Richard Ferrand « Adapter les professions réglementées au contexte actuel est une nécessité »

Le 3 novembre 2014, le député socialiste du Finistère a remis au ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, son rapport sur les professions réglementées, dont une partie concerne la pharmacie d’officine. Décryptage.

Pharma. Dans le rapport remis à Emmanuel Macron, vous écrivez « Réformer sans casser, c’est optimiser les atouts d’un modèle qui a fait ses preuves et en corriger sans craintes les défauts évidents ». Selon vous, quels sont les principaux défauts des professions réglementées ?

Richard Ferrand. Je ne pense pas que l’on puisse pointer des défauts « principaux » communs à toutes les professions réglementées. Celles-ci recouvrent en  effet une réalité très diverse. Ce que l’on peut essayer de décrire, en revanche, c’est un phénomène qui est transversal et inhérent – si je puis dire – aux réglementations elles-mêmes, à la norme de manière générale. C’est-à-dire que les réglementations entraînent, de facto, des particularités, des rigidités, et parfois des défauts, dans le temps. Aussi, quand on considère, comme le législateur l’a toujours fait, et comme je le pense, que les réglementations sont indispensables pour de nombreuses raisons – intérêt général, sécurité sanitaire, etc. –, il est également de notre devoir de pouvoir les rendre efficaces. C’est précisément là tout l’enjeu de l’évolution, de l’adaptation, de l’actualisation, de la modernisation des normes. Le régulateur, par son ambition, n’a jamais le temps de se reposer : il doit être constamment à la hauteur s’il veut que le modèle dont il est fier perdure. Pour moi, c’est d’abord cela réformer.

Et concernant les pharmaciens ?

La mission a identifié certaines règles qui ne sont tout simplement plus adaptées à la donne actuelle. Je pense aux réglementations relatives à l’installation, plus précisément à la mobilité des pharmaciens, ou encore à celles de la vente en ligne. Il ne faut pas non plus passer sous silence l’évolution parfois préoccupante de la situation économique des officines. C’est à ces questions que j’ai essayé d’apporter quelques réponses, qui ne prétendent naturellement pas à l’exhaustivité.

Le rapport comporte vingt-huit propositions, mais seulement cinq concernent la pharmacie. Pourquoi ?

Vous auriez pu, a contrario, considérer que c’est plutôt un bon ratio compte tenu du fait que le rapport traite de douze professions. Très simplement, la mission avait un périmètre plus large que le seul métier de pharmacien ; je ne pouvais donc pas rendre des conclusions disproportionnées. De plus, il n’aurait pas été sérieux de prétendre répondre à l’ensemble des sujets qui sont les vôtres en si peu de temps. Par ailleurs, j’ajoute que l’on parle essentiellement, et c’est normal, des vingt-huit propositions que nous avons mises en exergue, mais le rapport recouvre également d’autres recommandations et « sous-propositions ». Par exemple, en ce qui concerne les pharmaciens – mais aussi les professions paramédicales –, nous encourageons la délégation d’actes.

Après la mobilisation sans précédent des professions libérales de santé – en premier lieu les pharmaciens – le 30 septembre, avez-vous reçu des instructions pour assouplir les mesures ? Trouver un consensus ?

Non. J’ai mené cette mission en toute indépendance, et je tiens d’ailleurs à remercier les ministres compétents qui m’ont laissé toute liberté. J’avais attiré l’attention du gouvernement très tôt, dès les annonces de M. Montebourg cet été et avant la mobilisation du 30 septembre, en disant « Attention, il faut aborder la réalité dans toute sa complexité et ne pas céder aux facilités ».
Je ne pense pas que l’on puisse réformer sans les parties prenantes, ou en donnant l’impression de stigmatiser les professionnels. C’est la raison pour laquelle j’ai appelé à la concertation, et c’est ce que j’ai eu l’occasion de faire au cours de la mission, dans une recherche de l’intérêt général. Ensuite, si les propositions que j’avance sont consensuelles, je ne peux que m’en réjouir ! Elles sont de nature à faire changer les choses en profondeur, dans la durée, et, oui, elles modifieront des habitudes et des pratiques. Je ne souhaite une chose : qu’elles soient inscrites dans la loi dès que possible.

