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Thérapies géniques : les innovations au service de l’oncologie

Au cours des 10 dernières années, le développement de l’immunothérapie a été très rapide et a, sans aucun doute, révolutionné la prise en charge de nombreuses pathologies cancéreuses. Ces avancées promettent d’être encore nombreuses grâce aux cellules CAR-T et à l’arrivée des vaccins thérapeutiques à ARN messager. 

Combattre le cancer grâce aux cellules CAR-T  

En combinant thérapie cellulaire et thérapie génique, les cellules CAR-T boostent le système immunitaire. Des résultats impressionnants observés dans certaines hémopathies malignes réfractaires ou en rechute redonnent espoir à des patients en échec thérapeutique.

Traitement révolutionnaire, avancée thérapeutique majeure… Lorsque les premiers résultats des essais cliniques évaluant l’efficacité des cellules CAR-T ont été publiés en 2017, ils ont suscité un véritable espoir pour les patients souffrant de leucémies ou de lymphomes réfractaires. « Ces nouvelles thérapies ont chamboulé la prise en charge de ces patients en échec thérapeutique. Alors que leur espérance de vie ne dépassait pas 6 mois, les essais cliniques ont montré une survie globale de plus de 12 mois, voire de 20 mois », rapporte le Dr Pierre Sesques, hématologue au CHU de Lyon. 

Dernières-nées des immuno-thérapies, les cellules CAR-T ou CAR-T cells (pour « chimeric antigen receptor T cells ») sont un traitement innovant combinant de la thérapie cellulaire et de la thérapie génique. Son objectif : reprogrammer ces lymphocytes afin de booster le système immunitaire et lui permettre de détecter à nouveau les tumeurs et de lyser les cellules tumorales.

Une thérapie créée sur mesure. Elle est, en effet, produite à partir des lymphocytes T (ratio équilibré de lymphocytes CD4 et CD8) prélevés chez le patient par leucophérèse. Ils sont ensuite génétiquement modifiés à l’aide de vecteurs viraux afin qu’ils expriment un nouveau récepteur dérivé d’un anticorps dirigé contre un antigène tumoral spécifique. Le principal antigène ciblé est le CD19, une protéine présente à la surface des lymphocytes B normaux et tumoraux. « Ces cellules CAR-T autologues sont ensuite réinjectées chez le patient après avoir réalisé une chimiothérapie de conditionnement, similaire à celle réalisée avant une greffe de cellules souches hématopoïétiques. Les cellules CAR-T se multiplient et s’activent dans les jours qui suivent. Chez la moitié des patients, ces cellules persistent durant des mois et maintiennent une surveillance antitumorale », décrit l’hématologue lyonnais. 

 

Ces nouvelles thérapies ont chamboulé la prise en charge de ces patients en échec thérapeutique.  ” 

Dr Pierre Sesques, hématologue au CHU de Lyon

 

De nombreuses indications en hématologie

À ce jour, quatre traitements sont disponibles dans les hôpitaux français. Deux ont obtenu leur autorisation de mise sur le marché (AMM) en 2018. Il s’agit du tisagenlecleucel (Kymriah, Novartis) indiqué pour le traitement de 3e ligne ou plus du lymphome diffus à grandes cellules B réfractaire ou en rechute, ainsi que l’axicabtagene ciloleucel (Yescarta, Kite Gilead) administré en 3e ligne chez des patients souffrant d’un lymphome diffus à grandes cellules B ou d’un lymphome médiastinal primitif à grandes cellules B réfractaire ou en rechute. Cet arsenal s’est enrichi en 2020 avec l’arrivée du brexucabtagene autoleucel (Tecartus, Kite/Gilead) indiqué en cas de lymphome à cellules du manteau après au moins deux lignes de traitement. Celui-ci bénéficie d’une AMM européenne conditionnelle. L’Agence européenne du médicament (EMA) a demandé au laboratoire « la mise en place d’une étude prospective évaluant l’efficacité et la tolérance de Tecartus chez les patients de sexe féminin, âgés et gravement malades et des données de suivi à 24 mois de tous les patients traités dans la cohorte initiale », précise la Haute autorité de santé (HAS). Enfin, en décembre 2021, la HAS a délivré une Autorisation d’accès précoce (ancienne Autorisation temporaire d’utilisation de cohorte) pour l’idecabtagene vicleucel (Abecma, BMS). C’est le premier traitement par cellules CAR-T pour les patients adultes atteints d’un myélome multiple en rechute ayant reçu 3 traitements antérieurs. 

