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Tramadol : opioïde faible… mais molécule à haut risque

Le tramadol est l’antalgique opioïde le plus consommé en France. Les ventes se sont stabilisées depuis quelques années, mais les déclarations d’usage problématique progressent.

Des spécificités à bien connaître 

L’équilibre bénéfice/risque du tramadol est toujours positif. Néanmoins, la vigilance doit rester de mise dans un contexte mondial d’augmentation de la consommation des opioïdes.

 

Les plans de santé de lutte contre la douleur mis en place successivement depuis la fin des années 1990 ont participé à l’essor des médicaments opioïdes. Ces derniers ont contribué à améliorer la prise en charge de la douleur, mais ont également favorisé, du fait de leur potentiel élevé d’abus et de dépendance, une hausse des mésusages.

 

Son action sur le système sérotoninergique lui confère des propriétés antalgiques que les autres opioïdes faibles, opiacés purs, n’ont pas.  ”

Dr Marguerite D’Ussel, médecin responsable de l’équipe de prise en charge des douleurs chroniques à l’hôpital Paris Saint-Joseph

 

Les antalgiques opioïdes

Le terme « opioïde » regroupe les composés extraits de la graine de pavot et les substances semi-synthétiques et synthétiques ayant une structure et une activité analogues à la morphine. Ces composés agissent en mimant les effets des opioïdes endogènes (endorphine, enképhaline et dynorphine). Synthétisé dans les années 1970, le tramadol a été classé dans la catégorie des opioïdes faibles, antalgiques de palier II, comme la codéine et la poudre d’opium. 

Son efficacité analgésique aux doses thérapeutiques est due à la synergie suivante : l’effet opioïde par fixation sur les récepteurs opioïdes µ, commun à toute cette classe thérapeutique et l’effet sérotoninergique par inhibition de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline. Un mécanisme impliqué dans le contrôle de la transmission nociceptive centrale et « qui lui confère des propriétés antalgiques que les autres opioïdes faibles, opiacés purs, n’ont pas », explique la Dr Marguerite D’Ussel, médecin responsable de l’équipe de prise en charge des douleurs chroniques à l’hôpital Paris Saint-Joseph.

 

Le choix des médecins 

Une spécificité qui explique en partie son succès. Il est indiqué dans la prise en charge des douleurs aiguës modérées à intenses, soit après échec des antalgiques non opioïdes, soit si la douleur nécessite une prise en charge plus puissante. Cependant, il n’est pas recommandé dans la prise en charge de la migraine.

Le tramadol peut aussi être utilisé dans le traitement de certaines douleurs chroniques. « Actuellement, il n’est recommandé, comme le rappelle le Dr D’Ussel, que dans les douleurs chroniques neuropathiques. Il faut rester très vigilant avec cette molécule dans les douleurs chroniques non cancéreuses », notamment pour éviter  l’installation d’une dépendance. 

Par ailleurs, « dans certaines situations de douleurs aiguës, les opioïdes forts pourraient être privilégiés par rapport aux opioïdes faibles, mais des freins à la prescription existent : ordonnance sécurisée, protocoles de titration… », ce qui favorise, comme le pense la Dr D’Ussel, le choix du tramadol par certains médecins car « plus facile à initier et à renouveler. Le terme opioïde « faible » peut également les rassurer, laissant sous-entendre qu’il y a moins de risques à les utiliser que les opioïdes forts ; pourtant, ce n’est pas forcément le cas. »

 

Des spécificités pas toujours désirables

Du fait de sa pharmacologie, le tramadol présente des effets indésirables que la codéine et la poudre d’opium n’ont pas, comme les vertiges et la sensation d’ébriété, un risque d’hypoglycémie et un risque de convulsion au-delà de 400 mg/jour. La Dr D’Ussel souligne aussi que « le tramadol développe au long terme chez le consommateur une hypersensibilisation centrale qui induit au fil du temps une hyperalgésie ; autrement dit, les patients deviennent encore plus sensibles à la douleur ».

À noter que les effets indésirables liés à l’action sur les récepteurs opioïdes µ restent les mêmes sans distinction d’intensité d’une molécule opioïde à une autre : nausées, somnolence, constipation et risque de dépendance.

La consommation d’opioïdes, même faibles, expose à un risque d’abus que le patient soit naïf ou non de ce genre de traitement, qu’il présente des antécédents d’addiction ou non et quelle que soit la durée du traitement. 

