L’officine en Outre-mer

Soleil, nature foisonnante, fonds marins exceptionnels…, l’Outre-mer a de quoi faire rêver. Beaucoup songent à quitter la métropole pour s’installer près de la forêt amazonienne ou sur un archipel du Pacifique, peu sautent le pas.
Mais ceux-là sont unanimes : ils ont trouvé une qualité de vie incomparable.

Des pharmaciens ultramarins de plus en plus nombreux 

L’an dernier, la section E de l’Ordre comptait 1 897 pharmaciens en Guadeloupe, Guyane, Martinique, Mayotte, Réunion, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna, contre 1 598 en 2010. Les trois quarts d’entre eux exercent dans les 615 officines recensées en 2020 et la grande majorité est installée à La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique. Ainsi, depuis 2010, le nombre d’inscrits a bondi de 19 %. Une hausse principalement liée à l’arrivée de nombreux pharmaciens adjoints mais aussi à l’augmentation des effectifs des pharmacies en établissements de santé. Dans le même temps, le nombre de titulaires a légèrement reculé (-0,7 %). 

Les pharmaciens de la Nouvelle-Calédonie ou de la Polynésie française ne sont pas représentés par cette section car ils ont leur propre Ordre des pharmaciens. À eux deux, ces territoires comptent une centaine d’officines et environ 400 pharmaciens. 

 

Pharmacie du Soleil à Grand-Bourg (Guadeloupe)

 

Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna : des cas particuliers

Les unes sont à une vingtaine de kilomètres des côtes canadiennes, tandis que les secondes sont situées au cœur du Pacifique à plus de 16 000 km de la métropole. Mais toutes deux ont une particularité commune : il n’y a pas de pharmacie d’officine. Ce sont les pharmacies des hôpitaux qui délivrent les médicaments à la population. En outre, à Wallis-et-Futuna, les dépenses de santé sont prises en charge par l’État. Les soins sont gratuits pour l’ensemble de la population.

 

Des conditions d’exercice très variées 

Officine urbaine près d’un CHU, pharmacie isolée sur une petite île d’un archipel, acheminement des médicaments en pirogue sur le fleuve Amazone… Les territoires ultramarins sont divers et chacun possède ses spécificités. 

Installé depuis 20 ans en Nouvelle-Calédonie, Nicolas Enrico a décidé de créer son officine « au cœur de la brousse » à Pouembout, à 3 heures de route de Nouméa. « C’est un important changement de vie. Nouméa est une ville à l’européenne mais les besoins sont ici. Ce sont essentiellement des villages, ne dépassant pas 8 000 habitants, sur des zones très étendues », explique-t-il. À son arrivée dans cette région de plaines, le pharmacien a construit son officine, ainsi qu’un cabinet médical accueillant des médecins et des para-médicaux. Mais encore faut-il convaincre les professionnels de venir s’installer, et ce, même quelques mois.
« On est confrontés à de réelles difficultés pour recruter des pharmaciens ou des préparateurs. Les attirer loin de la ville est compliqué même si on propose de payer le billet d’avion, le logis en arrivant… », confie-t-il, soulevant que les incertitudes concernant l’avenir institutionnel de l’archipel a pu refroidir certains candidats.

 

On est confrontés à de réelles difficultés pour recruter des pharmaciens ou des préparateurs. Les attirer loin de la ville est compliqué même si on propose de payer le billet d’avion, le logis en arrivant. 

Nicolas Enrico, installé depuis 20 ans en Nouvelle-Calédonie

 

Le pharmacien, un interlocuteur privilégié et apprécié

De nombreux témoignages concordent : les populations ultramarines respectent davantage le pharmacien qu’en métropole.
« À La Réunion, j’avais le sentiment que les patients étaient plus à l’écoute de nos conseils et que je remplissais davantage mon rôle de professionnel de santé qu’en région parisienne », assure Cécile, une pharmacienne qui a travaillé de nombreuse fois dans cette région. « Dans ma pharmacie, les patients nous appelaient “docteur”, ils étaient très fidèles à l’officine. Les pharmaciens avaient aussi une fonction sociale. Ils accordaient facilement des crédits ou remplaçaient des produits par des moins chers ou remboursés », abonde Romain Garcia qui a exercé quelques années en Guadeloupe avant de s’envoler pour La Réunion.

