Arthrose : quoi de neuf dans la douleur ?

Dix millions de Français souffrent d’arthrose. Autant de patients cantonnés à des traitements symptomatiques, faute d’avancées thérapeutiques majeures.

Vieillissement, hérédité, anomalie métabolique… 65 % des plus de 65 ans souffrent d’arthrose. Une proportion qui grimpe à 80 % chez les plus de 80 ans. Presque généralisée chez les seniors, l’arthrose reste aujourd’hui encore incurable. L’avancée spectaculaire que représentent les biothérapies en rhumatologie ne bénéficie pas à cette pathologie qui résulte de la dégradation progressive du cartilage.

Dans l’arthrose, les traitements symptomatiques, visant à réduire la douleur, sont donc la norme. « Le paradigme médicamenteux dans le traitement des douleurs d’arthrose et de gonarthrose est le paracétamol en première intention, puis un AINS en seconde. Mais en fonction du profil du patient, il est possible de prescrire un AINS en première intention tout de même », explique le Dr Laurent Grange, rhumatologue au CHU Grenoble Alpes et président de l’Association française de lutte antirhumatismale (Aflar). Des recommandations validées il y a 2 ans lors du congrès de la Société française de rhumatologie.

La Haute autorité de santé (HAS) précise pour sa part que, dans l’arthrose, les AINS « ne doivent être prescrits que lors de poussées douloureuses ne répondant pas au paracétamol », à utiliser uniquement « en cures courtes et à doses minimales efficaces » chez le patient âgé, pour limiter les effets indésirables digestifs et cardiovasculaires. Les formes topiques permettent également de réduire ces inconvénients systémiques.

Privilégier l’activité physique

« Les champs de l’antalgie restent réduits », analyse le Dr Grange, car la meilleure manière de soulager les douleurs arthrosiques et d’améliorer la mobilité reste l’activité physique, à pratiquer en dehors des poussées douloureuses inflammatoires. L’activité physique doit respecter la règle des 3R : « raisonnée, régulière et raisonnable ». « Elle doit être adaptée à l’âge du patient. L’activité physique ne signifie pas forcément sport, ce peut être 15 minutes de marche, passer l’aspirateur, serrer une balle de mousse en cas d’arthrose digitale », précise le rhumatologue.
Les bénéfices de l’activité physique ne sont plus à démontrer, « c’est d’ailleurs ce qui a le plus d’effet sur l’arthrose, devant les antalgiques », explique le Dr Grange, près de six fois plus efficace que le paracétamol.

Que fait la recherche ?

Certaines innovations sont à l’essai pour lutter contre les douleurs de l’arthrose. C’est le cas des anti-NGF, biothérapie antalgique. « Ce sont les anti-Nerve Growth Factor qui permettent de bloquer la néo-innervation observée dans l’arthrose et notamment dans le mal de dos arthrosique, responsable de douleurs. Ils devraient arriver sur le marché d’ici à 3 ou 4 ans », déclare-t-il.

Dans la même veine, des injections PRP, injections de plaquettes dans l’articulation douleureuse, ont été recommandées pour la gonarthrose lors du congrès de la Ligue européenne contre le rhumatisme (Eular). Le concentré de plasma, prélevé sur le patient et riche en facteurs de croissance, promet de régénérer le cartilage abîmé, et de soulager dans la foulée la douleur. Laurent Grange tempère : « Pour l’heure, il y a autant d’études qui montrent que ça fonctionne que d’études qui montrent que ça ne marche pas, nous attendons d’autres résultats. »

Cannabis thérapeutique

« Le cannabis thérapeutique est une demande très forte des patients pour les douleurs rhumatismales. »

« Le cannabis thérapeutique est une demande très forte des patients, nous attendons l’expérimentation et une évaluation de son efficacité sur les douleurs rhumatismales », indique le Dr Grange. Pour l’instant, les études internationales menées pour déterminer l’effet du cannabis sur la douleur restent modestes, comme le rappelait en 2018 le Comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) de l’ANSM, passant en revue les différentes études sur le sujet.

