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Serge Papin « Le pharmacien doit se fédérer pour résister »

C’est avec lucidité que le président de Système U analyse les bouleversements qui impactent la pharmacie française. Pour Serge Papin, deux atouts peuvent sauver la pharmacie : la mutualisation de moyens et la proximité.

Pharma. L’Europe s’intéresse de très près aux professions réglementées. Après les taxis, les pharmaciens sont-ils les prochains sur la liste des monopoles qui sautent ?

Serge Papin. Au-delà de la question de monopole, ce qu’il faut prendre en compte c’est l’évolution de la société qui nous entoure et l’accélération formidable qui se produit actuellement. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, nous avons vu l’arrivée de techniques, d’innovations qui ont plus changé le monde en cinquante ans que lors des cinq derniers siècles. La grande distribution est d’ailleurs la conséquence d’une mutation de la société qui a vu la population quitter les zones rurales vers les villes, les femmes accéder plus largement au marché du travail, le développement de l’automobile… Les métiers qui n’ont pas pris en compte ces évolutions ont disparu. C’est un constat.

Dès qu’il s’agit de profession réglementée, les pro-libéraux parlent de « corporatismes » d’un autre temps, de « privilèges de castes » limitant la concurrence. Les pharmaciens défendent au contraire un monopole d’intérêt public, garant de la sécurité sanitaire des patients. Quelle est votre analyse ?

Tout d’abord, il convient de préciser la position du groupement Système U dans ce “débat” qui agite la profession de pharmacien. Contrairement à certains distributeurs nous n’avons jamais eu de velléités affirmées de vendre des médicaments. Nous sommes des commerçants indépendants associés en coopérative dont l’origine se trouve dans le petit commerce. Rappelons pour les béotiens que les créateurs de la coopérative à la fin du 19 ème siècle étaient des épiciers de villages ruraux. Notre cœur de métier c’est l’alimentaire. Et je peux vous garantir que sur ce domaine il y a beaucoup de choses à faire.

La vente de tests de grossesse et d’ovulation en grande surface, vous êtes donc contre ?

Je le répète nous n’aspirons pas à tout vendre dans nos magasins. Chacun son métier. En revanche et si la loi nous y autorise, nous proposerons des produits comme les kits de nettoyages pour les lentilles oculaires. Je ne vois pas ce qui nous retient de vendre des produits consommables. A la différence des tests de grossesse, on peut qualifier ces produits de consommables. J’ai eu l’impression qu’il y a eu une certaine précipitation sur la libéralisation des tests de grossesse. Rappelons que ce sont des produits médicaux qui nécessitent le conseil et l’expertise d’un professionnel de santé.

Assiste-t-on à la fin du commerçant indépendant ?

Nous connaissons bien les difficultés rencontrées par la profession de pharmaciens, car des officines sont souvent présentes dans nos galeries marchandes. Nous avons également des contacts réguliers avec des représentants de groupements qui s’intéressent à modèle d’organisation. Avant de répondre à votre question, j’aimerai juste rappeler le fonctionnement de notre groupement coopératif. Système U est une coopérative de commerçants indépendants. Chaque magasin est une entreprise indépendante avec une large autonomie locale. Le directeur de magasin assume la prise de risque financière mais il profite, en contrepartie de cotisations, de l’organisation nationale de la coopérative, à savoir les achats, la logistique, la communication, les systèmes d’information… Autant d’activités ou le “poids” fait la puissance. Les moyens sont communs, les valeurs communes mais l’activité locale demeure la compétence seule du magasin. Ce modèle intéresse plusieurs groupements. Il faut savoir malgré tout que nous avons mis plusieurs décennies à stabiliser cette organisation et que dans notre longue histoire nous avons vécu des épisodes difficiles, particulièrement dans les années soixante dix, dans le combat entre les “anciens” qui refusaient le supermarchés et les modernes. Pour répondre à votre question, je dirai qu’il y aura toujours des commerçants indépendants mais regroupés, structurés. Il n’y a pas de recette miracle. Tout est une question de bon sens, de mutualisation des moyens et des compétences. Pourquoi Système U fonctionne ? Peut être parce que les coopérateurs –les patrons de magasins- sont aux manettes, que le conseil d’administration national est exclusivement composé de coopérateurs exploitants de magasins qui sont élus par leurs pairs. Moi-même, je suis propriétaire d’un magasin en Vendée que j’ai exploité avec ma sœur dans le village où mon père était commerçant. Cette présence au plus prés des décisions stratégiques évite les orientations hasardeuses.

