À l’épreuve de la crise… La profession trop réglementée ?

Rarement le pharmacien a été autant sollicité. Pour assurer la continuité des soins, le gouvernement lui a accordé de nouvelles missions. Mais, dans l’urgence, la réglementation n’était pas toujours optimale. Reste à savoir quelles pratiques perdureront une fois la crise sanitaire passée.

« Ça a été quasiment ingérable, des DGS urgents tombaient presque tous les jours mais, le lendemain, ils étaient modifiés, s’insurge Jocelyne Wittevrongel, présidente de l’UNPS et secrétaire générale de la FSPF. Les pharmaciens ne savaient plus ce qu’ils avaient le droit de faire ou pas, quels traitements ils pouvaient renouveler, il y avait des confusions dans les dates… Au comptoir, c’était ingérable d’expliquer ça aux patients. » Pendant la période de confinement, les pharmaciens étaient à l’avant-garde du système de santé. Toujours ouverts et présents pour leurs patients, ils ont dû jongler avec de nouvelles missions. Pour rendre l’exercice légal, les pouvoirs publics ont mis la réglementation à jour… Tantôt trop vite, rendant les textes incompréhensibles, tantôt trop lentement, sans coller à la réalité du terrain. Au vu des circonstances, difficile d’appliquer les consignes, jugées peu claires par une large partie de la profession.

Imbroglio sur la vente des gels et solutions hydroalcooliques

Au tout début de la crise du Covid-19, les pharmaciens n’avaient le droit ni de vendre, ni de fabriquer de solutions hydroalcooliques. La formule est pourtant simple et la production très rapide… Une situation étrange dans un contexte de pénurie nationale de ces produits. Il a fallu attendre l’arrêté du 6 mars 2020. Le même jour, un décret était publié au Journal officiel pour encadrer les prix. « Ils les ont changés plusieurs fois, en oubliant la TVA, le contenant… On ne savait plus quels prix appliquer, souligne la présidente de l’UNPS. La DGCCRF est passée cinq fois dans certaines pharmacies pour les contrôler, c’est du harcèlement ! Dans mon officine, nous avons appliqué un tarif inférieur, en arrondissant à l’inverse, mais nous n’étions pas plus honnêtes que des confrères qui s’étaient “plantés” dans l’autre sens… Vu la situation, si l’on était dans une fourchette de 10 %, la DGCCRF n’aurait pas dû mettre d’amende. »

Les masques doivent rester l’affaire des professionnels de santé

Même problème pour les masques. Ce n’est que le 4 mai dernier que le gouvernement a autorisé la vente de masques dits « grand public » dans les pharmacies et les grandes surfaces. « Les pharmaciens ont prouvé qu’ils étaient des logisticiens hors pair, capables de s’adapter, de gérer la pénurie et de l’expliquer aux patients, explique Gilles Bonnefond, président de l’USPO. Au même moment, la grande distribution faisait des promotions sur ces produits et transformait ainsi la santé en produit d’appel… C’est dramatique, mais cette situation montre qu’il y a les commerçants d’un côté et les vrais professionnels de santé de l’autre, c’est-à-dire les pharmaciens. » Si c’était encore nécessaire, la crise du coronavirus a joué en la faveur de l’officine concernant le débat sur la vente de médicaments en grandes surfaces.

Assurer la continuité des soins

La crise sanitaire a permis d’accélérer la mise en place de nouvelles missions, revendiquées depuis longtemps par la profession. Le pharmacien correspondant, ou plutôt un modèle proche, a été rendu effectif en moins d’une semaine et a prouvé son efficacité. Un exemple qui devrait être suivi pour le président de l’USPO, qui souhaite assouplir la réglementation concernant le renouvellement des substitutifs aux opiacés et des hypnotiques. « Ces patients vont chez leur médecin tous les 28 jours pour renouveler leur ordonnance alors que le pharmacien pourrait le faire si le patient était stabilisé, poursuit-il. Lui donner ce droit impliquerait de changer le modèle économique : prévoir une rémunération différente pour le médecin qui perdrait un acte et une rémunération spécifique pour le pharmacien qui assurerait cette mission. » Dans les prochains mois, des discussions doivent avoir lieu à ce sujet.

