Faut-il craindre les actions de groupe ?

La nouvelle loi santé introduit le principe de l’action de groupe pour les dommages corporels résultant de l’utilisation d’un produit de santé. Éclairage avec Ana-Maria Insua, experte en assurance responsabilité civile chez XL Catlin.

Introduites en droit français par l’article L 423-1 de la loi du 18 mars 2014 relative à la consommation (dite loi Hamon), les procédures de type « class actions » à l’américaine ont été étendues aux usagers du système de santé lors du vote de la loi de santé le 26 janvier 2016. Elles permettent à certaines associations de représenter les usagers du système de santé français dans le cadre d’actions de groupe, pour le compte d’au moins deux personnes ayant souffert d’un préjudice similaire. Ces associations – pas moins de 500 pour l’instant contre seulement 15 associations de consommateurs dans la procédure créée par la loi Hamon – peuvent se retourner contre les fabricants et fournisseurs d’un des produits de santé répertoriés dans le Code de la santé publique. Ces actions peuvent également être menées à l’encontre de tout acteur de la santé, y compris les hôpitaux, les laboratoires d’analyses et même, en théorie, les médecins, infirmiers ou pharmaciens !

Les actions de groupe, modus operandi

Ces actions de groupe sont gérées soit par les tribunaux, soit – si les plaignants et la société mise en cause sont d’accord – par un médiateur nommé par le tribunal, qui essaiera de trouver un terrain d’entente entre les deux parties. Pour les dossiers arbitrés par les tribunaux, la procédure se déroule en deux temps. Au cours de la première phase, le tribunal analyse les dossiers individuels afin de déterminer les critères de rattachement au groupe. Si la responsabilité de l’entreprise est établie, le tribunal ouvre l’action de groupe en l’annonçant dans les médias. La loi stipule en effet que le juge doit choisir des actions de publicité « appropriées » pour promouvoir la procédure. Cette étape est importante pour deux raisons. D’abord, dans le système français, les demandeurs doivent adhérer au groupe de manière expresse, et cette annonce du tribunal permet d’identifier qui peut rejoindre l’action de groupe. Ensuite, cette annonce faite par le tribunal est organisée sans consultation préalable de la société mise en cause, ce qui augmente le risque de réputation de l’entreprise ou du professionnel de santé (parfois plus sérieux que les conséquences financières d’un procès). La seconde étape de la procédure consiste en l’indemnisation des plaignants. Elle peut se faire directement ou par le biais de l’association qui les représente. Cette indemnisation est limitée aux conséquences d’un préjudice corporel, mais peut être versée aux ayants droit du plaignant, si ce dernier est décédé.

Des incertitudes demeurent pour le marché

L’un des principaux défis liés aux actions de groupe dans le domaine de la santé est le fait que la réponse à un traitement peut être très différente d’un individu à l’autre. Les effets d’un médicament dangereux peuvent aller de symptômes mineurs et temporaires à un état pathologique grave mettant la vie du patient en danger.
Lorsque les États-Unis ont instauré en 1966 les actions de groupe – telles qu’on les connaît aujourd’hui – un comité d’experts s’est accordé à dire queles « class actions » ne sont pas vraiment adaptées aux problématiques de santé, pour cette raison. Il sera donc intéressant de voir comment les tribunaux français répondront à « l’hétérogénéité des plaignants » (du concept anglo-saxon de « claimant heterogeneity »), en particulier pour le calcul des indemnités. L’autre sujet qui préoccupe industriels et assureurs est le caractère rétroactif, jusqu’à dix ans, de la loi. Bien que les plaignants ne puissent être indemnisés qu’une fois, il se peut que certains n’aient jamais reçu d’indemnités pour un incident survenu au cours des dix dernières années.
Les cas « anciens » s’avèreront tout particulièrement complexes pour les entreprises et pour leur assureur au moment des faits. Pour l’heure, le marché de l’assurance a adopté une approche prudente, et attend de voir comment la loi va être appliquée. Après l’organisation des premières actions de groupe, les assureurs apporteront certainement des modifications à leurs polices de responsabilité civile afin qu’elles prennent en compte ce risque. En attendant ces dernières sont renouvelées à l’identique.

L’avenir nous dira quel sera l’impact des « class actions » sur la profession

Quoi qu’il en soit, il est important que les professionnels de santé réalisent qu’une action de groupe peut désormais survenir sans crier gare. Il devient donc crucial de mettre en place une stratégie « de crise » afin de répondre au mieux à l’éventualité d’une telle procédure, et ce, dès son annonce. Les défenseurs des actions de groupe estiment qu’elles rendent le système
plus juste pour les plaignants. Les opposants à cette procédure typiquement anglo-saxonne, quant à eux, pensent
qu’elles demandent un investissement en temps et en ressources considérable pour une indemnisation souvent minime, comparée au préjudice souffert. L’avenir nous dira comment ces actions de groupe changeront la donne pour les Français, le système de santé, les entreprises françaises de l’industrie pharmaceutique et les professionnels de santé, au sens large.


L’Unaass, bras armé des actions de groupe ?

La loi de santé prévoit dans son article premier la création d’une Union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé (Unaass). En cours d’élaboration, cette union aura pour mission de donner des avis aux pouvoirs publics, d’animer un réseau associatif, d’agir en justice, de représenter les usagers auprès des pouvoirs publics et de proposer à la ministre chargée de la santé une liste d’associations agréées pour la formation des représentants des usagers du système de santé. Un décret devrait déterminer les modalités de mise en oeuvre des missions et le fonctionnement de l’union nationale, notamment son organisation sous forme de délégations territoriales. Encore à l’état de projet, l’Unaass est déjà critiquée par plusieurs associations (l’Association des paralysés de France et l’UFCQue Choisir…) qui craignent que cette structure devienne l’interlocuteur unique des pouvoirs publics et sonne la fin de l’indispensable pluralisme de la représentation des
intérêts des usagers. Cette union pourra être amenée à mener des actions de groupe par elle-même ou à appuyer les associations agréées qui souhaitent ester en justice.