« Les essais cliniques évaluant ces traitements sont difficilement comparables puisque les patients et les pathologies sont différents. Pour autant, tous ont montré la supériorité des CAR-T par rapport à la chimiothérapie et, dans l’ensemble, une réponse complète est observée pour près de la moitié des patients six mois après le traitement », indique le Dr Sesques, avant d’ajouter : « Ces bénéfices ont, par ailleurs, été confirmés en vie réelle, d’après les données collectées auprès des 550 patients traités en France et présentées au dernier congrès d’hématologie ».

 


 

Des résultats décevants face aux tumeurs solides

Alors que les cellules CAR-T révolutionnent la prise en charge de certaines hémopathies malignes, elles rencontrent encore de nombreux obstacles dans le traitement des tumeurs solides. De fait, les essais évaluant leur intérêt contre le cancer hépatique, le mélanome, les tumeurs du sein, de l’ovaire, du poumon ou encore colorectal démontrent tout au plus quelques stabilisations et de rares réponses objectives. En revanche, de fortes toxicités ont été observées. 

Ce manque d’efficacité peut s’expliquer par la paucité des cibles antigéniques, mais aussi l’hétérogénéité de celles-ci, la difficulté d’accès à la tumeur ou encore le rôle immunosuppresseur joué par le microenvironnement tumoral.
Pour contrecarrer ces mécanismes de résistance, des chercheurs imaginent différentes approches. Ils tentent par exemple d’associer les cellules CAR-T à des anticorps immunomodulateurs capables de lever l’inhibition du système immunitaire (comme le nivolumab ou le pembrolizumab), d’injecter les cellules CAR-T directement dans la tumeur ou encore de développer une nouvelle génération de cellules CAR-T sécrétant des cytokines spécifiques.


 

Un usage limité à certains centres spécialisés

Mais, à ce jour, cette révolution thérapeutique n’est pas accessible partout. Seule une trentaine de centres d’hématologie peut la proposer aux malades. Ces derniers ont dû obtenir une certification des industriels eux-mêmes, mais également une autorisation de la part des Agences régionales de santé (ARS) qui vérifient, notamment, que le centre ait une autorisation pour réaliser des greffes, ait accès à une pharmacie autorisée à l’usage des OGM, mais également qu’elle ait à sa disposition un service d’hématologie intensive, de réanimation et de neurologie spécialisée.

Un accès à des services hospitaliers est primordial pour surveiller les patients et faire face rapidement aux effets secondaires sérieux des cellules CAR-T qui concernent près de la quasi-totalité des malades dans les 2 semaines suivant la réinfusion des cellules. Il y a d’abord le syndrome de relargage cytokinique, ou « orage cytokinique », lié à l’activation des cellules CAR-T après leur rencontre avec leur cible. Pour une majorité de patients, cela se limite à de la fièvre, des frissons, une hypotension, des vertiges et des maux de tête. Mais ce syndrome peut s’accompagner d’une insuffisance rénale, hépatique, pulmonaire ou cardiaque parfois sévère, pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Environ 30 % des patients doivent être admis en réanimation. « Pour atténuer ce syndrome, il est recommandé d’administrer le tocilizumab, le même anticorps mono-clonal recommandé pour le traitement des formes graves du Covid-19. Une amélioration est généralement visible dans les 8 heures », précise l’hématologue.