Comme tout commerçant, le pharmacien doit faire face à l’appétit vorace de la grande distribution. Proximité, disponibilité, expertise médicale… Selon vous, sur quels critères le pharmacien fait-il la différence ?

Je pense que comme pour nous, les pharmaciens doivent trouver un moyen, une organisation qui permettent de fédérer les moyens pour “faire ensemble”. Cela peut concerner les systèmes d’information, la marque… Autant de sujet où seul on est rien. A l’inverse, il s’agit pour le pharmacien de trouver de nouvelles missions, de nouveaux services de proximité qui accompagneront le patient localement. C’est un double mouvement : centrifuge au national et centripète au local.

Le conseil pharmaceutique est-il le dernier atout du pharmacien dans son combat contre la grande distribution ?

Mieux que le conseil pharmaceutique je dirai que c’est sur le conseil de proximité que le pharmacien peut faire la différence. Contrairement à la grande distribution, il possède un réel savoir-faire auprès d’une patientèle de proximité. A lui de valoriser sa compétence dans ce domaine. Le pharmacien est dans l’humain, dans l’affect. Ceci demande certainement un ré-investissement de l’humain dans les officines mais c’est la seule façon de faire la différence avec la grande distribution et internet qui, il ne faut pas se voiler la face, arriveront inéluctablement. Il vaut mieux se préparer efficacement à ce vrai challenge plutôt que de construire des digues temporaires qui seront submergées par les flots.

Quel regard portez-vous sur l’arrivée des nouvelles missions à l’officine (dépistage, prévention, accompagnement des patients chroniques (asthme, AVK, diabète…), suivi vaccinal…) ?

On assiste à la même tendance dans notre coopérative. Nous devons actuellement réaffirmer notre savoir-faire métier tout comme le pharmacien doit réaffirmer son statut de professionnel de santé, acteur à part entière du système de soins. Si en officine, cela se traduit par l’éducation thérapeutique, le suivi des patients chroniques, la prévention des risques iatrogéniques, dans nos commerces cela passe par une valorisation des rayons métiers, c’est-à-dire la boucherie, la poissonnerie ou le rayon fruits et légumes. Des zones à forte valeur ajoutée où le vendeur doit dispenser des conseils, valoriser ses produits, les préparer, les sublimer… Il ne nous reste plus qu’à recruter les bouchers, poissonniers et maraîchers compétents.

La vente de médicaments en ligne, un nouveau levier de croissance pour les pharmaciens ? 

Aujourd’hui on ne peut s’opposer au commerce électronique. Il s’impose et les lois n’y pourront rien. Il faut accompagner, profiter de la modernité plutôt que de s’y opposer de manière systématique. C’est ce que nous faisons en développant par exemple le Drive, un système ou le client passe ses commandes par internet et vient les récupérer sur le point de vente. Aujourd’hui, nous sommes leaders sur ce secteur en France avec 600 drives. Pour nous, la rentabilité est incertaine mais c’est un service que le client réclame. Ne pas le faire c’est rater le train des nouveaux services. Cette analyse vaut pour la vente de médicaments en ligne.

Coopérative de commerçants, Système U résiste bien aux assauts de la grande distribution. Le groupe a enregistré une hausse de son chiffre d’affaires de 3,5% en 2013. Quels sont les secrets de votre réussite ?

