Litiges entre associés au sein des SEL ou SPFPL : que faire ?

Travailler à plusieurs n’est pas toujours facile. Comment régler les différends entre associés ? Vers qui se tourner quand des intérêts divergents menacent le projet entrepreneurial ?

 

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« Éviter les conflits entre les membres d’une même profession est le fondement de la déontologie. »

 

Philippe Becker, expert-comptable, directeur du département Pharmacie de Fiducial

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« L’un des deux associés ne peut exiger l’exclusion de l’autre parce que, par définition, ils se neutralisent. »

 

Frédéric Moréas, avocat au barreau de Paris et cofondateur du cabinet AGN Avocats

 

Il existe généralement deux types de conflits : entre les associés exploitants (comme dans toutes les sociétés), ou, dans le cas des sociétés d’exercice libéral (SEL) ou des sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL), entre le ou les associés exploitants et les investisseurs. « Il s’agit alors de conflits le plus souvent liés à une vision différente entre les premiers, qui sont derrière le comptoir, et les seconds, qui ont une logique de rentabilité plutôt à court terme », indique Philippe Becker, expert-comptable, directeur du département Pharmacie de Fiducial.
En l’espèce, ajoute maître Frédéric Moréas, avocat au barreau de Paris et cofondateur du cabinet AGN Avocats, la SPFPL est une holding qui permet à des titulaires de détenir plusieurs pharmacies sous une même société. « Par définition, explique-t-il, elle vise à faciliter le rachat d’officines et à servir leur rentabilité. Mais en aucun cas à éviter les conflits ».

Que dit le code de déontologie ?

Quoi qu’il en soit, et quelle que soit la nature du conflit, « nous sommes ici dans le cadre d’une profession réglementée », rappelle maître Moréas.
« Le code de déontologie s’impose donc comme une règle supplémentaire au droit commun, car il ne faut pas que les patients pâtissent d’un conflit entre associés. Les pharmaciens ont, de ce fait, l’obligation d’essayer de transiger entre eux ». En d’autres termes, la morale professionnelle définie par la déontologie est plus exigeante que la loi. « C’est à double détente, reprend l’avocat. On veut d’abord éviter à tout prix tout conflit judiciaire entre les membres d’une profession réglementée au détriment du client. Pourquoi ? Tout simplement parce que les pharmaciens ne pouvant exercer que dans une seule officine, si deux associés ne s’entendent plus, ils sont condamnés à travailler ensemble, mais en conflit ouvert. C’est pourquoi la résolution à l’amiable est très importante. Ensuite, si c’est impossible, alors on va devant la juridiction compétente et l’on retrouve les règles de droit commun ».
« Éviter les conflits entre les membres d’une même profession est le fondement de la déontologie, renchérit Philippe Becker. Il faut donc toujours préférer une solution à l’amiable. C’est ce que je conseille systématiquement à mes clients. Je les invite à mettre les problèmes sur la table et à discuter sur des compromis acceptables pour les deux parties. Les tribunaux, c’est toujours possible, mais la justice est, par nature, longue, coûteuse, compliquée et, surtout, incertaine ».

Quelle médiation possible ?

Dans le cadre d’un conflit entre associés, la conciliation ordinale trouve toute sa place. Le ou les conciliateurs désignés par le président du conseil central ou régional compétent reçoivent les parties, les incitent à renouer le dialogue, à composer, et leur suggèrent des solutions.
« Qu’il s’agisse de différends d’ordre professionnel ou purement juridique, les conseils savent généralement trouver les arguments pour faire plier les uns et les autres, témoigne maître Moréas. C’est une médiation très efficace ». « Si une solution à l’amiable n’aboutit pas, la médiation par l’intermédiaire de l’Ordre est, selon moi, la première démarche à entreprendre, approuve Philippe Becker. Elle comporte en outre plusieurs vertus : elle ne coûte rien et elle est rapide. Et par définition, le médiateur peut comprendre le conflit ». Au terme de la ou des rencontre(s), un accord pourra être trouvé et le litige résolu sans procédure judiciaire, avec homologation possible par le juge. « Mais ce n’est qu’une médiation…, commente Philippe Becker. Elle peut échouer ou ne réussir que partiellement. Tout dépend de la gravité du conflit et de la problématique, poursuit-il. Si les litiges sont liés à des questions financières – ce qui est le cas pour plus de la moitié d’entre eux –, mieux vaut que l’expert-comptable intervienne pour communiquer toutes les informations aux associés, les réunir et rédiger une minute qui servira de base à la résolution du conflit ou, le cas échéant, au tribunal ».

Comment éviter les problèmes en amont ?

