Thomas Weil a quitté la région parisienne pour le Québec en suivant son cœur, il y a découvert une nouvelle pratique du métier, dont il ne pourrait plus se séparer. Entretien avec un pharmacien engagé, à Montréal.
La Revue Pharma : Pourquoi êtes-vous parti au Québec ?
Thomas Weil : J’ai toujours rêvé d’aller au Québec ! J’y ai fait un stage et rencontré mon chum (copain). Je devais choisir entre lui et la France, j’ai suivi la voie de l’amour.
C’est compliqué de travailler là-bas ?
Notre diplôme est reconnu dans le principe, mais il faut quand même passer un examen fédéral, suivre des cours de droit canadien, et un stage de 4 mois. Ce n’est pas compliqué, mais le format n’est pas habituel pour les Français : ce sont des simulations de cas cliniques : des acteurs jouent des situations au comptoir et il faut leur répondre. Ils vérifient votre mode de communication et vos connaissances pharmaceutiques. Outre les connaissances, il faut des compétences. C’est plutôt une optique de professionnel de santé !
Le pharmacien québécois doit tout de même faire tourner son officine ?
Dans ma pharmacie, la section commerciale est bien délimitée, avec un petit mur. D’un côté on vend des chips, des journaux, des billets de loto, des cosmétiques et toute la parapharmacie, mais ce n’est pas moi qui gère ça. Je ne suis pas incité à vendre des produits, car déontologiquement, mon Ordre professionnel me demande de faire des recommandations basées sur la science. Vous n’entendrez jamais au Québec quelqu’un qui vous dira « il faut placer 3 produits conseils » !
Jusqu’où vont ces changements ?
Cela va jusque dans la reconnaissance de nos droits de prescription et d’ajustement des traitements. Depuis les années 70- 80, il n’y a plus d’obligation de délivrer un médicament sur une ordonnance, mais une autorisation. En France, le premier acte du pharmacien est de délivrer des médicaments, au Québec c’est d’émettre une opinion pharmaceutique. Cette vision a transformé le pharmacien en professionnel de santé, spécialiste du médicament et reconnu comme tel. Les patients savent que vous n’êtes pas là pour leur vendre quelque chose, mais pour les conseiller, les guider. Les médecins nous appellent pour nous demander notre avis.
Il y a donc une part de responsabilité un peu plus forte ?
Ça n’a rien à voir ! Il m’arrive de me réveiller la nuit en pensant à une délivrance ou un suivi à faire ! Si nous délivrons le mauvais traitement, nous avons 3 à 4 000 dollars d’amende. Et c’est appliqué ! Nous sommes obligés de bien faire notre travail.
Quelles sont les différences fondamentales avec la pharmacie française ?
En France, la formation n’est plus adaptée à la thérapeutique du XXIe siècle. La chimie et la galénique c’est bien, mais pas sur des centaines d’heures… L’Ordre au Québec est aussi plus actif, il s’assure que les membres font leur travail correctement avec des standards de pratiques attendus. Notre obligation déontologique est forte et notre Ordre fait avancer les choses dans l’optique de protéger la population et de lui assurer un service pharmaceutique de qualité.
Il y a une différence culturelle, sur l’image même du pharmacien. Je suis choqué en regardant Scènes de Ménages ou Koh-Lanta à la TV, où les pharmaciens sont représentés comme des commerçants avides. On ne verrait jamais ça au Québec !
Suivez-vous les évolutions du métier en France ?
Oui, et ça me déprime… Quand je vois l’arrivée des entretiens AVK, alors qu’ici cela fait 20 ans que les pharmaciens gèrent les INR de leurs patients, comme pour beaucoup d’autres traitements. Il y a tout un aspect clinique de la pharmacie qui n’est pas développé en France, notamment dans la formation, etc. Cela les empêche de prendre ce rôle par rapport aux médecins.
En France, le rôle de conseil est désormais reconnu par la loi.
Cela reste juste un conseil, ici on peut modifier le traitement. En France, il y a le dieu-médecin, et le pharmacien-distributeur.
