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OPA sur la pharma ? Le Sénat s’inquiète de la financiarisation de la santé

Alors que la financiarisation de l’offre de soins s’accélère en France, et n’épargne pas les officines, le Sénat a rendu fin septembre un rapport d’informations sur le sujet.

 

Combien représente la financiarisation en France ? 

« Personne n’est capable de répondre », lance Bernard Jomier. « La complexité des montages financiers nous empêche de déterminer le niveau d’argent qui sort du système de santé pour aller rémunérer ces fonds », pointe le sénateur parisien. Toutefois, on trouve un ordre de grandeur dans le dernier rapport « Charges et produits » : l’Assurance maladie a passé en revue la financiarisation des soins en Europe qu’elle chiffre à 20 milliards d’euros en 2022.  

 

 

Au fil des années, la finance a tissé sa toile dans les différentes strates du système de santé tricolore. De quoi mettre à mal « l’indépendance des professionnels de santé, mais aussi l’accès aux soins et la qualité des soins, sans pour autant que la financiarisation ne fasse l’objet d’aucune véritable surveillance de la part des autorités de santé », résume d’emblée Philippe Mouiller, sénateur LR des Deux-Sèvres et président de la commission des Affaires sociales du Sénat. 

Pour tenter d’estimer l’ampleur du phénomène et proposer des pistes pour le contrôler, la commission des Affaires sociales du Sénat a rendu le 25 septembre dernier son rapport d’informations sur la financiarisation de l’offre de soins. Neuf mois d’enquête, 60 organisations et une centaine de personnes auditionnées, pour formuler 18 propositions. 

 

« Arrêter l’hémorragie »

« Le mouvement a commencé il y a une trentaine d’années, avec les cliniques privées, puis les laboratoires de biologie médicale », rappelle Corinne Imbert, sénatrice LR. Des secteurs dans lesquels la financiarisation est tellement implantée, « qu’on ne reviendra pas en arrière, mais nous voulons arrêter l’hémorragie », constate la rapporteure de la mission, pharmacienne de formation. 

Et pour cause : 62 % des sites de biologie médicale sont détenus aujourd’hui par six grands groupes de laboratoire, comme Biogroup ou Cerballiance, faisant de la biologie le secteur « le plus financiarisé en ambulatoire », dit le rapport. Dans la même veine, 40 % des cliniques privées françaises appartiennent à seulement quatre groupes. 

Désormais, d’autres secteurs sont ciblés par les financiers : l’imagerie médicale, les centres dentaires ou d’ophtalmologie, mais aussi… les officines. 

« Un phénomène de financiarisation est observé dans le secteur officinal, pourtant protégé par un cadre juridique réservant la propriété des officines aux pharmaciens diplômés », s’inquiètent ainsi les sénateurs, précisant que « certains pharmaciens recourent à des fonds d’investissement, parfois sous la forme d’obligations convertibles en actions, qui leur imposent en retour des obligations relatives à la gestion de l’officine ou à leur activité, susceptibles de réduire leur indépendance professionnelle ».

 

Des pharmaciens « dans le mur » ? 

En officine, le phénomène est « récent », précise Corinne Imbert qui, lors des auditions menées par la commission se souvient que « certains nous ont rapporté que des structures financières repéraient des officines à vendre ou entraient même dans les facs de pharmacie pour capter les jeunes diplômés sans apports financiers ». 

Force est de constater qu’une fois le contrat signé, « ce sont eux les donneurs d’ordre : ils vous imposent un grossiste répartiteur, des laboratoires, un conseiller juridique, un expert-comptable… », énumère la sénatrice charentaise. 

Attention donc à cette « perte d’indépendance par l’endettement », car les fonds d’investissement peuvent menacer le pharmacien de sanctions financières importantes, telles que le remboursement anticipé des obligations (par exemple s’il ne respecte pas le business plan), s’il décidait d’embaucher du personnel supplémentaire ou n’atteignait pas les objectifs fixés en matière de rendement financier ou d’horaires d’ouverture de l’officine… 

Pire, peut-être, certains fonds demandent même un « accès privilégié aux systèmes d’information ou aux documents comptables de la pharmacie d’officine », rapporte la commission. 

