Isabelle Adenot « L’Ordre a besoin de l’implication de chaque pharmacien »

À l’aube d’élections ordinales qu’elle souhaite fédératrices, la présidente du Cnop réaffirme ses engagements en faveur d’une pharmacie indépendante, éthique, moderne et tournée vers les jeunes.

Pharma. Les élections ordinales auront lieu ce printemps. Comment mobiliser les troupes ?

Isabelle Adenot. Il n’a échappé à personne que la profession est entrée dans une période de profonde mutation. Être conseiller ordinal, c’est être acteur de ces changements. L’institution ordinale a besoin de l’implication de l’ensemble des pharmaciens pour assurer ses missions et renforcer sa légitimité de représentation. C’est tout l’enjeu du cahier thématique Élections ordinales, l’Ordre a besoin de vous publié en février et téléchargeable sur notre site. Ce document ne se contente pas de présenter les missions, actions et fonctionnement de l’institution, il souhaite impliquer davantage les pharmaciens dans ces élections, dont découlera la gouvernance de l’Ordre, et confier des responsabilités aux jeunes pour éviter une rupture générationnelle.

L’amende infligée par le tribunal de l’Union européenne* ne risque-t-elle pas de freiner les vocations ?

Absolument pas ! Il ne faut pas tout confondre. L’amende prononcée par la Commission européenne est un dossier juridique complexe qui remonte, il faut le rappeler, à 2007. L’Ordre préfère l’avenir au passé. Nous ne saisirons pas la Cour de justice de l’Union européenne. Bien que l’Ordre estime que le raisonnement du tribunal soit juridiquement critiquable sur certains points (interprétation du droit français, vices de l’enquête et qualification de l’infraction), il n’est pas paru opportun d’entamer une nouvelle procédure sur plusieurs années. Quoi qu’il en soit, cette affaire aura eu une vertu : elle a débouché sur un solide programme de conformité au droit de la concurrence et à la recherche permanente du nécessaire équilibre entre les impératifs du droit de la concurrence et le bon accomplissement de nos missions légales.
L’Ordre compte également un conseiller au droit de la concurrence accessible à tous les conseils centraux des sections. Pour revenir aux élections, tous les conseils et conseillers sont et seront à nouveau formés à ces matières après les élections.

Cette amende aura-t-elle un impact sur les cotisations ordinales ?

Rassurez vos lecteurs, l’Ordre ne va pas augmenter les cotisations de 4,7 millions d’euros ! Dans la logique d’indivisibilité et de solidarité inter-métiers qui caractérise l’Ordre et lui permet de répondre aux besoins ou difficultés particulières de l’un de ses conseils, l’Ordre s’acquittera du paiement de l’amende. Il le fera en utilisant ses réserves financières générales, où les sommes nécessaires ont été progressivement provisionnées depuis 2010, grâce aux économies drastiques réalisées par chacune de ses composantes, notamment sa section de biologie.

Dans un billet d’humeur, vous avez qualifié d’« illogique » et d’« incompréhensible » l’arrêté du 4 février concernant l’affichage des prix des médicaments en officine. Pourquoi ?

Ce texte est d’une complexité sans nom. Il a fallu plusieurs heures à nos équipes juridiques pour assimiler et retraduire cet arrêté. À titre d’exemple, on lit à l’article 10 que les dispositions de l’arrêté entrent en vigueur sous réserve des dispositions de l’article 11, qui indique lui-même que l’article 9 entre en vigueur en ce qu’il concerne l’article 3… c’est kafkaïen ! Et pourquoi demander aux pharmaciens d’indiquer le taux de prise en charge par l’Assurance maladie des médicaments non remboursables non exposés à la vue alors qu’il n’en est rien lorsque ces médicaments sont à la vue du public ? L’Ordre a réalisé un tableau pour que les confrères s’y retrouvent, car ce qui est certain, c’est que tous doivent se conformer aux textes, l’information sur les prix étant d’ailleurs une obligation déontologique.

La DGCCRF a annoncé des contrôles sur cet affichage des prix. Craignez-vous une stigmatisation des officinaux ?

Les contrôles sont du ressort de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. C’est normal qu’il y en ait. Cela n’est pas remis en question. Mais avouez qu’annoncer des contrôles et des sanctions le jour même de la publication de l’arrêté n’est pas le moyen le plus pédagogique qui soit !

En 2013, vous évoquiez l’« évaporation des diplômes de pharmaciens ». En 2014, vous lanciez l’Opération jeunes. Les jeunes pharmaciens vont-ils revenir à l’officine ?

