Outre un objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) fixé à 2,1 %, le PLFSS prévoit, entre autres, plus d’un milliard d’euros d’économies sur le médicament. Éclairage avec nos experts.
Ah, le mois de novembre et son immuable projet de loi de financement de la Sécurité sociale, plus connu sous son acronyme imprononçable, le PLFSS… Voilà dix-huit ans maintenant que ce texte est soumis au vote du Parlement, et autant d’années qu’il cible prioritairement le médicament. L’édition 2015 n’y déroge pas : elle prévoit 3,185 milliards d’économie, dont 1,065 milliard sur la seule ligne intitulée « Produits de santé et promotion des génériques ».
À la mi-octobre, alors que l’Assemblée nationale débutait l’examen du texte, le gouvernement tablait ainsi* sur une première économie de 550 M€ générée par des baisses de prix des médicaments, et sur une seconde de 435 M€ liée à la promotion et au développement des génériques. Au titre de la « Pertinence et bon usage des soins », il prévoyait également 400 M€ d’économie grâce à des « Actions de maîtrise des volumes et de la structure de prescription des médicaments ».
Le salut ne viendra que de réformes structurelles
Remis à leurs justes proportions, ces chiffres ne résistent pas à l’examen de Jean-Jacques Zambrowski, économiste de la santé, directeur d’enseignement à l’université Paris-Descartes (Paris V) : « Trois milliards d’économie, rapportés aux 180 milliards que dépense la Sécurité sociale, cela ne fait que 1,6 %. C’est marginal : n’importe quel chef d’entreprise les trouverait sans problème. Quant à faire peser plus de la moitié de ces économies sur le médicament, qui ne représente que 15 % des dépenses de l’Assurance maladie, c’est pénalisant, inéquitable et destructeur pour toute la chaîne, jusqu’aux officines que l’on met en danger. Au lieu de mettre en place des outils pour rationaliser les dépenses, on préfère rationner, prendre des mesures purement comptables, faire des coupes sombres. Les patients en sont les premières victimes, tout comme ceux qui les soignent. Dans sa vision à court-terme, ce gouvernement, comme d’ailleurs ceux qui l’ont précédé, est dans la faute. Il laisse tourner un système déficitaire alors que les économies ne peuvent venir que de réformes structurelles. Tout le monde s’accorde sur ce point, y compris les professionnels, qui y sont prêts. Ce PLFSS laisse un goût amer car il reflète une fois de plus l’absence de courage politique et la frilosité de nos responsables. Il ne laisse pas entrevoir la moindre ambition d’engager les réformes nécessaires pour créer une vraie politique de santé qui assurerait la pérennité et l’équité dans l’accès aux soins. »
Des inégalités de traitement flagrantes
Michel Caillaud, l’ancien président de l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF), décortique le texte avec la même sévérité. « Les économies directes imputables à la baisse des prix des médicaments et à la promotion du générique ont un impact indirect sur nos chiffres d’affaires et nos marges, fait-il observer. La baisse du prix du générique réduit mécaniquement notre marge. La baisse du prix du médicament princeps, elle, a un double effet tout aussi mécanique : elle diminue la marge sur le princeps et celle sur le générique. Et ce, alors qu’à partir du 1er janvier 2015, la marge du pharmacien sera plafonnée pour les produits dont le coût fabricant hors taxes est supérieur à 1 500 €. Ce qui signifie que l’officine va de toute façon perdre progressivement de petits produits à forte marge au profit de produits onéreux à faible marge… Par ailleurs, faire croire que la maîtrise des volumes et de la structure de prescription des médicaments ne touche a priori pas les pharmaciens est faux : en limitant les prescriptions des spécialistes, les pathologies lourdes seront détectées avec retard ; leurs traitements seront donc, eux aussi, décalés dans le temps ».
Quant à « l’efficacité de la dépense hospitalière », censée générer une économie de 520 M€, c’est, pour Michel Caillaud, un trompe-l’œil : « Cette mesure repose essentiellement sur une optimisation des achats et des fonctions logistiques. Or, un accord est en cours de négociation entre la Cnam et les professionnels libéraux sur les soins de proximité et l’interprofessionnalité. Il ne s’agit donc que d’un transfert de charges, en aucun cas d’une réduction des hospitalisations. Les inégalités de traitement sont flagrantes. C’est un classique des pouvoirs publics : on ne souhaite pas se mettre les hôpitaux à dos, alors on charge la ville ».
