« C’est au bout de la 5e pharmacie que j’ai pu avoir des réponses », s’étonne Nicolas, nouveau prépeur. Si la PrEP est bien connue de la communauté LGBT, elle ne l’est pas tant des pharmaciens officinaux, pourtant maillons importants de l’éducation thérapeutique.
Depuis 2016, la prophylaxie préexposition, dite PrEP, fait partie de l’arsenal de prévention dans la lutte contre le sida. Cette stratégie de réduction du risque de contracter le VIH est fondée sur l’utilisation de Truvada, selon un schéma de prise continue ou intermittente, c’est-à-dire « à la demande ». L’AMM de l’antirétroviral bénéficie d’une extension d’indication pour la PrEP en prise continue seulement.
Deux schémas de prise possibles, mais une seule extension d’AMM
Le pharmacien Didier Chedorge est titulaire d’une officine à Lyon, membre de la Société française de lutte contre le sida (SFLS), et investi dans un centre de coordination régionale de la lutte contre le VIH (COREVIH). Il souligne un paradoxe : l’extension d’AMM n’a été mise en place que pour la PrEP en continu. « Cela n’est pas logique puisque la sexualité de chacun est évolutive, et si la médication est bien prise en intermittence elle est tout aussi efficace qu’en continu, le temps de prise est plus court, donc l’observance est facilitée et les effets indésirables moins nombreux », constate-t-il. Les politiques de santé publique ont une incidence directe sur l’accès au traitement et la bonne observance des patients. Ainsi, face aux constats dressés, il semble temps d’améliorer les réglementations autour de la PrEP.
Le passage par l’hôpital freine l’accès
L’accès au Truvada dans le cadre de la PrEP a été possible en France, en 2016, par la mise en place d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU). Depuis mars 2017, l’extension d’AMM du Truvada chez l’adulte en a facilité l’accès. Mais est-ce suffisant ? « Le passage par l’hôpital, quand les consultations sont chargées, voire engorgées, est un réel frein qui constitue un défaut de prise en charge », analyse Didier Chedorge. L’un des enjeux futurs est de faire basculer la PrEP en médecine de ville et d’augmenter la part de primo-prescription par les Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (Cegidd).
« L’hôpital me donne rendez-vous dans plus d’un mois, je me sens laissé sur le carreau », s’inquiète un ami parisien de Nicolas sur le groupe Facebook « PrEP’Dial ». Un autre prépeur surenchérit « mon rendez-vous du 13 mai a été annulé et le prochain est prévu seulement pour fin octobre ». Ils sont nombreux à exprimer leur désarroi, davantage avec la crise du Covid-19.
De la formation universitaire à la formation volontaire
« Depuis peu, l’enseignement d’éducation thérapeutique aborde le sujet de la PrEP, mais ça reste assez anecdotique », confie Manon, étudiante en 6e année de pharmacie à Bordeaux, qui ne se sent pas assez formée.
À la suite de l’appel à la vigilance, émis par l’Ordre en février 2018, concernant le recensement d’erreurs de dispensation de la PrEP, Aides et le Cespharm ont mis à disposition des pharmaciens un document d’information professionnelle sur ce traitement préventif. « C’est le rôle d’un pharmacien d’officine de se former tout au long de sa carrière, que ce soit pour la PrEP ou pour les autres traitements. La SFLS propose plusieurs formations à ce sujet », explique Didier Chedorge.
Le pharmacien comme relais
« L’observance conditionne l’efficacité, comme pour tout traitement. Mais la rigueur est d’autant plus indispensable pour les prépeurs que l’exposition à un risque de contamination peut vite arriver », insiste Didier Chedorge. Un pharmacien se doit de s’assurer que le patient, éduqué au traitement lors de sa première prescription, a bien les informations en tête. « Il ne s’agit pas de recommencer l’éducation thérapeutique du début à chaque présentation du patient au comptoir, mais de voir où le patient en est dans la compréhension et l’observance du traitement », ajoute-t-il. La place du pharmacien dans ce parcours de soins lui confère un rôle relais dans l’accompagnement thérapeutique. S’assurer que l’utilisateur effectue correctement son bilan trimestriel, évoquer la survenue d’effets indésirables, être ouvert à la discussion sans porter de jugement, pouvoir orienter le patient vers un Cegidd au besoin… Autant d’éléments qui auront une influence sur l’efficacité de la prophylaxie.
« L’observance conditionne l’efficacité, comme pour tout traitement. Mais la rigueur est d’autant plus indispensable pour les prépeurs que l’exposition à un risque de contamination peut vite arriver »
Cibler tous les profils, sans discrimination
La quasi-totalité des prépeurs sont des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, HSH. Pourtant, la Stratégie nationale de santé sexuelle recommande aussi la PrEP aux personnes trans ayant des relations sexuelles avec des hommes, aux personnes originaires de régions du monde à forte prévalence, en particulier les femmes en situation de précarité, aux travailleurs-ses du sexe exposé-es à des relations non protégées, et aux usagers de drogues avec partage de seringue. Le dernier rapport d’EPI-PHARE publié par l’ANSM, en novembre 2019, se positionne en faveur de l’élargissement de la PrEP aux hétérosexuels à risque.
Et le traitement post‑exposition (TPE) ?
« Sur les forums de discussion, beaucoup de publications des prépeurs concernent l’oubli de prise et les risques », relève Nicolas. En cas d’oubli, le TPE doit être initié dans les 48 heures suivant un rapport à risque ou un accident d’exposition au sang. Pour en disposer, le patient se rend dans un service hospitalier compétent.
« Il s’agit d’un autre paradoxe : pourquoi faire passer le patient par la case hôpital pour un traitement qui doit être pris en urgence ? Les pharmacies ne sont pas équipées de kits de TPE. C’est regrettable », s’indigne le pharmacien. Le parallèle est parlant : autoriser les officines à dispenser un TPE s’inscrit dans la même logique que dispenser une contraception d’urgence.
L’arbre de la réussite ne cache pas la forêt des efforts à réaliser
Si les chiffres illustrent la réelle appropriation de cette stratégie de prévention en France, en particulier parmi les HSH, des efforts concernant l’accessibilité à ce traitement restent à faire. « J’avais peur lors d’un rapport, mais ça, c’était avant d’être sous PrEP. J’ai enfin trouvé un pharmacien que je peux aller voir dès que j’ai une question ou un doute. C’est important de savoir que je peux facilement en discuter avec un professionnel ! », conclut Nicolas. •
La PrEP, carte d’identité
- Prophylaxie pré‑exposition au VIH1
- Deux antirétroviraux : emtricitabine et ténofovir disoproxil
- Sujets non infectés par le VIH, mais exposés, par leurs pratiques, à un haut risque de contamination
- Schéma continu : une prise quotidienne
- Schéma intermittent : deux comprimés, deux à 24 heures avant le premier rapport sexuel à risque, puis un comprimé toutes les 24 heures pendant la période d’activité sexuelle jusqu’au dernier rapport compris, puis un dernier comprimé 24 heures plus tard
- Prescription initiale hospitalière annuelle
- Remboursement à 100 % dans l’indication PrEP en continu
La PrEP en chiffres
- 20 478 personnes ont initié une PrEP par Truvada ou générique en France entre 2016 et juin 2019
- 45 % des prépeurs résident en Ile-de-France
- 97 % des utilisateurs de la PrEP sont des hommes
- 37 ans : moyenne d’âge des HSH initiant une PrEP Sources : rapport EPI-PHARE, 2019