Appel, pétition, sondage, polémique et menace… L’hydroxychloroquine partage, divise et oppose l’opinion, les scientifiques, les politiques et même le monde judiciaire. Eclairage juridique.
Selon un sondage un français sur deux estime le traitement à l’hydroxychloroquine efficace contre le Covid-19 alors que seulement 37 % du corps médical se prononce sur son efficacité et plus de 20 % refuse de se prononcer.
C’est dire l’incertitude sur l’efficacité de ce traitement aux effets indésirables dangereux.
Alors l’opinion remplace-t-elle la science ?
Sur fond d’angoisse sanitaire et sociale chacun se divise et s’apostrophe, y compris les scientifiques ce qui participe et aggrave le climat anxiogène. Le chemin est court de l’opinion au droit.
Plusieurs actions judiciaires en cours
Plusieurs actions ont été introduites concomitamment devant le juge des référés du Conseil Constitutionnel, enregistrées le 26 mars 2020 sur le fondement d’un référé liberté, en demandant entre autres au juge des référés d’ordonner la commande de stocks de masques, de tests de dépistage et d’hydroxychloroquine.
L’action introduite le 26 mars 2020 par le syndicat des médecins AIX et région (SMAER et autres) devant le conseil d’État dans le cadre d’un référé liberté revendique un droit à bénéficier du traitement de l’hydroxychloroquine et de ce fait la liberté de le prescrire.
La demande est la suivante :
– Suspendre l’exécution de l’article 12–2 du décret du 23 mars 2020 (n°2020 293), prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’urgence sanitaire.
– Enjoindre le gouvernement de saisir sans délai l’ANSM en vue de l’élaboration d’une recommandation temporaire d’utilisation destinée à permettre la prescription, y compris sans admission à l’hôpital autrement, le cas échéant, qu’en ambulatoire, de la spécialité Plaquenil.
– Enjoindre le gouvernement de prendre sans délai les mesures nécessaires à la production et la constitution de stock d’hydroxycloriquine et d’azithromycine.
L’argumentation développée à l’appui de ces demandes est la suivante :
– La condition d’urgence est remplie compte tenu de la progression de l’épidémie COVID-19,
– Le droit au respect de la vie constitue une liberté fondamentale,
– Les dispositions du décret du 25 mars 2020 et l’abstention du gouvernement à saisir l’agence nationale du médicament et des produits de santé d’une demande d’élaboration d’une reconnaissance temporaire d’utilisation sont manifestement disproportionnées au regard des risques courus par les patients et, pour les premiers, inappropriées aux circonstances de temps et de lieu mentionnées par l’article L3131-1 du code de la santé publique,
– Elles sont gravement illégales au regard des articles L 51 21–12–1 et L 31 31–15 du code de la santé publique,
– Elles sont directement contraires à l’objectif de sauvegarde de la santé publique,
– Elles violent le principe de précaution,
– Elles méconnaissent la liberté de prescription des médecins et établissent une discrimination selon les spécialités qu’ils exercent.
Le juge du conseil d’État statuant au contentieux a rejeté l’intégralité des demandes
Avant d’examiner la décision rendue par le juge du conseil d’État, il est important de rappeler que la saisine du juge des référés administratif sur le fondement d’un référé liberté suppose la démonstration d’une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, conséquence de l’action ou de la carence de cette personne publique à prendre toutes mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu’il existe une situation d’urgence caractérisée justifiant des mesures de sauvegarde qu’il est possible de prendre.
Le caractère manifestement illégal de l’atteinte grave à une liberté fondamentale doit s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et en fonction des mesures qu’elle a déjà prises.
Par ordonnance du 28 mars 2020 (n° 43 97 65) le juge du conseil d’État statuant au contentieux a rejeté l’intégralité des demandes des requérants.
Dans son ordonnance du 28 mars 2020 le juge du conseil d’État rappelle :
« L’émergence d’un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 19 ou Covid-19, de caractère pathogène et particulièrement contagieux, a été qualifiée d’urgence de santé publique de portée internationale par l’organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020.
La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé puis le premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire des risques de contagion.
Le législateur, par l’article 4 de la loi du 23 mars 2020, pour faire face à l’épidémie de Covid-19, a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020.
Alors qu’aucun traitement n’est à ce jour connu pour soigner des patients atteints du Covid 19, une étude chinoise publiée au début du mois de mars 2020 a documenté l’activité in vitro de l’hydroxychloroquine sur le virus qui en est responsable »
Une recherche a ensuite été conduite, du 5 au 16 mars 2020, par une équipe de l’institut hospitalo-universitaire de Marseille en utilisant l’hydroxychloroquine en association avec un antibiotique, l’azithromycine, chez 26 patients, dont les auteurs déduisent que le traitement par l’hydroxychloroquine et associé à une réduction ou une disparition de la charge virale chez des patients atteints du Covid 19 et que cet effet est renforcé par l’azithromycine »
Le 22 mars 2020 a été lancé un essai clinique européen « Discovery » pour tester l’efficacité et la sécurité de cinq Molécule dont l’hydroxychloroquine, dans le traitement du Covid-19, incluant 3200 patients européens, dont au moins 800 patients français hospitalisés pour une infection due au Covid-19, inclus à compter du 24 mars, les premiers résultats étant attendus quinze jours après le démarrage de l’essai. »
Quelles recommandations thérapeutiques ?