En écho aux propos de Jean-Jacques Zambrowski, le syndicaliste avoue être las des mesures de replâtrage prises à intervalles réguliers et de très court terme. « J’attends une politique cohérente, avec des mesures pérennes, espère-t-il. La santé est un secteur économique comme les autres, qu’il faut bien sûr maîtriser, mais dont on doit surtout expliquer les coûts et les règles de fonctionnement. Le gouvernement saucissonne les discussions pour ne pas engager une réforme structurelle de fond. La preuve : l’officine est exclue des négociations entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et les laboratoires pour fixer les prix des médicaments, dont elle est pourtant la première concernée ».
Un texte qui ne recèle au final aucune surprise
« Une fois de plus, les économies et la maîtrise des dépenses sont concentrées sur le médicament, déplore lui aussi Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Ce texte ne recèle malheureusement aucune surprise : il est en droite ligne du plan de Marisol Touraine, qui prévoit des économies de 3,5 milliards d’euros ces trois prochaines années. Et je crains que, là encore, ce soit les officines qui en paient le plus lourd tribut. Depuis le début de l’année, elles ont déjà vu leur chiffre d’affaires diminuer de 2 % et leur marge de 3 % à cause de la baisse des prix des génériques. À ce rythme, il y aura forcément de la casse… »
Le leader syndical, qui continue de réclamer un accord pluriannuel avec l’État pour lancer une réforme de la profession, dénonce également « la signature par un seul syndicat (la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France, NDLR) de l’avenant sur l’honoraire à 1 euro la boîte [qui] valide ce plan [et] enferme les pharmaciens dans un tunnel pour les trois prochaines années. »** Et d’ajouter : « Non seulement cet euro ne nous déconnecte pas du volume de médicaments puisqu’il s’appliquera à la boîte mais, de plus, il s’échange contre une perte de marge sur tous les médicaments qui font la stabilité de nos entreprises. »
« En aucun cas, nous n’avons accepté d’impact des baisses de prix sur nos marges, rétorque la FSPF par la voix de son vice-président, Philippe Besset. Cette réforme est au contraire positive et protectrice puisque cet impact sera 20 % moins lourd en 2015 grâce à l’honoraire. » D’ailleurs, l’article 30 du PLFSS 2015, qui vise à exonérer du ticket modérateur l’honoraire pharmaceutique de 50 centimes applicable sur les ordonnances de cinq lignes et plus, est, aux yeux de la FSPF, le seul point positif de ce texte. « Cette prise en charge est essentielle pour que le passage à l’honoraire de dispensation se fasse avec l’aval des patients, souligne Philippe Besset. Nous soutenons totalement cette mesure législative. En revanche, nous ne pouvons pas accepter les mesures d’économies prévues dans le projet tel qu’il a été présenté. »
Des modifications espérées… et attendues
« Après neuf années d’efforts demandés aux pharmaciens d’officine, le PLFSS prévoit, pour 2015, une baisse de la rémunération du réseau officinal de plus de 300 millions d’euros supplémentaires, ce qui va mettre en difficulté de nombreuses entreprises », argumente Philippe Besset. Sitôt le projet de loi connu, la FSPF a donc plaidé auprès du CEPS, du cabinet de la ministre Marisol Touraine et du rapporteur du texte pour l’amender et mettre en place des mesures d’accompagnement.
En premier lieu, elle a milité pour un niveau de baisse de prix comparable à celui de l’année dernière, soit 835 M€ au lieu de 1,065 milliard d’euros, allégeant ainsi de 150 M€ les économies sur les prix du répertoire, qui passeraient de 435 à 285 M€. Le générique, quant à lui, doit faire l’objet d’un grand plan de relance dûment inscrit dans la loi. En second lieu, la Fédération a demandé la renégociation, dès ce mois de novembre, de la rémunération sur objectifs de santé publique (ou ROSP, le nom officiel de la prime génériques) afin de compenser l’effort consenti par les pharmaciens.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, la FSPF n’a pas encore obtenu de réponses à ses requêtes ; le syndicat se montrait cependant optimiste. « Il faut s’attendre à ces modifications, assurait alors Philippe Besset. Si nous sommes entendus, l’année 2015, avec l’entrée en vigueur de l’honoraire, sera rude, mais nous aurons évité le tsunami. Pour autant, rien n’est gagné. Et en attendant, ce plan, en l’état, reste insoutenable tant il est meurtrier pour l’économie de l’officine ».