Des troubles neurologiques apparaissent chez 30 % des malades environ. Ils souffrent alors de convulsions, de tremblements, d’états de confusion, de difficultés d’élocution, de troubles moteurs… Des manifestations réversibles dans la grande majorité des cas grâce à de la cortisone à haute dose. 

Reste que la balance bénéfice/risque penche largement en faveur de cette nouvelle technologie. Au point que des équipes évaluent l’intérêt d’y avoir recours plus tôt au cours du parcours de soins. Deux essais présentés en décembre 2021 montrent que ces nouvelles technologies font mieux que les thérapies standards lorsqu’elles sont utilisées en 2e ligne. Mais cette évolution ne devrait pas être mise en place tout de suite. « Nos autorités sont toujours en train d’évaluer l’efficacité de ces thérapies commercialisées depuis seulement 3 ou 4 ans », rappelle le Dr Sesques. •

 


 

Vaccins à ARN messager : rééduquer le système immunitaire  

La pandémie de Covid-19 a fait découvrir les vaccins à ARN messager. Au-delà des promesses en infectiologie, cette technologie ouvre des perspectives très intéressantes en oncologie. Explications de Chantal Pichon, la spécialiste française des ARN messager thérapeutiques, chercheuse CNRS et professeure à l’Université d’Orléans.

 

Revue Pharma : En quoi l’ARN messager (ARNm) est-il intéressant en oncologie ? 

Chantal Pichon : Cette molécule nous intéresse car, en plus de coder l’antigène, elle est immunostimulante. Concrètement, cela nécessite d’identifier des antigènes tumoraux portant des épitopes spécifiques. Le mieux est de traquer les néoépitopes, issus de molécules exprimées de novo à la surface des cellules cancéreuses, mais on peut aussi cibler des antigènes tumoraux majoritairement exprimés dans un type de tumeur comme le fait le laboratoire allemand BioNTech qui est très en avance dans ce domaine. 

Une fois ces molécules identifiées, il suffit de fabriquer l’ARNm de synthèse en laboratoire. Leur structure est bien connue maintenant. Elle se présente sous forme d’unités, comme des briques. Ainsi, on peut facilement construire la séquence en fonction de la protéine que l’on souhaite produire dans la cellule. Cet antigène est ensuite produit par la machinerie de la cellule elle-même, sans avoir besoin d’entrer dans le noyau. De ce fait, la protéine est correctement formée et dans la bonne conformation. 

À noter que l’ARNm est naturellement et rapidement dégradé par l’organisme. Au bout de 3 jours, il disparaît, ce qui est un avantage en termes de sécurité. 

 

Quelles sont les différentes applications possibles des vaccins à ARNm ?

Ces vaccins visent à booster le système immunitaire. Pour cela, on peut agir de différentes façons. On peut faire en sorte d’exposer les antigènes tumoraux aux cellules immunitaires, notamment au niveau de la rate, l’organe clé de l’immunité. Différentes cellules du système immunitaire, dont les lymphocytes cytotoxiques spécifiques, seront produits. Ces dernières sont programmées pour lyser les cellules tumorales présentant les antigènes tumoraux.

Mais on peut aussi utiliser l’ARNm codant pour des cytokines afin d’optimiser la production de ces médiateurs du système immunitaire. Cette approche permet d’induire une belle réponse immunitaire chez la souris et semble prévenir les rechutes, d’après des essais précliniques. Autre possibilité : utiliser l’ARNm pour coder des cellules CAR-T. Dans ce cas, plus besoin des vecteurs viraux pour modifier génétiquement les lymphocytes T du patient. 

 

 L’ARN messager est naturellement rapidement dégradé par l’organisme. Au bout de 3 jours, il disparaît, ce qui est un avantage en termes de sécurité. ” 

 

Des essais cliniques sont-ils en cours ?