A la demande de la direction générale de la santé, le Haut Conseil de la santé publique a rendu le 23 mars 2020 un avis sur les recommandations thérapeutiques dans la prise en charge du Covid-19.
Il estime que les résultats de l’étude menée au sein de l’institut hospitalo-universitaire de Marseille doivent être considérés par prudence en raison de certaines de ses faiblesses et justifient du fait de son faible niveau de preuve, la poursuite de la recherche clinique.
De façon générale, pour la prise en charge des patients, il préconise l’hospitalisation en cas de pneumonie oxygéno-requérante, en cas de pneumonie avec insuffisance respiratoire aiguë ou défaillance d’organe et en cas d’infection par le virus avec aggravation secondaire et absence d’excrétion virale.
En l’état actuel des connaissances, il propose que l’hydroxychloroquine puisse être utilisée, d’une part, en cas de pneumonie oxygéno-requérante, après discussion, au cas par cas, de manière collégiale, et à défaut de l’association entre lopinavir et ritonavir , identifié comme médicament candidat potentiel à évaluer un essai clinique par l’organisation mondiale de la santé et d’autre part en cas de pneumonie avec défaillance d’organe mais sans défaillance respiratoire, tout en tenant compte de ce que les modalités d’administration de l’hydroxychloroquine ne sont pas adaptées d’emblée
Il recommande, dans l’attente des données issues d’études cliniques sur le Covid 19, que si l’indication d’un tel traitement a été retenue de façon collégiale, il soit initié le plus rapidement possible, dans le but d’éviter le passage à une forme grave nécessitant un transfert en réanimation et que le patient soit inclus dans la mesure du possible dans la cohorte « French COVID-19 ».
Quel cadre législatif ?
Dans ce contexte, le premier ministre, par un décret du 25 mars 2020 a pris sur le fondement du 9ème de l’article L 31 31–5 du code de la santé Publique au point 6, modifié par un décret du lendemain du 26 mars a complété par un article 12–2 du décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, en prévoyant trois mesures :
En premier lieu, par dérogation aux dispositions du code de la santé publique relatives aux autorisations de mise sur le marché, il autorise, sous la responsabilité d’un médecin, la prescription, la dispensation, et l’administration de l’hydroxychloroquine aux patients atteints par le Covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement, si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile.
Il précise que ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique, et, en particulier, de l’indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno requérante ou une défaillance d’organe.
Il arrête les conditions de prise en charge du médicament et prévoit sa vente au public et au détail pour les pharmacies à usage intérieur autorisées.
Il charge en outre l’agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé d’élaborer un protocole d’utilisation thérapeutique à L’attention des professionnels de santé et d’établir les modalités d’une information adaptée à l’attention des patients.
En deuxième lieu, il subordonne la dispensation par les pharmacies d’officine de la spécialité Plaquenil, dans le respect des indications de son autorisation de mise sur le marché, ainsi que des préparations à base d’hydroxycloriquine, à une prescription initiale émanant de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie, ou en renouvellement d’une prescription émanant de tout médecin.
En dernier lieu, il interdit l’exportation du Plaquenil par les grossistes répartiteurs. »
Dans le cadre d’une procédure de référé liberté les mesures contestées sont soumises à trois critères d’appréciation : l’adaptation, la nécessité et la proportionnalité.
Au surplus s’agissant de médicaments il est indispensable de tenir compte d’un paramètre supplémentaire, l’innocuité ou les risques pour les patients
Enfin l’appréciation des mesures contestées doit se faire en l’espèce dans le cadre d’un contexte de crise sanitaire.
Sur la base de ces critères dans son ordonnance du 28 mars 2020 le juge du conseil constitutionnel retient la motivation suivante :
Sur le respect de la vie et l’illégalité des mesures prises par décret des 25 et 26 mars 2020.
Les études à ce jour disponibles souffrent d’insuffisances méthodologiques, en particulier celle menée par l’institut hospitalo-universitaire de Marseille :
-étude sur 26 patients dont six n’ont pas été analysés
à trois avaient été admis en réanimation
à un patient est décédé et deux ont arrêté le traitement en raison des effets indésirables
L’étude de l’institut hospitalo-universitaire de Marseille ne comportait pas de groupe témoin
Les résultats de l’étude réalisée n’ont pas mis en évidence de différence significative
L’étude réalisée en Chine du 6 au 25 février 2020 sur 30 patients hospitalisés atteints d’une forme modérée de la maladie.
Cette étude démontre que 13 et 15 patients auxquels ont été administré de l’hydroxychloroquine avaient une charge virale négative au septième jour, pour 14 et 15 patients du groupe témoin.
Ces deux études ne permettent pas de conclure à l’efficacité clinique de l’hydroxychloroquine.