 

Addiction et surdosage

Un risque particulier de surdosage existe aussi, comme l’explique la Pr Anne Roussin, pharmacologue au Centre de pharmacodépendance–addictovigilance du CHU de Toulouse : « Le métabolite produit par le cytochrome CYP2D6 est un agoniste opioïde plus puissant que la molécule mère : il améliore l’action antalgique, mais potentialise aussi l’effet stimulant en majorant les effets sur la sérotonine ».

La concentration en ce métabolite dépend de l’activité du CYP2D6, soumise à un polymorphisme génétique, ce qui explique, selon Anne Roussin, que « nous ne sommes pas tous égaux devant les effets pharmacologiques du tramadol ».

À noter que 3,6 % à 6,5 % de la population caucasienne sont qualifiés de métaboliseurs ultra-rapides au regard de l’activité de leur cytochrome CYP2D6 ; le risque de manifester les effets indésirables liés à la toxicité des opiacés est donc plus élevé et ce, même à dose recommandée. 

La Dr D’Ussel relève que « peu de professionnels de santé sont informés de cette variabilité métabolique qui ne permet pas de prédire l’effet du tramadol sur les patients ».

Ces différences de métabolisation sont à l’origine des profils de tolérance du tramadol et du fait que la dépendance peut s’installer chez certains patients, sans même qu’ils ne dépassent la dose thérapeutique ou sur des prises très courtes.

 

Un risque réel d’intoxication

Le risque associé à la dépendance est l’augmentation progressive des doses consommées. Certains patients finissent par ingérer plusieurs dizaines de comprimés par jour, ce qui peut aboutir à des overdoses.

Elles se traduisent par un myosis, une dépression du système nerveux central (allant de la somnolence au coma) et une dépression respiratoire pouvant entraîner le décès du patient.

Les enquêtes d’addictovigilance ont montré que le tramadol est la première molécule impliquée dans des décès par intoxication d’antalgique.

 

Différents profils de consommateurs 

La consommation de l’antalgique s’est stabilisée depuis 10 ans, avec une augmentation de l’utilisation de la substance seule par rapport aux associations avec le paracétamol. En revanche, les déclarations d’usages problématiques ont doublé entre  2013 et 2018. 

La synthèse des données d’addicto-vigilance a permis de définir clairement deux profils de consommateurs.

Le patient dans un contexte initial de douleur, suivi par un médecin avec une consommation encadrée par une ordonnance, mais qui évolue vers un mésusage. Cherchant à soulager son anxiété ou un éventuel état dépressif, il se retrouve dans l’impossibilité d’arrêter le traitement. « C’est le patient qui réalise qu’il dort mieux avec le tramadol, et qui va continuer à en prendre pour la qualité de son sommeil alors que la douleur initialement traitée a disparu », complète la Dr D’Ussel.

Autre profil, celui des consommateurs qui en font un usage directement détourné, associé ou non à d’autres substances psychoactives, pour un effet recherché d’anxiolyse, d’euphorie ou de sédation.

Des usages différents donc, mais aux complications identiques : pharmaco-dépendance et risque d’abus pouvant mener au surdosage et au décès. D’où l’importance, pour le pharmacien, de détecter ces consommateurs à risque et de les accompagner dans leur sevrage. •

 


Surdosage / Il existe un antidote

En cas de dépression respiratoire suite à un surdosage d’opioïde, un antidote, encore trop peu connu, existe : la naloxone. Ce traitement d’urgence est disponible à la pharmacie sous forme injectable intramusculaire dans des kits destinés aux usagers à risque de surdose d’opioïdes et à leur entourage.

Lorsqu’elle est prescrite par un médecin, la naloxone est délivrée sans frais (23 € sans ordonnance).

Une formation en ligne est disponible sur www.naloxone.fr pour se former aux gestes d’urgence.

 

usages problématiques : SOYONS VIGILANTS

Les opioïdes faibles, dont fait partie le tramadol, sont dans 86,3 % des cas prescrits par des médecins généralistes… et systématiquement délivrés par les pharmaciens. L’occasion pour eux d’exercer leur rôle essentiel de vigilance.

 

Pour lutter contre le mésusage en hausse du tramadol, les autorités de santé ont modifié et durci ses conditions de prescription et de délivrance. Cette mesure découle des enseignements tirés du rapport de l’ANSM paru en 2019 sur la consommation des antalgiques opioïdes et leurs usages problématiques. 

 

La prescription limitée

Depuis le 15 avril 2020, la prescription des médicaments antalgiques par voie orale contenant du tramadol (seul ou en association) est réduite de 12 mois à 3 mois. La procédure de renouvellement exceptionnel sur ordonnance expirée est interdite et au-delà de 3 mois, le patient doit présenter une nouvelle ordonnance. Cette décision, en plus de limiter les stocks de tramadol disponibles chez les patients, impose un suivi plus fréquent et une réévaluation de la douleur et du traitement par le médecin. L’objectif est clair : limiter l’apparition d’une dépendance.