Oui, des essais de phases I et II recrutent des participants afin d’évaluer l’efficacité, la tolérance et la sécurité des vaccins à ARNm dans le traitement des mélanomes métastatiques, des cancers bronchiques non à petites cellules, des cancers gastro-intestinaux, du cancer du sein… Au vu des premiers résultats, il semble que la stratégie la plus efficace est d’injecter plusieurs ARNm codants pour différents antigènes tumoraux, notamment en raison de l’hétérogénéité des tumeurs. Une personnalisation du traitement est possible en recherchant pour chaque patient les néoépitopes les plus fréquents.

Par ailleurs, à ce jour, il paraît peu probable que ces vaccins thérapeutiques se suffisent à eux-mêmes. Il ne faut pas négliger les autres modalités de traitements, et il est tout à fait possible de les combiner avec d’autres immunothérapies. Un essai présenté dans Nature en 2020 par l’équipe de BioNTech démontre ainsi que l’injection de vaccin à ARN composé de différents antigènes tumoraux peut être efficacement combiné à des inhibiteurs de checkpoint chez des patients souffrant de mélanome avancé. •

 


 

CRISPR
nouvelle arme pour vaincre le cancer ? 

L’apparition de la technique CRISPR-Cas9 a ouvert le champ des possibilités en thérapie génique. Décrite en 2012, cette méthode d’édition du génome est déjà utilisée pour optimiser les cellules CAR-T et des essais ont démarré chez l’homme.

Le système CRISPR-Cas9, en copiant le mécanisme de défense que de nombreuses bactéries mettent en place face à une infection virale, permet de couper l’ADN à un endroit précis du génome dans n’importe quelle cellule. Constitué d’un ARN guide et de l’enzyme Cas9, son action de « ciseaux génomiques » offre la possibilité aux chercheurs de comprendre le rôle des gènes, corriger un ADN défectueux et développer de nouvelle thérapeutique.

Un outil donc redoutablement efficace qui s’est répandu comme une traînée de poudre dans les laboratoires du monde entier. « L’édition du génome est possible depuis les années 1980, mais les techniques dont nous disposions avant CRISPR-Cas9 étaient onéreuses, prenaient plusieurs mois et étaient moins efficaces et précises », indique Raphaël Margueron, directeur scientifique de la plateforme de criblage génétique « CRISPR’IT » de l’Institut Curie. 

Son emploi en thérapie génique a très vite été évoqué, notamment dans le domaine de l’oncologie qui concentre la majorité des études et essais cliniques. « Le système CRISPR-Cas9 est très utile en oncologie car il nous permet d’étudier facilement l’impact de l’inactivation d’un gène sur le développement tumoral, ou de réaliser un criblage génétique afin d’évaluer la réponse à un traitement et identifier les causes génétiques d’une résistance », décrit le généticien, tout en précisant que « ces applications sont encore du domaine de la recherche. »

 

Optimisez les cellules CAR-T

Pour autant, aux États-Unis, comme en Chine, des projets démarrent chez l’homme et visent à optimiser l’efficacité des cellules CAR-T. Les deux équipes souhaitent inactiver dans les lymphocytes T le gène codant la protéine PD-1 car cette dernière est impliquée dans l’inhibition de la réponse immunitaire antitumorale. Les équipes parient ainsi qu’en éliminant ce gène, l’effet des cellules CAR-T sera renforcé. S’il est encore trop tôt pour crier victoire, les résultats de l’essai américain présentés en 2020 montrent que les cellules CAR-T se sont multipliées après avoir été réinjectées chez 2 patients atteints de myélome et un malade du sarcome (décédés depuis), et que cette amplification n’a pas provoqué d’effets secondaires graves. L’équipe chinoise a annoncé avoir traité son premier patient atteint de cancer du poumon le 28 octobre 2016, mais aucun résultat n’a été pour l’heure publié. •

 


CRÉDITS : GETTY IMAGES