Si l’on regarde les résultats des groupes de distribution en France pour l’année 2013, on constate que les groupes qui progressent en parts de marché sont Leclerc, Intermarché et Système U. Ce sont trois groupes de commerçants indépendants dont les magasins sont exploités par des entrepreneurs. Le magasin est leur patrimoine. Ce n’est pas un hasard, le commerce est une affaire de lien, de proximité, de capacité à comprendre l’attente locale des clients. Cette capacité à appréhender les clients est plus aisée pour un indépendant que pour un directeur salarié d’un groupe intégré, aussi compétent soit-il, car sa marge de manœuvre local est plus serré. Il doit respecter des directives du siège qui a plus de mal à intégrer les spécificités locales. Et puis un groupe intégré doit “rendre des comptes” à ses actionnaires qui ont des “besoins” de rentabilité immédiate qui vont parfois à l’encontre de l’intérêt à long terme de l’entreprise. En ce qui concerne plus spécifiquement Système U, nous avons depuis maintenant longtemps adopté un positionnement particulier que nous désignons dans nos campagnes publicitaires sous le terme de “Nouveaux Commerçants”. Il s’agit de concrétiser dans nos magasins l’addition des techniques modernes de la grande distribution qui permet d’offrir les prix bas, la sécurité… et les valeurs du bon commerçant (proximité, adaptabilité, la capacité à créer du lien…). Nous voulons pratiquer –et c’est encore une de nos accroches publicitaires- un “commerce qui profite à tous”. La recherche systématique du prix bas poussée à son paroxysme est dangereuse. Elle détruit la valeur du produit et n’entraîne plus d’achats supplémentaires. Le client n’a plus les mêmes attentes qu’il y a vingt ans. La consommation volumique des années 70/80 est derrière nous, le client est devenu plus raisonnable, plus exigeant dans ses achats. C’est un mouvement de fond qui va nous obliger à faire évoluer notre modèle. Si on le croise avec l’irruption du commerce électronique dans l’alimentaire, il faut dès maintenant imaginer” le magasin du futur” et s’adapter à l’émergence d’un commerce multi-canal croissant magasin physique et électronique, livraison à domicile et dématérialisation.

Lors d’une récente interview sur BFM Business, vous avez dénoncé un marché de la grande distribution “déséquilibré et désinflationniste“. Comment rééquilibrer la donne ?

Nous sommes rentrés dans un marché déflationniste. Les produits de grandes marques baissent. Et cette baisse est supportée par les PME. Je vous donne un exemple parmi tant d’autres. Le M&M’s en sachet de 500 grammes a vu son prix de vente baisser de 17% en 3 ans… sans que son prix d’achat auprès du fournisseur ne baisse dans les mêmes proportions. Pour compenser la perte de marge, le prix des produits agricoles ou des PME a tendance à augmenter pénalisant ainsi leurs ventes et mettant ces entreprises ou secteurs en difficulté. La guerre des prix que mènent tous les distributeurs –et à laquelle nous participons parce que nous devons être dans le match- est absurde et mortifère. C’est aux pouvoirs publics de stopper le mouvement. en prendre conscience avant que nous fassions dans quelques années le même constat que pour l’industrie textile: où sont passées les usines, où est parti le savoir faire…

Comment voyez-vous la pharmacie de demain ?

La pharmacie de demain devra avoir pris en compte l’évolution de la société qui l’entoure, les nouvelles techniques, et le changement de comportements du client. Elle aura su s’organiser pour mettre en commun des moyens pour être plus performante en amont. Elle devra capitaliser sur deux qualités reconnue par le patient: le conseil et la proximité.

Bio express

  • 1955 : Naissance à Saint-Gilles- Croix-de-Vie (Vendée)
  • 1976 : Promoteur des ventes à la centrale Loire-Atlantique des Unico (ancêtre de Système U)
  • 1981 : Rejoint la supérette Unico de Chantonnay et crée le service communication de Système U
  • 2003 : Vice-président de Système U
  • Depuis 2005 : Président de Système U