 

Une population plus vulnérable 

Hypertension artérielle, obésité, diabète de type 2… Les habitants des territoires d’Outre-mer sont davantage touchés par les maladies chroniques, en raison notamment d’une plus grande précarité, mais aussi d’un niveau d’éducation plus faible.

En Outre-mer, l’illettrisme est 3 à 14 fois plus élevé que dans l’Hexagone. « Au comptoir, il m’est arrivé souvent d’être face à des personnes âgées parlant uniquement le créole. On réussissait parfois à se comprendre en s’exprimant avec les mains ou si je parlais lentement. En cas de vraies difficultés, j’appelais un collègue », raconte Carla Masciari qui a travaillé 9 mois en Martinique, en 2021. « Pour pallier ces difficultés, j’ai plusieurs fois dessiné  sur les boîtes de médicaments pour expliquer comment les prendre», témoigne, lui aussi, Romain Garcia.

 

Au comptoir, il m’est arrivé souvent d’être face à des personnes âgées parlant uniquement le créole. On réussissait parfois à se comprendre en s’exprimant avec les mains ou si je parlais lentement. En cas de vraies, difficultés, j’appelais un collègue. 

Carla Masciari

 

Une médecine traditionnelle très présente

Le goût pour la phytothérapie et les remèdes traditionnels est bien plus prononcé en Outre-mer. Et ce, d’autant plus qu’une quinzaine de plantes endémiques des Antilles ou de La Réunion ont été intégrées à la pharmacopée française il y a quelques années. Aussi, dans les officines ultramarines, on trouve des produits à base de plantes aromatiques et médicinales très demandés de la population. L’un d’eux, le Virapic, un sirop à base d’herbe à pic ou « zeb à pic » en créole, a fait parler de lui cette année. « Un médecin guadeloupéen a assuré que ce produit protégeait du Covid-19, alors qu’aucune étude n’avait été réalisée. On a été assaillis. En quelques jours, nous avons été en rupture de stock. Les patients nous proposaient jusqu’à 100 euros pour obtenir un flacon », se souvient Carla Masciari. 

 

Pharmacie des Saintes à Terre-de-Haut (Guadeloupe)

 

Une chaîne d’approvisionnement unique mais complexe

L’éloignement géographique et les conditions climatiques pas toujours clémentes compliquent l’acheminement des médicaments en Outre-mer. Les pharmaciens ultramarins sont, de fait, dépendants de la situation des transports. 

En prenant en compte le délai de chargement des marchandises, le temps de transport mais aussi le passage aux douanes, les médicaments mettent environ deux mois pour arriver jusqu’aux Antilles par bateau contre une semaine par avion. Mais ce délai peut être rallongé de plusieurs jours si la météo cloue les avions au sol, empêche les bateaux d’embarquer ou bloque les colis dans les ports. Sans compter les grèves.  

Aux délais des transports s’ajoute une difficulté récurrente, liée aux températures élevées : le respect de la chaîne du froid. À La Réunion, par exemple, la température des containers monte parfois au-delà de 60°C. Des situations extrêmes, incompatibles avec de nombreux médicaments. 

 

Se soigner coûte plus cher

Dans les territoires d’Outre-mer, les prix des médicaments, remboursables ou non, des dispositifs médicaux, de la parapharmacie, etc., sont plus élevés d’environ 17 % pour les Antilles-Guyane et de 15 % à La Réunion, selon un rapport de l’Insee paru en 2016. Une différence liée aux contraintes logistiques de l’acheminement des médicaments qui entraînent un surcoût pour les grossistes-répartiteurs. 

À cela s’ajoute une imposition spécifique, appelée l’octroi de mer. Le montant de cette taxe est fixé par les territoires ultramarins, et les recettes sont reversées aux communes locales. Conséquence : les répartiteurs et officinaux achètent les produits plus chers qu’en métropole. 

Pour compenser ce manque à gagner pour les officinaux, le prix de vente TTC des spécialités pharmaceutiques est majoré par application d’un coefficient. Chaque territoire a un coefficient qui lui est propre, déterminé en fonction du niveau de vie de la population, de l’éloignement à la métropole mais aussi des négociations entre les syndicats et la Sécurité sociale. Un coefficient est également accordé au répartiteur afin de compenser les coûts du transport, les frais de douanes ainsi que les coûts associés au surstockage. •