Les pharmaciens ont montré qu’ils savaient se mobiliser. Le projet de loi Asap a voulu s’attaquer à la vente en ligne de médicaments, un sujet qui fâche. Qu’en reste-t-il ? Quelles autres dispositions prévoit-il ? Gros plan sur un texte qui a semé la discorde.
La montagne a accouché d’une souris ! Le projet de loi d’Accélération et de simplification de l’action publique (Asap), déposé au Sénat le 5 février 2020 et voté par l’Assemblée nationale le 6 octobre, prévoyait une poignée de dispositions pour la pharmacie d’officine. Mais l’une d’entre elles, concernant plus particulièrement la vente en ligne de médicaments, a fait monter au créneau une grande partie de la profession. Neuf mois et une crise sanitaire plus tard, les pharmaciens ont obtenu gain de cause. Une victoire pour tous… ou presque !
Vente en ligne, la raison de la colère
« Ce projet de loi, c’est le meilleur moyen de remettre les pharmaciens dans la rue », s’exclamait le président de l’USPO, Gilles Bonnefond, en février dernier. En cause, l’article 34 du projet de loi qui prévoyait « l’ouverture de la possibilité du commerce électronique des médicaments à une plateforme en ligne et la possibilité d’exercer cette activité dans un local distinct de l’officine ». L’enjeu : assouplir les conditions d’ouverture des plateformes en ligne, distinctes du site internet de l’officine.
Dans le projet initial, les médicaments pouvaient être stockés dans un autre local, rattaché à la licence de l’officine et placé sous le contrôle d’un pharmacien, avec la possibilité de mutualiser les moyens techniques pour construire une plateforme commune. Des dispositions jugées inacceptables par la profession, vent debout contre cette volonté de transformation de la distribution du médicament. « Mettre le code du commerce au-dessus du code de la santé », une aberration pour l’USPO ! Craintes de merchandisation du médicament, d’ubérisation de la pharmacie… le risque, selon les groupements, les syndicats et le Conseil national de l’Ordre, était de laisser la porte ouverte aux géants des Gafa comme Amazon.
Le danger écarté…
La colère a été entendue. Sous la pression des pharmaciens, le ministère de l’Économie et des Finances a fait marche arrière quelques semaines plus tard en faisant disparaître le terme de « plateforme » du projet de loi et en concédant un passage au régime de déclaration, et non plus d’autorisation. C’est une déconstruction totale pour Jérôme Peigne, professeur de droit à la faculté de pharmacie de Paris. « La loi a été faite par Bercy et l’Autorité de la concurrence pour remettre de la concurrence avec les sites en ligne. Sur le plan juridique, passer de l’autorisation à la déclaration à l’ARS n’est pas une révolution. L’autorisation était déjà implicite. On assouplit juste formellement le régime. Et quand on relit le texte, c’est pratiquement ce qu’il y avait avant… »
Mais un débat absent !
La loi Asap a été dénaturée et vidée de sa substance regrette l’Association des pharmaciens en ligne (Afpl). Mais pour Philippe Lailler, pharmacien titulaire installé à Caen et créateur de Pharma-GDD, pire encore, la discussion n’a même pas été possible. « Il n’y a pas eu de contradictoire au sein des différentes commissions à l’Assemblée nationale et au Sénat. La loi Asap proposait notamment le droit d’exploiter un local à une distance raisonnable de l’officine. Aujourd’hui, en plein centre-ville, les mètres carrés sont rares. Il faut de la place et des locaux adaptés, mais il n’y a pas eu de débat. Le 2e point relevait de l’accès à l’information alors que la publicité et la communication sur les services ou les compétences de l’officine est interdite. Le marché est ouvert mais, en France, on ne peut rien faire. »
La France en retard ?
