Charles Ronlez – « Stimuler les nouvelles compétences officinales »

Honoraire de délivrance, entretien d’accompagnement, vente en ligne… nos voisins belges ont pris une longueur d’avance. Comme nous le décrit le président de l’Association pharmaceutique belge (APB).

Pharma. Dans un pays où les relations entre Wallons et Flamands sont souvent conflictuelles, l’Association pharmaceutique belge (APB) fait figure d’exception, avec une solide cohésion de ses membres qu’elle que soit leur appartenance linguistique. Quel est votre secret ?

Charles Ronlez. Je ne pense pas que l’APB soit la seule structure belge où Flamands et Wallons travaillent sereinement ensemble. Si c’était le cas, ce serait catastrophique pour l’économie du pays. La France brosse souvent un tableau plus pessimiste que la réalité, presque une caricature des divisions belges. Pour revenir à l’APB, la parité linguistique est inscrite dans nos statuts. Le conseil fédéral compte un nombre égal de conseillers francophones et néerlandophones et le président de l’APB est alternativement choisi dans l’un des groupes linguistiques. J’ai ainsi pris mes fonctions de président en janvier à la suite de mon collègue néerlandophone, Filip Babylon, mais le vice-président est néerlandophone et chaque entité linguistique a son secrétaire général.

Les syndicats de pharmaciens français négocient l’instauration d’un nouveau mode de rémunération, et notamment la création d’un honoraire de dispensation. La pharmacie belge a basculé dans l’honoraire courant 2010 pour les spécialités remboursables.Quel en est le mécanisme ?

Jusqu’en 2010, la rémunération des pharmaciens belges était calculée sur le prix de vente des médicaments par l’intermédiaire d’une marge dégressive lissée à quatre tranches. Le nouveau mode de rémunération, mis en place au 1er avril 2010, a consisté à décomposer la rémunération des pharmaciens en une marge économique liée au prix fabricant et en des honoraires. Aujourd’hui, pour les médicaments remboursés, la rémunération repose sur trois piliers : une marge à deux tranches destinée à financer les coûts liés à la distribution (6,04 % pour les médicaments inférieurs ou égaux à 60 €, 3,62 € [soit 6 % de 60 €] + 2 % pour ceux valant plus de 60 €), un honoraire de délivrance de 4,10 € HT pour les « soins pharmaceutiques de base » prodigué, comme son nom l’indique, lors de la délivrance d’un médicament, et des honoraires pour des « services complémentaires » comme le suivi des autorisations de remboursement spécifiques (chapitre IV) ou l’exécution d’une prescription en DCI (1,19 € HT). Ce système composé à 80 % d’honoraires (75 % pour les honoraires de dispensation et 5 % pour les spécifiques) permet au pharmacien belge de ne plus dépendre uniquement du prix des médicaments qu’il délivre. Je voudrais ici rassurer mes confrères français. Instauré en 2010, ce système a été le fruit d’une longue démarche. Le processus de négociation a duré plus de trois ans. Nous avons réalisé des centaines de simulations pour donner aux pharmaciens une visibilité sur leur futur exercice.

Que pensez-vous de la piste française de l’honoraire de 1 € par boîte couplé à un honoraire de 0,50 € pour les ordonnances complexes comportant cinq lignes et plus ?

Je ne connais pas la structuration des prix des médicaments en France ni toutes les composantes des négociations avec l’Assurance maladie, mais cet euro par boîte ne me semble guère suffisant pour déconnecter la rémunération du pharmacien du prix et des volumes de médicaments. Je ne lis pas dans les boules de cristal mais la pression économique liée à la baisse des prix risque de continuer à impacter l’activité officinale. En Belgique, nous nous sommes aperçus depuis 2010 que nous ne sommes plus touchés de plein fouet par les baisses des tarifs.

Autre révolution, la mise en place des entretiens pharmaceutiques. La France et la Belgique se sont lancées dans ces entretiens individuels rémunérés. Quel premier bilan tirez-vous de cette pratique, qui a débuté chez vous par les patients asthmatiques ?

