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Pénurie d’amoxicilline : quelles solutions ?

L’ANSM a autorisé les pharmacies à délivrer des préparations magistrales d’amoxicilline sous sa forme pédiatrique. Cette solution à la pénurie actuelle pourrait même servir d’exemple en cas de nouvelles ruptures de stock.

L’ANSM a autorisé 47 pharmacies à produire des gélules à base d’amoxicilline. GETTY IMAGES

 

« Plusieurs fois par jour, on fait un point sur les stocks des produits sous tension, dont l’amoxicilline, pour s’assurer de toujours avoir les médicaments dont nos patients ont besoin, explique Aude Jolly-Jaspart, titulaire de la pharmacie 164, située à Paris. S’il nous manque de l’amoxicilline en dosage 125 milligrammes, on commande des préparations magistrales auprès des pharmacies habilitées à en fabriquer. De cette façon, on ne refuse jamais d’en délivrer ». Depuis janvier 2023, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a autorisé les pharmacies à délivrer, sans autorisation préalable du médecin prescripteur, des préparations magistrales d’amoxicilline aux dosages de 125, 250 et 500 milligrammes sous forme de gélules pour les enfants de moins de 12 ans. 

Comme il s’agit de médicaments sous la forme pédiatrique, les officines qui fabriquent ces préparations magistrales doivent avoir l’agrément de l’Agence régionale de santé (ARS). L’objectif est donc d’en produire pour elles-mêmes, mais il s’agit surtout de fournir les autres officines, comme celle d’Aude Jolly-Jaspart. « C’est une bonne solution car cela permet de traiter tout de suite les enfants sans avoir à contacter le médecin qui, souvent, ne répond pas, poursuit la titulaire. L’idéal serait d’avoir du sirop pédiatrique, qui est quand même plus facile à administrer, mais entre zéro solution et celle-ci, j’opte pour la moins pire ».

 

Une pratique encadrée pour répondre aux ruptures de stock

Depuis fin décembre 2022, la pharmacie Delpech, située à Paris, fabrique entre 700 et 800 préparations magistrales d’amoxicilline par jour. « Nous y travaillons une à deux heures par jour donc, si besoin, nous pourrions faire plus, explique Fabien Bruno, titulaire de la pharmacie Delpech, spécialisée dans les préparations magistrales depuis 1991. La fabrication est assez simple. Il faut simplement faire attention à la poudre qui peut être allergisante et protéger le personnel qui manipule ce produit avec du matériel spécialisé comme des hottes aspirantes ». Pour le moment, il n’a pas eu besoin de recruter de personnel pour réaliser ces préparations magistrales d’amoxicilline.

Le procédé de fabrication a été élaboré et validé par l’ANSM. Les monographies que les pharmaciens fabricants s’engagent à respecter sont disponibles sur le site de l’instance de santé : la matière première à utiliser, la façon de la manipuler, de faire les gélules, les dates de péremption, l’étiquetage, la notice, etc. Pour ce qui est de la qualité du produit final, les pharmaciens font, pour chaque lot, des contrôles d’uniformité de masse qui permettent de s’assurer que le remplissage des gélules est conforme au cahier des charges. En complément, certains hôpitaux ont aussi été désignés par l’ANSM pour tester régulièrement des échantillons dans leur laboratoire.

 

La loi pour les préparations magistrales est fixée…

Dans un passé récent (en 2020), les officinaux ont déjà montré leur savoir-faire et leur réactivité quand ils ont dû fabriquer des solutions hydroalcooliques. Le besoin actuel en amoxicilline met donc en lumière, encore une fois, la compétence des pharmaciens dans ce domaine. « Avec les préparations magistrales, nous serions capables de gérer un grand nombre de pénuries ; celle de l’amoxicilline n’est d’ailleurs pas liée aux matières premières mais à des problèmes de capacités de production, indique Fabien Bruno. Il faut juste nous donner un cadre réglementaire clair et facile pour pouvoir produire plus vite et en quantité ». D’un point de vue légal, l’article L 5121-1 du Code de la Santé publique prévoit que la préparation magistrale ne peut être exécutée qu’à partir du moment où il n’existe pas de spécialité pharmaceutique, adaptée ou disponible disposant d’une autorisation de mise sur le marché. 