Ainsi, en 2017, l’Académie américaine de médecine « a considéré, bien que les essais tendent à montrer un effet légèrement favorable sur la douleur, que le manque de connaissances sur les doses, les voies d’administration ou les effets indésirables nécessite de mener des études supplémentaires avant d’étendre l’utilisation du cannabis à des fins thérapeutiques dans la douleur », résume le CSST. Même conclusion du côté de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), qui précise : « le cannabis semble présenter une action antalgique modeste ». Reste donc à mieux évaluer la concentration des différentes plantes disponibles, former les soignants, tout en collectant des études scientifiques robustes.

Soulager grâce au piment

En attendant, peut-être, de futures préparations magistrales à base de cannabis, le pharmacien peut d’ores et déjà utiliser des ressources de plantes pour soulager les douleurs liées à l’arthrose. C’est le cas de la capsaïcine, extraite du piment rouge, dont le principe actif est un antidouleur périphérique. « Attention, il ne s’agit pas des patchs de capsaïcine dosés à 6 %, mais de gel à moins de 1 %. Les pharmaciens sont autorisés à réaliser des préparations magistrales depuis 2019. Elles ont un effet antalgique périphérique », précise Laurent Grange.

Que penser des compléments alimentaires ?

Glucosamine sulfate, chondroïtine sulfate… ces composés, retrouvés dans certains compléments alimentaires antiarthosiques peuvent également être considérés comme des médicaments dans certains cas. Ainsi, la chondroïtine sulfate, la diacerhéine et les insaponifiables d’huile d’avocat et de soja ont une AMM limitée au traitement symptomatique à effet différé de l’arthrose de la hanche et du genou. « Seulement, la diacerhéine n’est presque plus utilisée, car elle expose à des effets indésirables gênants, comme des diarrhées », ajoute le Dr Grange. Les glucosamines sulfate et chlorhydrate ont une AMM limitée au traitement symptomatique à effet différé de l’arthrose du genou.

La HAS estime néanmoins que ces antiarthrosiques symptomatiques d’action lente (AASAL) ont un effet modéré : « Leurs effets sur la douleur et la gêne fonctionnelle liés à l’arthrose sont minimes et de pertinence clinique discutable. Les AASAL n’empêchent pas la dégradation articulaire. » Il faut 3 ou 4 mois pour que le niveau de douleur diminue. Autre écueil, selon la HAS : ces médicaments ne permettent pas de réduire la dose d’AINS prise par le patient.

Des compléments alimentaires OTC intègrent également ces composés. « Vous pouvez conseiller ces produits, mais à condition qu’ils soient à dose thérapeutique et non infrathérapeutique comme cela peut être le cas », souligne le rhumatologue, qui conseille également de privilégier les produits ayant passé des tests cliniques.

Tramadol, arthrose et seniors

Le tramadol est l’antalgique de palier II le plus prescrit en France. En 2017, les rhumatologues représentaient 2,2 % des prescriptions d’opioïdes faibles en France, selon l’ANSM. Or, selon une récente étude Cochrane, l’intérêt du tramadol dans l’arthrose par rapport aux autres antalgiques est difficile à prouver. Et aucune amélioration significative sur l’arthrose n’a été démontrée par rapport au placebo. Chez la personne âgée, le tramadol doit être utilisé avec précaution, car, associé à des médicaments sérotoninergiques (IRS, IMAO, tricyclique), il expose à des risques de syndrome sérotoninergique. En 2019, une étude publiée dans le JAMA et menée sur 85 000 personnes de plus de 50 ans souffrant de douleurs arthrosiques montrait qu’une prescription initiale de tramadol était associée à un taux de mortalité significativement plus élevé sur 1 an, par rapport aux AINS. Néanmoins, ces résultats sont à prendre avec précautions, car les groupes étudiés sont très hétérogènes. Par ailleurs, la majorité de ces patients avait reçu du tramadol pendant quelques semaines et n’était plus sous tramadol au moment de leur décès. •


  • 31 % des nouveaux utilisateurs d’opioïdes forts ont 75 ans et plus. Source : OFMA
  • 65 % des plus de 65 ans souffrent d’arthrose