Christian Babusiaux – « L’ouverture raisonnée des données de santé est une chance »

Invité d’honneur de la 26e Journée de l’Ordre, le président de l’Institut des données de santé (IDS) soutient une ouverture des données de santé à certains professionnels. Un gisement convoité.

Pharma. Les pharmaciens ont toujours été des précurseurs dans la collecte, la gestion et la diffusion des données de santé de leurs patients. Ce rôle a-t-il vocation à se développer davantage ?

Christian Babusiaux. Les pharmaciens ont un rôle central dans le système de soins. Pour la plupart des patients, c’est le contact le plus fréquent avec un professionnel de santé. Ils ont ouvert la voie dans l’informatisation de ces professions, sans même que les pouvoirs publics aient à les y inciter. De plus, avec la mise en place du dossier pharmaceutique (DP), ils ont pris une nouvelle dimension dans la collecte des données. Avec la montée en puissance du DP, y compris à l’hôpital, et la coordination entre les professionnels de santé, les données qui proviennent des pharmaciens vont être, dans les années qui viennent, un élément clé dans la connaissance et l’analyse du système de santé et celles des pathologies.

Dans ce domaine, votre premier fait d’armes date de juin 2003, quand vous avez remis au ministre de la Santé un rapport sur la transmission des données aux assureurs complémentaires. Quel en était l’objet ?

Ce rapport examinait les conditions d’un accès des assureurs complémentaires aux données figurant sur les feuilles de soins électroniques transmises à l’aide de la carte Vitale. Ceux-ci souhaitaient y avoir accès pour proposer à leurs clients une meilleure information et une offre mieux adaptée à leurs besoins. Des travaux menés avec les caisses d’assurance maladie obligatoires, les instances représentatives des organismes complémentaires, ainsi qu’avec les professionnels de santé et la Cnil, s’étaient dégagées deux voies possibles : la transmission anonyme des données et la transmission nominative avec l’accord de l’assuré, des voies entourées de garanties appropriées. Les pharmacies ont d’ailleurs été les premières à entrer dans leur expérimentation courant 2007.

Concernant les bases de données publiques, comment est réglé le problème de l’anonymisation ?

Les règles d’anonymisation sont essentielles dans la diffusion et le partage des données de santé, bien plus qu’ailleurs. Il ne s’agit pas seulement de supprimer le nom et le prénom de la personne. Plusieurs restrictions ont été émises par la Cnil pour empêcher toute identification de la personne. Par exemple, il est interdit de croiser les informations qui permettraient de retrouver indirectement l’identité de la personne (code postal, date de naissance…) ou de transmettre des informations qui permettraient une identification (par exemple, l’unité médicale dans laquelle le patient a été hospitalisé). En outre, il existe des procédés techniques qui permettent d’anonymiser de façon irréversible les identifiants des personnes, comme le numéro d’inscription au répertoire (NIR). L’IDS est particulièrement vigilant sur le respect de ces règles.

La tendance actuelle est-elle plus en faveur de l’open data ou du big data ?

Avant d’analyser les tendances actuelles, il faut identifier et distinguer ces deux notions. L’open data est un courant qui prône l’ouverture des données numériques privées et publiques mais qui s’inscrit dans une démarche organisée. Les données sont recueillies et publiées par des entreprises ou des organismes publics selon une méthodologie qui garantit leur libre accès et leur réutilisation par tous, sans restrictions technique, juridique ou financière. A contrario, le « big data » est une situation où un opérateur capte, à l’insu des personnes, des données qui ne sont pas anonymisées, essaie de les rapprocher et les traite, cherche à dégager des corrélations et revend ces profils, par exemple à d’autres opérateurs. On assiste à un développement exponentiel du « big data », qui traite un très grand nombre de données sans véritables garde-fous. Celles-ci ont des origines variées : médias sociaux, messages sur les forums de sites Internet, images numériques, vidéos publiées, achats en ligne, GPS, téléphones mobiles… C’est une démarche qui peut être intrusive dans la vie de l’internaute. « Big data » est parfois utilisé comme un épouvantail et introduit de la confusion dans le débat sur l’ouverture des bases anonymisées alors que les sujets n’ont rien à voir. C’est pour une ouverture maîtrisée des bases de données de santé anonymisées qu’oeuvre l’IDS, et dans ce seul domaine.

Vous évoquez une ouverture maîtrisée des données. Depuis juillet 2013, la HAS et l’ANSM ont accès au Système national d’informations inter-régimes de l’Assurance maladie (Sniiram). Est-ce qu’un jour les professionnels de santé pourront aussi en bénéficier ?