Il est incontestable que l’Opération jeunes restera l’un des faits marquants de 2014. Nous avons interrogé près de 20 000 pharmaciens de moins de 35 ans, étudiants et internes pour mieux cibler leurs attentes. Les retours ont été particulièrement intéressants. Je ne peux pas prédire l’avenir mais, une chose est sûre, 90 % des jeunes interrogés se déclarent satisfaits de leur choix professionnel et 90 % des étudiants et internes se disent fiers d’être pharmaciens.
Il ressort également que 80 % des sondés placent l’intérêt pour la profession, le statut de professionnel de santé et la mission de service public auprès de la population en tête de leur vocation. Nos jeunes sont source de dynamisme et d’innovation. À nous de les accompagner dans la construction de leur carrière et qu’aucun ne reste sur le bord de la route !

Vous avez aussi initié en 2014 un programme d’accompagnement qualité à l’officine. De quoi se compose-t-il ?

Après la mise en ligne des sites Eqo.fr et Acqo.fr, conçus entre autres pour aider les pharmaciens à se situer dans leur démarche qualité et à adopter les bons réflexes dans le cadre de leur exercice, l’Ordre a lancé, fin 2014, la suite du programme, avec notamment des « visites de patients qualité ». La phase pilote a débuté auprès de 800 officines, et devrait se poursuivre sur 3 000 autres chaque année. Les pharmacies sont sélectionnées aléatoirement et anonymement, l’Ordre n’est pas au courant du choix des officines. Le pharmacien ne sera informé du passage du patient qualité, venant d’une société indépendante, qu’à l’issue de la visite. Le titulaire recevra ensuite un bilan personnalisé – dont un exemple de présentation est en ligne sur notre site – et confidentiel, qui lui permettra de se situer sur les points clés tels que l’accueil, l’écoute du patient, la pertinence du conseil via des éléments de comparaison. Le conseil scientifique, soumis à la confidentialité, a travaillé pour préparer les scénarios. Personne au sein de l’Ordre n’est donc au courant du déroulement des visites.
En complément, des audits pédagogiques sont réalisés depuis janvier dans des officines volontaires. Ils sont menés par des pharmaciens en exercice issus de tous les métiers et ayant reçu une formation spécifique. Avant généralisation, tout sera testé : la formation des auditeurs, le référentiel d’audit pédagogique, le ressenti des audités, le coût de la prestation… Chaque pharmacien pourra ou non s’inscrire dans ce dispositif. Nulle obligation.

Quel est l’objectif de cette démarche ?

La qualité d’exercice doit rester une priorité. Les confrères non seulement le savent mais y adhèrent. Un chiffre résume cet engouement : 1 000 officines se connectent chaque mois sur le site Eqo (Évaluation qualité officine). Cela prouve que la démarche engagée par l’Ordre correspond à une réelle demande. Il faut dire que les textes changent fréquemment et que les pharmaciens, pour s’y conformer, doivent d’abord les connaître !

« L’Ordre n’a pas à se positionner sur certains sujets. » On entend souvent cet argument quand on évoque le nouveau mode de rémunération. C’est pourtant une révolution qui touche l’ensemble de la profession. Vous n’avez vraiment pas d’avis sur ce sujet ?

Je le redis et le réaffirme, l’Ordre n’est pas un syndicat et n’a donc logiquement pas été partie prenante dans les négociations avec l’Assurance maladie. L’Ordre n’a pas à prendre position sur ce nouveau mode de rémunération.

N’y a-t-il pas eu un déficit de communication sur ces honoraires ? Les patients ont été peu informés, ce qui a pu créer des crispations au comptoir…

Tout grand changement demande effectivement un gros travail d’information. J’espère que les syndicats et les autorités concernées communiqueront sur ces modalités de rémunération des pharmaciens. Les médias ne les connaissent pas encore assez, alors, de fait, le public non plus.

Propos recueillis par Olivier Valcke

Bio express

  • 1979 Diplômée de la faculté Paris V
  • 1984 Installation dans la Nièvre
  • 1987 Membre du conseil régional de l’Ordre de Bourgogne
  • 2003 Présidente du Conseil central A
  • 2009 Première femme élue à la présidence du conseil national de l’Ordre
  • 2012 Prend la tête du Groupement pharmaceutique de l’Union européenne (GPUE)

 


(*) Suite à la plainte d’un groupe de laboratoires de biologie médicale qui s’estimait confronté à un comportement anticoncurrentiel de la part du conseil central G (CCG-biologistes médicaux de métropole), la Commission européenne a ouvert une enquête en octobre 2007, puis adopté en décembre 2010 une décision constatant une violation des règles de l’Union sur la concurrence et condamnant le CCG et l’Ordre à 5 millions d’euros d’amende.