« Cette financiarisation a envoyé “dans le mur ” certains confrères, rappelle tristement Corinne Imbert, car les pharmaciens ont mis du temps à sortir de situations financières compliquées ». 

 

L’exemple du fonds « Unipharma II »

Dans son rapport, le Sénat cite en particulier l’exemple du fonds « Unipharma II », de la société 123 Investment Managers. L’entreprise propose à ses investisseurs un fonds « visant à accompagner la transition et la modernisation de pharmacies de taille significative, présentant un “fort potentiel de croissance non exploité du fait d’une approche commerciale peu structurée” », relèvent les sénateurs. 

Concrètement ? « Le fonds Unipharma entend implanter une stratégie commerciale dans les officines, élargir l’offre de produits et de services ou encore impulser une meilleure discipline de gestion », selon le Sénat. Le tout pour un investissement de 70 à 100 millions d’euros. 

 

Renforcer les contrôles et la législation 

Progressivement, certains « offreurs » de soins « basculent ainsi du capitalisme professionnel au capitalisme financier », constate Corinne Imbert. Une financiarisation favorisée, ces dernières années, à la fois par le cadre de régulation législatif, notamment en matière de SEL, et par le déficit récurrent de la branche maladie. 

Alors que le secteur de la santé est extrêmement rentable pour les investisseurs (19 % de rentabilité pour les laboratoires de biologie en 2019, contre 6 % pour l’industrie aéronautique et spatiale ou 2 % pour l’automobile), les sociétés « ne manquent pas d’inventivité pour détourner la loi », notamment en matière de droit des sociétés, précise Bernard Jomier, sénateur socialiste et rapporteur de la mission, qui pointe « la complexité des montages. De plus, contrairement au capitalisme professionnel, leur objectif est la rentabilité. L’argent va être utilisé pour rémunérer les actionnaires, mais ne va pas être réinjecté dans notre système de santé ». 

Les sénateurs proposent ainsi de « renforcer la loi pour que les professionnels de santé puissent résister à la dynamique de financiarisation », résume Bernard Jomier. Par exemple, les élus recommandent de sensibiliser les étudiants « à la diversité des modes d’exercices en les formant à la gestion de structures de soins ou encore de soutenir les collectivités dans la consolidation d’une offre de soins indépendante et diversifiée », poursuit Bernard Jomier. Le tout en renforçant les capacités de contrôle de l’Assurance maladie. 

 

S’inspirer de la pharmacie ? 

Pour garantir l’indépendance des soignants, les sénateurs incitent à s’inspirer de deux mesures prises par les pharmaciens ! La première ? Offrir un financement par les pairs, « par exemple, la Caisse d’assurance vieillesse des pharmaciens (CAVP) propose des solutions de financement complémentaires, respectueuses de l’indépendance des professionnels de santé. Ce type d’initiative doit être encouragé et si possible étendu », insiste Olivier Henno, sénateur centriste et rapporteur. 

Autre idée à piocher du côté de l’officine : revoir les modalités d’investissement au capital des SEL. Alors que la réglementation autorise l’ouverture du capital des SEL de médecins et de sages-femmes à d’autres personnes dans la limite de 25 %, « les pharmaciens, eux, ont déjà interdit à des non-pharmaciens d’entrer dans leur SEL », approuve Corinne Imbert. 

La commission des Affaires sociales suggère donc pour tous les autres soignants, afin d’endiguer la spéculation, « de prévenir le retrait non anticipé de capitaux ; par exemple, en fixant une durée minimale d’investissement dans le capital des SEL ». Un cadre nécessaire, pour garantir la primauté de la santé publique sur les enjeux financiers. ■