 

 

Nomadismes et fausses ordonnances 

L’obtention illégale du tramadol est en augmentation, comme le montre le dispositif d’addictovigilance Osiap (ordonnances suspectes indicateurs d’abus possible) qui le place en 2019, comme deuxième antalgique le plus souvent retrouvé sur les ordonnances falsifiées. 

Le pharmacien doit donc faire preuve d’une vigilance accrue lors de la dispensation de cette molécule sous surveillance. D’autant qu’avec la crise sanitaire et l’émergence de la téléconsultation, se présente à lui une nouvelle problématique : celle des ordonnances scannées, très facilement falsifiables. Il est toujours possible de déclarer les ordonnances suspectes dans le cadre de notification de cas d’abus au système d’addictovigilance.

Face aux nouvelles dispositions encadrant la délivrance, la Pr Anne Roussin, pharmacologue au Centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance-addictovigilance du CHU de Toulouse, nous explique que « certains patients sont tentés de multiplier les consultations médicales chez des praticiens différents (le « doctor shopping ») pour obtenir plusieurs ordonnances à présenter en pharmacie ».

Pour repérer ces usages, le pharmacien peut se servir du dossier pharmaceutique du patient, accessible sur la carte Vitale. Mais les « nomades » connaissent souvent son existence et celui du dossier médical partagé. Le refus de présenter la carte Vitale doit donc alerter.

Il faut être capable à ce moment d’ouvrir le dialogue. Aussi, « sensibiliser et former les professionnels de santé au risque de dépendance et d’apparition de sevrage, même à des doses faibles et de courte durée, est essentiel. J’invite les pharmaciens à contacter le CEIP-A de leur région », insiste la Pr Anne Roussin.

Elle conseille également aux officinaux de questionner les patients sur leur suivi médical : « Il arrive parfois que les médecins refusent de continuer à prendre en charge ces patients. Il faut alors les réorienter vers des CSAPA, centres  de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie ».

 


Usages problématiques du tramadol, données du réseau d’addictovigilance (rapport de l’ANSM février 2019)

En 2016, les notifications d’usage problématique concernent :

• Autant de femmes que d’hommes ;

• Un âge moyen de 38,7 ans ;

• Dans 87 % des cas, le motif initial de consommation est une prise en charge de la douleur ;

• Dans 38,6 % des cas, le tramadol est consommé à des fins autres qu’antalgiques ;

• Dans 77 % des notifications, la consommation dure depuis plus de 2 ans.


 

Que faire face au mésusage ?

Des outils pour faciliter la détection des situations de mésusage existent aussi. S’ils sont encore à l’étude pour une utilisation aux comptoirs, les échelles utilisées par les médecins peuvent être une piste.

« Il s’agit de sujets déjà délicats à aborder lors des consultations et cela paraît compliqué à mettre en place à la pharmacie du fait du manque d’intimité. L’échelle Pomi peut être un meilleur outil à l’officine pour aider le pharmacien dans son rôle d’information et d’alerte. Le patient doit prendre la mesure du risque associé à la consommation de tramadol mais sans l’inquiéter outre mesure et sans diaboliser le traitement », estime Marguerite D’Ussel. 

L’échelle Pomi permet de dépister le mésusage en interrogeant le patient sur sa consommation.
Deux réponses positives et plus peuvent traduire un usage à risque.

 

Aide au sevrage progressif

Ce syndrome de sevrage se caractérise par des symptômes similaires à ceux notés lors d’un sevrage aux opiacés : agitation, nervosité, insomnie, hyperkinésie, tremblements et symptômes gastro-intestinaux.
Un rapport de l’ANSM souligne même que « 50 % des syndromes de sevrage au tramadol concernent des prises à doses thérapeutiques, parfois pendant une période très courte (inférieure à une semaine). »

Diminuer progressivement les doses et de ne pas arrêter brusquement le traitement est donc primordial, d’autant que les ordonnances ne le spécifient pas systématiquement. En cherchant à ne plus ressentir ces symptômes désagréables, le patient va faire perdurer sa consommation.

Le pharmacien devra délivrer le plus petit conditionnement possible en accord avec la prescription et rappeler aux patients l’importance du respect de la posologie et de la durée de traitement. 

En expliquant son traitement au patient et en le sensibilisant aux risques, il renforce ainsi son rôle si précieux d’accompagnement, d’information et de prévention. •