un titulaire manque de personnel, il fait automatiquement des arbitrages dans ses priorités mais toujours d’une façon positive pour le patient et négative pour l’officine . ”

Harold Caignaert, directeur commercial & enseignes chez Giropharm

 

Accès à un vivier de candidats

Autre aspect positif de l’adhésion à un groupement en ces temps de crises : les plateformes de recrutement ou les partenariats avec celles déjà existantes. Ainsi, en quelques clics, les titulaires ont un accès privilégié à un panel de candidats dont les CV sont en ligne. Ils peuvent aussi publier leurs offres d’emploi directement sur l’interface du groupement et/ou sur ses réseaux sociaux. Une large diffusion pour une visibilité accrue.
Après recrutement, le groupement peut aussi aider le titulaire à “chouchouter” ses équipes. “Nous avons un comité d’entreprise pour les salariés : ils peuvent bénéficier de billets de spectacles à tarif réduit par exemple, développe Harold Caignaert. Des concours sont aussi organisés avec des prix à gagner, des ateliers sont proposés spécifiquement aux équipes…”.

 

Réfléchir aux solutions et anticiper les besoins

Faire partie d’un groupement, c’est aussi ne pas être seul face à cette situation de crise, rapporte Cyril Cortès. Un phénomène d’équipe et de solidarité existe entre les adhérents qui peuvent échanger via des messageries sécurisées. Les titulaires peuvent poser leurs questions, avoir les retours d’expériences des autres adhérents, etc.” Nombre de groupements proposent aussi des rencontres virtuelles et/ou présentielles plusieurs fois dans l’année. L’objectif de ces réunions – qui rassemblent les pharmaciens de toutes les régions – est qu’ils fassent remonter leurs difficultés et leur vécu au niveau national. Ainsi, le groupement peut réfléchir aux solutions et même anticiper les besoins à venir. Un vivier intellectuel pour mieux répondre aux enjeux actuels et à ceux de demain. •