Il faut juste nous donner un cadre réglementaire clair et facile pour pouvoir produire plus vite et en quantité. ”

Fabien Bruno, titulaire de la pharmacie Delpech

« Pour l’amoxicilline, comme il y a une rupture de stock, l’ANSM s’est surtout appuyée sur le point V de l’article L 5125-23 du Code de la Santé publique pour acter cette autorisation temporaire, souligne Hélène van den Brink, professeur en droit et économie pharmaceutiques à la faculté de pharmacie de l’université Paris-Saclay. Celui-ci prévoit que le pharmacien peut, en cas de rupture de stock d’un médicament d’intérêt thérapeutique majeur, remplacer le médicament prescrit par un autre médicament conformément à la recommandation établie par l’ANSM, ce qui est le cas pour l’amoxicilline. D’autres lois encadrent aussi la fabrication des préparations magistrales : on peut donc dire que du point de vue législatif, tout est déjà prévu et encadré ». 

 

…mais les prix de l’amoxicilline sont encore en discussion

À l’heure où nous écrivons, il reste une inconnue, et de taille : le prix de vente de ces préparations magistrales d’amoxicilline. Actuellement, ce sont les pharmacies qui fixent les prix, parfois en suivant les recommandations de leur syndicat. « La vraie question, celle qui n’est pas encore réglée, c’est le tarif, explique Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Pour l’instant, le prix de vente se situe entre 18 et 30 euros. Le tarif doit être fixé avec tact et mesure en fonction du prix d’achat dans l’attente d’une réglementation. Ce sera forcément plus cher que le médicament industriel car le coût d’une préparation réalisée artisanalement est plus élevé ». 

Pour le patient, depuis l’autorisation de l’ANSM, une partie est remboursée par la Sécurité sociale, avec possibilité de tiers payant. Le reste à charge dépend de la mutuelle. Dans son officine, Aude Jolly-Jaspart n’a pas encore eu l’occasion de dispenser de préparation magistrale d’amoxicilline. Néanmoins, elle en a déjà parlé avec certains patients, contents, eux aussi, d’avoir une solution si besoin. « Je leur ai dit qu’en cas de pénurie, cette possibilité existait, explique la titulaire. Ils étaient plutôt soulagés d’avoir une réponse avant même que le problème ne se pose ». 

 

« C’est valorisant que l’ANSM ait pensé à nous »

Cette solution semble donc convenir à tous. Du côté du Syndicat national de la préparation pharmaceutique (SN2P) – qui regroupe les pharmaciens qui réalisent des préparations, soit allopathiques, soit homéopathiques -, son président, Gurvan Helary, salue aussi la décision de l’ANSM et sa mise en œuvre. « Le cadre sécurise tout le monde : pharmaciens sous-traitants, ceux qui délivrent et les patients, développe-t-il. Nous ne sommes pas habitués à faire de gros volumes ; aussi, nous avons dû réfléchir à la façon d’adapter nos capacités aux besoins. Actuellement, tous les sous-traitants arrivent à produire 5 % de la consommation d’amoxicilline pédiatrique et on pourrait aller, au maximum, jusqu’à 20 %. Nous n’avons pas la force de frappe des industriels mais nous pouvons lancer plus rapidement une production ».

Faire appel aux pharmaciens pour préparer de l’amoxicilline est un des leviers existants pour faire face à cette pénurie. On en compte donc d’autres. Tout d’abord, la loi du 26 janvier 2016 qui interdit aux grossistes-répartiteurs toute exportation de produits figurant sur la liste des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) en rupture ou tension d’approvisionnement. Ensuite, en complément, l’ANSM a pris d’autres mesures comme le schéma de posologie recommandé sur cinq jours plutôt que six pour la plupart des pathologies infectieuses courantes (angines bactériennes, otites, pneumonies…), le contingentement de la distribution et la suspension de la vente directe aux officines ou encore, la dispensation à l’unité des spécialités dès que cela est possible. 

Les ruptures de stock vont certainement augmenter dans les années à venir car la demande augmente. ”

Gurvan Helary, titulaire de la pharmacie Kerangal et sous-traitant à Rennes (35)

« C’est valorisant que l’ANSM ait pensé à nous pour participer à l’effort collectif et cela met en lumière notre travail, estime Gurvan Helary, également titulaire de la pharmacie Kerangal et sous-traitant à Rennes. Les ruptures de stock vont certainement augmenter dans les années à venir car la demande augmente, les capacités de production vont être limitées et de plus en plus de molécules manquent. Il est donc possible que ce type de dispositif soit à nouveau enclenché. Notre souhait est que les procédures soient réfléchies en amont, avant que les ruptures de stocks n’aient lieu. Il faut que l’on travaille là-dessus. » 

Des tensions d’approvisionnement aux ruptures de stocks, le rôle des pharmaciens dans ce domaine pourrait donc être crucial à l’avenir… Un avenir pas si lointain. ■