Les entretiens d’accompagnement de nouvelle médication (ENM) ont été lancés en octobre 2013. Quand on parle de révolution pour le pharmacien belge, le terme n’est pas exagéré. C’est en effet la première fois qu’il peut être rémunéré pour une prestation qui n’est pas liée à la délivrance de médicaments, mais accompagner le patient chronique dans le cadre d’une meilleure utilisation de son traitement. Nous avons commencé avec les asthmatiques nouvellement sous corticostéroïdes inhalés, pour lesquels il y a un réel problème d’observance : leurs effets favorables ne se faisant ressentir en général qu’après une à deux semaines, le patient interrompt parfois précocement son traitement. Une mauvaise technique d’inhalation peut également être responsable d’un effet sous-optimal. Pour l’asthme, l’ENM se compose d’un entretien d’information à l’initiation du traitement et convenu avec le patient juste après la délivrance du corticostéroïde, et d’un entretien de suivi réalisé trois à six semaines après le premier. Au travers de ces deux entretiens, le pharmacien rassemble l’historique de son patient, effectue un test de contrôle de l’asthme, délivre des informations adaptées et l’oriente, le cas échéant, vers son médecin traitant. Le pharmacien perçoit de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami) un honoraire de 20 € pour chaque entretien, prélevé dans l’enveloppe actuelle – ce n’est donc pas un « nouveau » budget. Le principe est le même que pour les entretiens réalisés en France auprès des patients sous AVK. J’espère que l’implication sera la même en Belgique. Après quelques mois, force est de constater que nous n’avons pas entièrement rempli nos objectifs en termes de couverture géographique. Les officinaux belges n’ont pas encore saisi toutes les opportunités de cette nouvelle prestation. Pourtant, il y a bel et bien une carte à jouer. Il faut les convaincre de l’utilité des entretiens d’accompagnement de nouvelle médication.

Les patients y sont-ils favorables ?

Là aussi, des efforts doivent être menés, notamment au niveau de la communication auprès de nos patients. Lorsqu’ils vont chez le médecin, ils savent à l’avance qu’ils en ont pour une demi-heure, voire plus. Le temps passé à la pharmacie est beaucoup plus court. Il s’agit juste de récupérer les médicaments inscrits sur l’ordonnance. Pourquoi s’y attarder ? Remarquez d’ailleurs les différences de langage. On dit « je passe à la pharmacie » mais « j’ai rendez-vous chez le médecin ». Il faut changer de paradigme. Désormais, on peut aussi affirmer « j’ai rendez-vous avec mon pharmacien ».

Les officines belges vont voir le déploiement, courant 2014, du dossier pharmaceutique partagé (DPP). S’inspire-t-il du DP français ? Quels sont ses objectifs ?

Le dossier pharmaceutique a vu le jour en Belgique en 2009, soit au même moment que le DP français. Sauf que le DPP belge est une obligation légale. Le pharmacien doit y enregistrer toute délivrance de médicaments soumis à la prescription médicale. Il peut y ajouter des données complémentaires (délivrances de médicaments non soumis à la prescription, allergies…), sauf si le patient s’y oppose explicitement. Le DP est un très bon outil mais avec un ancrage local. Il reste dans chaque pharmacie sous la responsabilité du pharmacien. Avec le DPP, nous mettons à disposition des 5 000 pharmaciens belges les données contenues dans l’ensemble de ces dossiers locaux. Il s’agit de s’adapter à la mobilité du patient, tout en améliorant la qualité et l’efficacité des soins. Aujourd’hui, 600 pharmacies sont opérationnelles. Nous espérons que, d’ici la fin de l’année, les 5 000 pharmacies le seront. C’est l’exhaustivité du système qui en fait sa qualité.

En France, une officine ferme tous les trois jours. La Belgique est-elle aussi confrontée à ce phénomène ?

La Belgique dispose de l’un des réseaux les plus denses d’Europe, ce qui garantit une très grande proximité et accessibilité. Le revers de la médaille, c’est une offre surabondante. C’est pourquoi un moratoire sur l’ouverture de nouveaux points de vente a été imposé en 1999. Depuis, du fait de fusions et de fermetures, le nombre de pharmacies en Belgique est retombé de 5 277 à 4 950 pour 11 millions d’habitants. Le moratoire devait prendre fin en décembre 2014, mais la ministre de la Santé a déjà fait savoir qu’il serait opportun de le prolonger pour cinq années supplémentaires. D’un point de vue comptable, on constate donc une diminution notable des points de vente, tout en gardant un maillage serré. Ce maillage nous permet de ne pas trop craindre le développement de la vente en ligne ni la vente de produits de santé dans les grandes surfaces. À ce phénomène démographique, il faut ajouter un élément économique. Comme en France, les relais de croissance pour la pharmacie sont moins importants. Le contexte budgétaire difficile rend l’exercice encore plus délicat. Mais je reste confiant. Le métier de pharmacien est en pleine mutation. En Belgique, en France et partout en Europe, il est amené à élargir ses compétences. Vieillissement de la population, suivi des patients chroniques, dématérialisation des données… sont autant de défis à relever.

Propos recueillis par Olivier Valcke

Bio express

  • 1980 : Diplômé de pharmacie
  • Depuis 1984 : Titulaire à Ghislenghien, Belgique
  • Depuis 2005 : Directeur de l’Union pharmaceutique du Hainaut occidental et central (Uphoc)
  • 2012-2013 : Secrétaire général de l’Association pharmaceutique belge (APB)
  • Depuis janvier 2014 : Président de l’APB