Il est important de veiller à la rédaction des contrats. Il en existe trois types :

  • Le règlement intérieur qui est, aux yeux de maître Moréas, l’un des documents les plus importants. « C’est lui qui cristallise les tensions parce qu’il règle la vie au quotidien », souligne-t-il. De fait, ce document est un véritable bréviaire, une charte qui organise la vie commune et reprend les indispensables : congés, rémunérations, temps de travail, gardes, modalités de remplacement en cas de maladie (ou de congé), obligations réciproques, répartition des tâches. C’est aussi lui qui fixe les règles pour les comptes courants et les prélèvements des associés.
  • Deuxième document : les statuts, qui doivent être rédigés en harmonie avec les textes en vigueur. Ils regroupent l’ensemble des droits et obligations juridiques qui lient les associés (personnes physiques et morales) au sein de la société et à l’égard des tiers. Ils permettent de connaître les caractéristiques générales de la société (forme juridique, dénomination, siège, durée, objet, etc.), le capital social et sa répartition (nombre et valeur de chaque part, modalités de cessions, etc.), le nom des associés et des personnes, ainsi que tout ce qui est relatif à l’administration de la société.
  • Enfin, le troisième document, facultatif, mais vivement conseillé et normalement présenté à l’Ordre : le pacte d’associés, dont l’objectif est d’organiser les relations entre les associés, qui peuvent avoir des intérêts divergents, selon qu’ils sont exploitants ou investisseurs. Il s’agit donc de définir et de décrire en amont les objectifs de chacun.

Ce contrat, écrit et signé entre les actionnaires et les investisseurs d’une entreprise complète les statuts de la société et a pour but de garantir des droits aux signataires et de définir leurs engagements, en fonction des clauses qu’il contient. Il pose les règles du jeu relatives aux relations entre les principaux actionnaires, en termes de répartition des pouvoirs, de protection des minoritaires et d’évolution de l’actionnariat.

Que contiennent les clauses ?

Les clauses habituelles figurant dans un pacte d’associés sont les suivantes : l’organisation des pouvoirs qui concernent la direction de l’entreprise d’une part, le contrôle des associés d’autre part ; l’étendue des droits financiers (droit à une quote-part des résultats et réserves à travers les distributions de dividendes ou à travers la répartition de l’actif disponible en cas de liquidation amiable, droit au produit de la vente en cas de cession) ; la répartition du capital (dans quelles conditions les associés dirigeants et les minoritaires peuvent céder leur participation entre eux et auprès de tiers).
« Le pacte d’associés est LE document indispensable, y compris pour les adjoints qui sont des associés au même titre que les autres, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs, même s’ils ne sont par définition pas majoritaires », souligne Jérôme Paresys-Barbier, le président de la section D de l’Ordre des pharmaciens. « Tout doit être écrit à l’avance pour les protéger eux aussi d’un quelconque litige et les convaincre d’entrer au capital des SPFPL ».
« Les statuts, le pacte d’associés et le règlement intérieur sont généralement rédigés par des avocats au moment de l’association, précise maître Moréas. Si les deux premiers contrats n’ont pas vocation à évoluer, le troisième en revanche doit être revu chaque année, ne serait-ce que pour des questions de rémunérations ».

Quels sont les outils mis à disposition pour résoudre les conflits ?

« Il faut tuer le conflit à la base, recommande Philippe Becker. Plus les trois contrats seront correctement et clairement rédigés – de préférence avec l’aide d’un professionnel –, plus on pourra s’y référer, et moins cela laissera de place à la mauvaise foi. Malheureusement, pour des raisons d’économie, ils sont souvent griffonnés sur un coin de table. Or, le diable se cache dans les détails. Et d’une manière générale, je ne peux que conseiller de ne pas créer un conflit prévisible. On connaît les effets combinés du bois, du feu et du vent, qui n’ont jamais fait bon ménage… »

La clause d’exclusion peut-elle être utilisée pour lever les blocages ?

« Les règles de majorité pour mettre en œuvre cette procédure sont très dures, fait observer Frédéric Moréas. L’un des associés ne peut exiger l’exclusion de l’autre parce que, par définition, ils se neutralisent. En revanche, un pharmacien a le droit de cesser d’exercer dans une SEL de son propre chef. Dans ce cas, s’il représente la majorité du capital social, il est obligé de vendre ses actions pour que ceux qui restent deviennent à leur tour majoritaires ».
« La clause d’exclusion peut bien sûr être utilisée à condition de l’insérer dans les statuts, de bien la rédiger et de préciser les cas dans lesquels on peut la mettre en œuvre, complète Philippe Becker. Alors oui, c’est une possibilité qui devrait permettre d’éviter d’aller devant les tribunaux ».