Créé en 1998, le Sniiram traite 1,2 milliard de feuilles de soins chaque année et constitue l’une des plus grosses bases de données mondiales. Le Sniiram contient des milliards d’informations sur les prescriptions de médicaments, les actes médicaux, les tarifs… Il abrite les données de consommation inter-régimes (DCIR), c’est-à-dire des données individuelles anonymisées. Jusqu’à 2012, seule l’Assurance maladie pouvait y accéder. En 2012, l’Institut de veille sanitaire (INVS) et les médecins des ARS ont obtenu le droit de les consulter. Depuis l’arrêté du 19 juillet 2013, l’accès a été élargi à la HAS et l’ANSM. Cette demande avait d’ailleurs été formulée par l’IDS bien avant l’affaire du Mediator pour permettre aux deux agences sanitaires de conduire par elles-mêmes des études de santé publique et post- AMM. C’est un enjeu de santé publique. Il me semble en effet légitime que les autorités sanitaires, qui ont été créées pour veiller à la sécurité des produits, connaissent les évolutions concernant la consommation de médicaments, les pathologies… et puissent rapprocher les données pour détecter les problèmes éventuels. Notre deuxième proposition mentionnée dans un rapport remis aux parlementaires en juillet porte sur l’ouverture du DCIR aux organismes de recherches publics (Inserm, CNRS, CHU…). Jusque-là, nous n’avions obtenu que des extractions temporaires d’échantillons de données pour ces organismes. De même, les professionnels de santé, les associations de patients et les autres membres de l’IDS ne peuvent accéder qu’à un échantillon de 650 000 personnes : l’EGB (échantillon généraliste des bénéficiaires). C’est bien mais cela n’est pas adapté pour des études suffisamment précises. Il faut passer à la vitesse supérieure.

Les pharmaciens ont donc accès à cet échantillon…

Parmi les treize membres qui composent l’Institut des données de santé, se trouve l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS), une organisation regroupant vingt-six organismes syndicaux. Du fait de son appartenance à l’IDS, l’UNPS a accès et peut utiliser les données de l’échantillon du Sniiram. Rien n’empêche les syndicats de pharmaciens de consulter cet échantillon via l’UNPS. Dans son rapport de 2013 remis au Parlement, l’IDS a proposé que l’UNPS puisse consulter la base intégrale du Sniiram, le DCIR, dès lors qu’elle contribue à une meilleure connaissance du système de santé. Cela serait un juste retour des choses. Les professionnels de santé, par exemple les pharmaciens, alimentent quotidiennement la base du Sniiram avec les données de leurs patients.

Distilbène, Mediator, bisphénol A, Vioxx mais aussi prothèses PIP… un meilleur partage des données de santé aurait-il permis d’éviter ces scandales ?

Pour les plus anciennes affaires que vous citez, il n’existait pas encore de bases de données. La plus ancienne base concerne l’hôpital. Il s’agit du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI), lancé en France dans les années 1980 par Jean de Kervasdoué, alors responsable de la direction des hôpitaux. C’est seulement depuis les années 2010 qu’il existe une base équivalente pour les soins de ville. Et il a fallu attendre 2011 pour qu’il y ait un chaînage entre les données de ville et d’hôpital. Elle donne aujourd’hui le moyen, par exemple, de prévenir en cas de surconsommation ou de mésusage.

Chez nos voisins européens – pays scandinaves et Royaume-Uni –, les autorités ont depuis longtemps pris des mesures de transparence et de partage des données de santé. Pourquoi un tel retard chez nous ?

En France, il reste une profonde césure entre l’hôpital et la ville. En ce qui concerne les données hospitalières, le PMSI, géré par l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (Atih), est ouvert à tous. Lorsqu’elle a mené ses recherches sur les patients traités par le benfluorex, la pneumologue Irène Frachon a utilisé cette base. En revanche, elle n’a pu obtenir qu’une extraction partielle des données de soins de ville. Les pays nordiques font souvent référence dans le domaine de la collecte et de la diffusion des données de santé. Vous mentionnez les pays scandinaves. À l’instar du Canada ou du Royaume-Uni, ces pays ont su mettre leurs systèmes d’information médico-sociaux au service de la santé publique et de la recherche en créant de véritables « Population Data Centers », largement ouverts à la communauté scientifique. La base nordique a une ambition vaste : suivre l’ensemble de la population tout au long de la vie.

Un accès élargi au dossier pharmaceutique est-il envisageable ?

Le DP possède un avantage certain sur le Sniiram. Il comprend l’ensemble des consommations de médicaments remboursables et non remboursables, alors que le Sniiram ne contient que le remboursable. Autre atout : greffé sur les ventes de l’officine, le DP permet de suivre en temps réel les médicaments délivrés. Dans le cas du Sniiram, il y a un délai de plusieurs mois car ce sont des données issues du remboursement. Le DP n’est toutefois pas exhaustif. Le patient a le droit de ne pas en ouvrir un, ou de le faire mais de ne pas y faire saisir certains achats. De manière plus générale, aucune base ne peut être exhaustive. Pour que le système soit efficace, il faut utiliser plusieurs bases. Nous avons évoqué le Sniiram, le PMSI, le DP, mais je pense également aux données de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav), à la base Erasme (Extraction, recherche et analyse pour un suivi médico- économique)… Il ne faut pas oublier non plus les bases dont disposent des organismes privés type IMS, Cegedim ou Celtipharm.

Bio express

  • Énarque
  • 1982-83 : Directeur adjoint du cabinet du ministre de la Recherche et de l’Industrie
  • 1984-97 : Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
  • 2003 : Rapport au ministre de la Santé sur la transmission des données de santé aux assureurs complémentaires.
  • 2005 : Président de chambre à la Cour des comptes.
  • Depuis 2007 : Président de l’Institut des données de santé (IDS)

Propos recueillis par Olivier Valcke