Un tort pour ce pionnier de la vente en ligne, qui dit vouloir vivre avec son temps. « C’est dommage et triste, car la France n’est pas prête à affronter l’avenir comme il se dessine, et on l’a vu durant la période Covid, on est en souffrance. Les pharmacies sont peu équipées pour répondre à des demandes en ligne. » Le pays compte aujourd’hui un peu plus de 700 pharmacies en ligne, « dont seules quelques-unes travaillent », selon Philippe Lailler, soit 1 % à peine des officines depuis la création de la réglementation il y a 18 ans. « En Allemagne, on est à 16 ou 17 %. »
« C’est dommage et triste, car la France n’est pas prête à affronter l’avenir comme il se dessine »
Ne pas prendre le train en marche pour l’Afpel, c’est aller à l’encontre d’une demande grandissante des patients, dont beaucoup achètent à l’étranger, et laisser des géants européens parvenir à accéder au marché français. Philippe Lailler entend l’inquiétude légitime de ses confrères. Mais pour le titulaire, la vente en ligne permet justement de renforcer le maillage territorial en accordant une activité complémentaire à toute pharmacie du territoire qui se trouverait en difficulté. D’autant que, contrairement à l’Europe où la législation s’ouvre, la vente en ligne ne concerne en France que les médicaments sans ordonnance. « Elle ne révolutionnera qu’un pan de la pharmacie et les clients continueront à se rendre en officine. »
L’Hémicycle de l’Assemblée nationale, centre des débats sur l’écriture de la loi. (ASSEMBLÉE NATIONALE)
Regard comptable
Une autre disposition était espérée au sein de cette loi. Un article prévoyait la prise en compte, non plus du chiffre d’affaires, mais de l’activité globale des pharmacies pour définir le nombre de pharmaciens adjoints à employer. « Nous attendions une évolution sur ce sujet. Ce ne sera finalement pas dans la loi, mais au sein d’un décret », précise Alain Meunier, directeur associé du cabinet Fiteco, qui rappelle les faits. « Il faut à l’heure actuelle 1,3 million de CA par diplôme dans l’officine. Les médicaments chers ne dégagent pas énormément de marge pour le pharmacien, car celle-ci est plafonnée. Mais le problème, c’est que ces chiffres se retrouvent dans le CA et peuvent le faire basculer de 1,3 à 1,4 million sans que le titulaire ait suffisamment de travail justifiant l’emploi d’un 2e diplôme. Or cela fait un moment que l’on est bloqué à ce chiffre. »
Une loi fourre-tout
Parmi les autres dispositions prévues dans la loi Asap, et sous réserve d’absence d’amendements, certaines concernent les PUI (pharmacie à usage intérieur), comme l’obligation d’ouverture, sauf opposition du patient, d’un dossier pharmaceutique (DP) par les pharmaciens dans les PUI et les Ehpad. La mesure limitant l’obligation de consultation du DP a par contre été annulée.
Dans sa version quasi finalisée, le projet de loi a également créé un article permettant au directeur général d’une ARS de garantir l’approvisionnement en médicaments et produits pharmaceutiques de la population d’une commune dont la dernière officine a cessé son activité et lorsque celui-ci est compromis. Une disposition autorise alors l’organisation de la dispensation de médicaments et produits pharmaceutiques par un pharmacien à partir de l’officine d’une commune limitrophe.
Cette loi fourre-tout « pilotée par Bercy est parfois également appelée loi de simplification du droit, explique Jérôme Peigne. Il y en a à chaque législature. »
Reste que ces quelques articles sur la pharmacie auraient pu être inclus dans la loi de financement de la Sécurité sociale. Neuf mois après sa présentation, la future loi Asap accouchera d’une quasi non réforme qui ne révolutionnera pas – encore – la face de la profession.
3 questions à Agnès Firmin Le Bodo
Députée Agir de Seine-Maritime et pharmacienne
Les pharmaciens ont rejeté massivement la notion de plateforme. Un combat auquel vous vous êtes associée, pourquoi ?
J’ai été très vigilante sur le sujet et alerté mes collègues pharmaciens en me battant pour que cela ne passe pas. Ces plateformes représentaient un danger à court terme pour le maillage de nos officines. L’idée est de conserver notre système et nos 21 000 officines qui permettent un accès direct et un service « public » de distribution du médicament de grande qualité. Une très grande majorité d’officines ne bénéficie pas de plateforme en ligne en France aujourd’hui. Que certaines en aient envie, peut-être, ça s’appelle la loi du marché. Mais que les très grosses n’imposent pas ce système dont on sait très bien qu’à terme, il signera la mort des plus petites officines qui n’ont vraiment pas besoin de cela en ce moment. Nous devons rester collectivement vigilants à la défense de notre profession.
« Ces plateformes représentaient un danger à court terme pour le maillage de nos officines. »
Que pensez-vous de l’article visant à maintenir l’ouverture du DP dans les PUI et les Ehpad ?
Tout ce qui peut concourir à un partage d’information est plutôt une bonne chose, encore faut-il que cela puisse s’articuler. Nous avions préconisé, à l’époque, que le DP puisse s’intégrer dans le DMP. Cela aurait un sens et faciliterait la tâche des professionnels de santé qui pourraient le consulter facilement. L’intérêt du DP, qui a toujours bien fonctionné, est de pouvoir un jour servir à alimenter le DMP. Reste à voir en pratique comment œuvrer.
Quels enjeux restent-ils du projet de loi Asap, qualifiée de « fourre‑tout » par la profession ?
La Loi Asap n’était pas nécessaire pour la pharmacie, elle est arrivée tout à fait fortuitement. Les regards sont plutôt tournés vers le PLFSS 2021 dans lequel je défendrai la substitution des biosimilaires. L’enjeu est aussi de protéger les grossistes-répartiteurs, qui sont en très grosse difficulté. Il faut aussi permettre à toutes les pharmacies de maintenir ce maillage territorial, et d’accompagner nos collègues installés en milieu rural. C’est aussi de continuer à très bien faire ce qui a été renforcé pendant la crise sanitaire : valoriser le pharmacien en tant qu’acteur de santé de proximité, notamment dans le premier recours. À nous de continuer à le défendre professionnellement et à le porter auprès des instances publiques. C’est dommage et triste, car la France n’est pas prête à affronter l’avenir comme il se dessine. •