Votre rapport a comme sous-titre Pour une nouvelle jeunesse. On parle beaucoup de « l’évaporation » des jeunes diplômés en pharmacie, d’une certaine frilosité à s’installer, liée en partie à des contraintes financières. Quel serait votre message aux jeunes pharmaciens ?

L’accès des jeunes aux professions a été au cœur de ma démarche. Mes propositions les plus fortes sont celles à destination des jeunes générations. J’observe d’ailleurs que les pharmaciens ne sont pas les moins bien lotis quand on les compare aux professions du droit notamment, puisque la moyenne d’âge des titulaires est de 49,6 ans, et de 43,6 ans pour les adjoints. Au fond, l’ambition est simple : que chacun puisse accéder pleinement à la profession chaque fois que ses compétences et diplômes le permettent.
Cela vaut en premier lieu pour les jeunes, mais également pour les salariés aguerris. Tout en disant ceci, il faut reconnaître que les contraintes d’installation sont plus importantes pour les professions réglementées ; contraintes justifiées pour assurer de manière  efficiente les besoins des citoyens-usagers et répondre aux objectifs de santé publique. L’enjeu est donc de trouver un chemin entre ces deux grands critères.
En ce qui concerne les pharmacies, d’un côté, le maillage territorial actuel est dense, de l’autre, la situation économique a évolué sous l’effet de plusieurs facteurs : baisse du prix du médicament, prise de parts de marché par les grandes surfaces sur la parapharmacie, etc. Il ne serait donc pas raisonnable d’imaginer opportun ou de promettre un nombre significatif de créations d’officines.
Cependant, il y a d’autres moyens d’encourager l’accession des jeunes. L’article L. 5125-20 du code de la santé publique, en obligeant la présence d’un adjoint dans les officines dont le chiffre d’affaires hors taxes dépasse 1,3 million d’euros et d’un adjoint par tranche de 1,3 million supplémentaire, est une bonne manière de répondre aux objectifs. D’autre part, il faut pérenniser un modèle aujourd’hui en difficulté afin que les jeunes, tout comme les financeurs/prêteurs, puissent avoir confiance en l’avenir. Il ne fait aucun doute que la profession de pharmacien a un bel avenir devant elle, encore faut-il pouvoir la moderniser et lui en donner les moyens.

Votre rapport milite pour un assouplissement des règles d’installation. Il n’est en revanche nulle part mentionné la modification des quotas d’installation. Pourtant, et vous le mentionnez sur votre blog, 90 % des communes françaises ont moins de 2 000 habitants et ne peuvent prétendre à l’implantation d’une officine. Ces communes sont donc condamnées ?

Une commune n’est pas condamnée parce qu’elle n’a pas de pharmacie sur son territoire. L’on sait aussi que le nombre de communes en France, près de 37 000, est très supérieur à la moyenne européenne. C’est une chance pour la démocratie locale, mais cela pose parfois des difficultés d’aménagement du territoire. Je ne suis pas sûr qu’il faille raisonner par commune mais plutôt par « zone ». Ce qui importe, c’est la capacité pour tous d’accéder à une pharmacie et aux soins dans un délai raisonnable. Comme je le disais, le maillage territorial des pharmacies est serré bien que perfectible. L’objectif doit donc être, avant tout, de le protéger et de l’améliorer. Or, je crois que les règles de « quotas d’habitants » ont fait leurs preuves et ne sont pas étrangères à ce résultat. Il ne m’a pas semblé utile de les remettre en question fondamentalement. Rappelons que les officines ont besoin d’un chiffre d’affaires conséquent pour être viables. Je ne vois donc pas l’intérêt pour elles de s’installer dans des territoires où la population ne serait de toute façon pas suffisante ; besoin qui se conjugue à la nécessaire présence de prescripteurs, étant donné qu’environ 80 % du chiffre d’affaires résultent de prescriptions médicales obligatoires. Pour autant, je préconise d’assouplir les règles en matière de regroupement et transfert d’officines pour qu’ils puissent s’effectuer quand bien même les quotas de population ne seraient pas atteints, par exemple lorsqu’il y a une maison de santé.

L’UNPF se dit favorable à un assouplissement de ces règles de transfert à condition que cette mesure soit assortie d’incitations fiscales afin de favoriser les jeunes pharmaciens. Y êtes-vous favorable ?