Sur la vaccination aussi, il y a des différences. Au Québec, j’ai le droit d’administrer et de prescrire les vaccins. Au départ, les médecins n’étaient pas rassurés, mais le législateur a tranché, car il est démontré que plus les vaccinateurs sont nombreux, mieux la population est protégée. Un patient passe et me demande s’il peut être vacciné contre les pneumocoques, je peux le vacciner à l’instant. Ça n’a rien à voir.
Seriez-vous capable de rentrer en France ?
Non, si nous revenons à Paris, ce sera pour notre retraite ! C’est impossible pour moi de travailler en France, je ne conçois plus ma pratique comme il y a 7 ans. Hier, j’ai ajusté la posologie d’un antidépresseur à la hausse après avoir réalisé un questionnaire, j’ai ajusté la dose d’un antibiotique à la fonction rénale d’une autre patiente, etc., et tout cela de manière autonome et indépendante. J’ai appelé le médecin… après !
« Depuis le temps que les pharmaciens de France sont docteurs en pharmacie, il serait temps qu’ils soient reconnus comme tels.«
Le côté supermarché des officines ne vous dérange pas ?
Les espaces sont bien différenciés ! Les gens font la différence et savent que je suis pharmacien. Et le fait que l’OTC soit en libre-service est un plus. Je ne suis pas là pour faire la police, les gens font ce qu’ils veulent. Par contre, s’ils viennent me voir, ils auront un vrai conseil professionnel ! Qui sera souvent « Ne prenez pas ça, c’est de l’homéopathie, ça ne vaut rien. » Ce n’est donc pas dévalorisant. De plus, le gérant du magasin n’a aucun moyen de pression sur moi. Si je ne veux pas délivrer une ordonnance ou conseiller un produit, il ne peut m’y contraindre.
D’un point de vue du capital, comment cela se passe-t-il ?
Au Québec, seuls les pharmaciens peuvent posséder une officine. Il y a un système de franchise auquel il faut reverser une part des revenus en échange de nombreux services. On n’est donc pas 100 % indépendants, notamment sur les horaires. D’un autre côté, les pharmaciens sont aidés dans la gestion de leurs officines.
Certaines franchises tentent de modifier la loi pour pouvoir rentrer dans le capital. McKesson a perdu plusieurs procès dans lesquels ils tentaient de faire tomber l’indépendance des pharmaciens. Ce n’est pas tout rose. Mais au jour le jour, notre travail est tellement gratifiant. Ça change tout !
C’est sympa de vivre au Québec ?
En tant que pharmacien, on a un très bon niveau de vie, c’est très confortable ! La nature est magnifique et Montréal est cosmopolite. Les gens sont chaleureux et sympathiques. Si vous êtes prêt à changer votre mode de vie, c’est un super pays !
Que faut-il changer ?
Si vous habitez à Montréal, vous n’avez pas à changer vos habitudes alimentaires, il y a tellement de Français, des boulangeries françaises, des charcuteries, etc.
Le plus grand sacrifice, c’est évidemment la famille. Et culturellement, il n’y a pas le Louvre ou le musée d’Orsay. C’est la vie culturelle d’une petite ville française, malgré les 2 millions d’habitants. Si vous aimez la nature, il y a toujours quelque chose à faire.
Par rapport à la crise, est-ce que les pharmaciens participent ?
Quand je voyais les masques et les gels HA, en France, j’étais bien content de ne pas avoir à le faire. Nous ne sommes pas là pour faire des tests antigéniques, mais pour le suivi des traitements. Nous avons déjà la vaccination en plus, le dépistage n’est pas la direction que nous voulons prendre.
En France, les pharmaciens se retrouvent à faire tout ce que les autres ne veulent pas faire, sauf les médicaments. On va leur demander de gérer les masques, les tests AG, les bas de contention, etc., comme on ne vit plus de notre cœur de métier, de notre travail intellectuel.
Les pharmaciens se sont mis à faire des tests, car ils sont bien payés. Peut-être que s’ils étaient bien payés à donner leur opinion de pharmacien et à faire leur cœur de métier, ce serait un vrai bénéfice pour la population. •
Photo d’ouverture ©Adrien Olichon/UNSPLASH