L’essai clinique européen « Discovery » effectué sur des patients en phase de début de maladie permettra d’apprécier l’incidence de la molécule sur l’évolution de la maladie permettant de recueillir des résultats plus significatifs.
Dans son ordonnance du 28 mars 2020 le juge du conseil d’État souligne également les effets secondaires de l’hydroxychloroquine qui peut provoquer des hypoglycémies sévères, des anomalies ou une irrégularité du rythme cardiaque susceptibles d’engager le pronostic vital ainsi que des risques importants en cas d’interaction médicamenteuse.
Le juge du Conseil d’État rappelle également que cette spécialité peut être prescrite par des médecins de ville, elle doit se faire en respectant des précautions particulières spécifiques et nécessite un suivi particulier des patients, notamment sur le plan cardiaque.
Le conseil d’État rappelle également que si par décret des 25 et 26 mars 2020 le premier ministre a autorisé la prescription de l’hydroxychloroquine aux patients atteints de Covid 19 pris en charge dans un établissement hospitalier dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la Santé Publique, en revanche l’utilisation de cette spécialité pharmaceutique a été limitée en interdisant la dispensation dans les pharmacies d’officine en dehors de son autorisation de mise sur le marché (hors AMM), cette mesure entre dans le champ d’application des dispositions de l’article L 31 31–15 du code de la santé publique et sont conformes aux préconisations du Haut Conseil de la Santé publique « à défaut de données acquises de la science à ce jour ».
Le juge du conseil d’État souligne enfin que les mesures prises sont susceptibles d’évolution notamment au regard des conclusions de l’étude européenne « Discovery »
En conclusion le juge du conseil d’État retient que le choix des mesures prises par le gouvernement français ne porte pas atteinte grave et manifestement illégale au droit du respect de la vie et au droit de recevoir les traitements et soins
Sur la restriction dans la liberté de prescription de la spécialité Plaquenil :
En réponse à la demande de production et constitution de stock d’hydroxycloriquine et azithromycine le juge du conseil d’État retient que la mesure d’interdiction d’exportation du Plaquenil par les grossistes répartiteurs, étant précisé que l’interdiction d’exportation prise par décret des 25 et 26 mars 2020 est destinée à garantir l’approvisionnement des patients sur le territoire national
Le juge du conseil d’État conclut à l’absence de toute atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales et notamment à la liberté de prescription.
L’intérêt de l’ordonnance du 28 mars est de rappeler les différentes mesures prises par le gouvernement français dans le cadre de l’épidémie de Coronavirus et l’état des études sur les différents traitements envisagés, de même que l’absence de toute certitude sur l’efficacité de la spécialité hydroxychloroquine à ce jour.
Illustration des divergences dans l’appréciation de l’efficacité du traitement par l’hydroxychloroquine le juge des référés du tribunal administratif de Guadeloupe, toujours saisi sur le fondement d’un référé liberté prévu à l’article L5 121–2 du code de la justice administrative, a quant à lui enjoint le centre hospitalier universitaire de Guadeloupe et l’agence régionale de santé, de commander des stocks d’hydroxychloroquine et d’azithromycine ainsi que des tests de dépistage en nombre suffisant pour couvrir les besoins présents et à venir de Guadeloupe.
En statuant ainsi le juge des référés a pris clairement position sur le fond en déclarant l’hydroxychloroquine efficace pour le traitement contre le Covid-19, sur la base de l’étude et de la pratique de l’IHU Méditerranée (institut hospitalo-universitaire de Marseille).
Sur appel du CHU et du ministre de la santé et de la solidarité le juge du conseil d’État a annulé ces deux injonctions par ordonnance du 28 mars 2020.
Dans cette ordonnance le juge du conseil d’État confirme sa position, en appréciant de nouveau l’atteinte grave et manifestement illégale du droit au respect de la vie invoquée sur le principe de proportionnalité, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire déclaré pour une durée de deux mois par la loi du 23 mars 2020 (loi numéro 20 20–290).
En conclusion
A ce jour l’hydroxychloroquine sous toutes ses formes reste donc une spécialité à prescription restreinte, classée sur la liste des substances vénéneuses par un arrêté du 13 janvier 2020, justifiée par les effets secondaires éventuels répertoriés, notamment rénaux, dermatologiques, cardiaques ou oculaires.
La direction générale de la santé interrogée le 23 mars 2020 mentionne « de nombreux effets indésirables graves, notamment des risques de toxicité oculaire jusqu’à la cécité »
Il appartient donc aux pharmaciens d’officine de respecter les règles de dispensation des spécialités inscrites sur la liste II et au surplus de faire une analyse minutieuse de la prescription au regard de l’état du patient, compte-tenu des effets indésirables de la spécialité hydroxychloroquine.
Dans son rôle d’éducation pour la santé les pharmaciens d’officine se doivent d’informer les patients de l’état des études actuelles sur l’hydroxychloroquine en application de l’article R 42 35–2 du code de la santé publique lequel dispose :
« Le pharmacien doit contribuer à la formation et à l’éducation publique en matière sanitaire et sociale. »
A ce jour beaucoup d’espoir mais peu de certitudes.
Par Martine Montal, avocate
JURIS PHARMA