Tout dépend de ce que recouvre la notion « d’incitations fiscales », ce que l’UNPF n’a pas précisé à cette heure. Je ne peux pas me prononcer sur une idée aux contours flous, sans connaître la nature de cette éventuelle aide, son périmètre, ses modalités et surtout la masse financière qu’elle impliquerait. Cela étant, il n’a échappé à personne que les comptes publics sont très dégradés. De surcroît, calibrer une mesure fiscale sur des catégories dont le critère serait l’âge est toujours très compliqué.

Le rapport parle d’ouverture du capital entre professionnels de santé, notamment au niveau des SPFPL. S’agit-il de pharmaciens diplômés ou comptez-vous inclure d’autres professionnels ?

Le rapport préconise une ouverture du capital des SEL entre les professions de santé afin de diversifier les sources de financement, ce qui, là aussi, devrait aider les jeunes. Toutefois, cette ouverture n’est possible que sous réserve du respect des règles d’incompatibilité. En l’espèce, dans le cas des pharmaciens, les laboratoires de biologie médicale, les médecins et les vétérinaires ne pourront pas entrer au capital. Sur ce point, tout comme le gouvernement, j’exclus l’ouverture aux tiers qui ne serait ni utile ni sécurisante.

Le rapport offre la possibilité aux officinaux de pratiquer des vaccinations. Médecins et infirmiers se sont aussitôt élevés contre cette mesure. Au-delà de la couverture vaccinale, quel en est l’objectif ?

Promouvoir une politique de vaccination de proximité nous semble répondre à un enjeu de santé publique de premier plan. Je précise que cette mesure ne serait dans mon esprit qu’une possibilité, et non une obligation. Accessoirement, nous pensons qu’il est pertinent de diversifier les sources de revenus des pharmaciens, notamment par la délégation d’actes. Je vis en zone rurale et j’observe que dans bien des territoires, notamment ceux où ne viennent pas s’installer les médecins, les pharmacies constituent le « poste médical avancé » qui répond aux besoins des populations.

Pour le coup, l’assouplissement des règles de vente en ligne fait bondir les pharmaciens, qui craignent l’arrivée de « pure players » sur le marché. Comprenez-vous leur peur ?

Pas du tout ! Il y a une mauvaise compréhension du rapport sur ce point. Je m’explique. Aujourd’hui, la vente de médicaments à distance n’est possible que dans le prolongement virtuel d’une officine physique existante et à partir de son stock, ce qui génère des coûts de gestion et de maintenance importants, tant en termes de ressources financières que de temps de travail. Ce que je propose est simplement de passer de l’obligation d’adossement à une seule pharmacie à une ou plusieurs pharmacies. C’est-à-dire que, demain, plusieurs officines pourraient tenir en commun un site de vente en ligne. Le prolongement virtuel serait donc maintenu, mais élargi. Ainsi, l’idée est que chaque fois que vous commanderez un médicament sur un site français, le produit sera nécessairement en réserve, physiquement, dans l’une de ces pharmacies. Il ne s’agit donc à aucun moment de « court-circuiter » le pharmacien. Au contraire, je souhaite que le circuit de distribution du médicament garde son étanchéité qui, seule, assure la sécurité sanitaire : le monopole en matière de délivrance et de vente de médicaments est donc préservé. Cette possibilité a un quadruple objectif : répondre aux nouvelles demandes, préserver la sécurité sanitaire, faire face à la concurrence européenne et limiter les coûts d’investissement et de gestion des sites Internet. Là encore, il s’agit d’une faculté, d’un encouragement, non de créer une obligation.

Ne craignez-vous pas une guerre des prix ? Des dérives commerciales ?

Je crois qu’un peu de concurrence saine en matière de vente de médicaments à prescription facultative, tant qu’elle reste de la compétence exclusive du pharmacien, n’est pas de nature à nuire. Surtout, la vente en ligne est assortie de règles qui empêchent ces dérives – des décisions de justice sont déjà intervenues en la matière. Enfin, je suis convaincu que la promotion de la pharmacie française en ligne est précisément le meilleur rempart contre toute dérive.

Propos recueillis par Olivier Valcke

Bio express

  • 52 ans
  • Député socialiste de la 6e circonscription du Finistère depuis 2012
  • Conseiller régional de Bretagne depuis 2010
  • Membre de la commission des Affaires sociales
  • Directeur général des Mutuelles de Bretagne de 1993 à 2012