Autoriser la prescription par les pharmaciens

Un autre enseignement de cette crise est la découverte – ou redécouverte – par la population de l’officine comme lieu d’écoute et de conseil médical. Les patients qui choisissent déjà cette option ne sont pas remboursés, faute d’ordonnance. « C’est discriminant, il faut autoriser différents parcours de soin dans le système de santé, parmi lesquels le patient aurait le choix, développe Gilles Bonnefond. Pour un mal de gorge ou une migraine, il pourrait décider d’aller directement à la pharmacie tout en étant remboursé par les complémentaires de santé et/ou le régime obligatoire. » Même constat pour Jocelyne Wittevrongel, qui plaide pour que le pharmacien soit prescripteur et dispensateur sur certains produits, comme les patchs nicotiniques. « L’État pense réguler en passant par deux professions différentes : comme l’un prescrit à l’autre, il ne pourrait pas y avoir de dérives ? s’exclame-t-elle. C’est faux, car les pharmaciens n’abuseraient pas, ce sont des professionnels de santé et, en cas de dérive, l’État remboursant, il arriverait à contrôler. »

Une réglementation manquante pour des actes qui existaient déjà

Pendant le confinement, les pharmaciens ont fait énormément de dispensations à domicile sans que cette pratique soit réglementée. Cela fait pourtant des années que les syndicats luttent pour obtenir une indemnité de l’Assurance maladie… « Ce n’est pas normal, ce sont des missions pour lesquelles nous ne sommes pas reconnus et qui sont pourtant indispensables pour maintenir les gens à domicile, insiste Jocelyne Wittevrongel. Cela prend du temps au pharmacien et nécessite un véhicule, il faut que ce soit pris en charge. » Des réclamations qui devraient être entendues dans les prochains mois. Prise de tension, de la glycémie, prêt d’un tensiomètre, suivi diététique… autant de missions réalisées en dehors du cadre réglementaire et pour lesquelles les pharmaciens demandent une reconnaissance.

Ayant démontré leur rôle crucial pendant dans la crise du Covid-19, ils obtiendront peut-être plus facilement gain de cause lors des prochaines négociations. « La question n’est pas de savoir s’il y a trop ou pas assez de réglementation, mais si elle est logique et a un intérêt de santé publique, conclut Jocelyne Wittevrongel. Les professions de santé ne sont pas opposées à la réglementation mais, parfois, on aurait peut-être intérêt à la simplifier et à l’établir pour de bon. » En ligne de mire, le renouvellement des ordonnances pour que les pharmaciens arrêtent de se demander, au fur et à mesure des changements réglementaires, quels médicaments ils ont le droit de renouveler. •


Trois questions à Arnaud Lami

Directeur du Centre de droit de la santé d’Aix-Marseille Université

La profession de pharmacien est-elle trop réglementée ?

Il y a une tendance générale à l’inflation législative, car le Parlement doit traduire le droit européen en droit français. Cette adaptation est longue et fait peser plus d’obligations sur les pharmaciens.

La réglementation doit-elle être plus souple ?

Non, car sa rigidité protège le monopole pharmaceutique. Mais ce manque d’adaptabilité vient aussi des conflits entre les professions, comme pour le renouvellement des ordonnances. Médecins et pharmaciens défendent leur pré carré, ce qui retarde l’évolution législative.

Certaines pratiques, comme la dispensation à domicile, ne sont pas encadrées par le droit. Est-ce dangereux ?

Cette absence de réglementation peut être préjudiciable en cas d’accident médical. Si un pharmacien donne une mauvaise posologie à domicile, le patient peut se retourner contre lui. Comme l’activité n’est pas encadrée, c’est au juge d’interpréter, ce qui reste très aléatoire et peut créer un sentiment d’insécurité juridique. •