La création récente d’une cinquième branche de l’Assurance maladie dévolue au grand âge et à l’autonomie montre son importance politique et sociétale. Quelles sont les grandes actions entreprises pour améliorer la vie des seniors et comment le pharmacien d’officine peut-il s’y inscrire ?
Le vieillissement de la population est amorcé de longue date, et va s’accélérer. Il incite les pouvoirs publics à améliorer la qualité de vie de nos aînés en modifiant leur prise en charge. Les actions politiques sont nombreuses et se concrétisent autour d’expérimentations dans lesquelles le pharmacien a toute sa place.
« Il faut, grâce à notre politique du grand âge, améliorer notre espérance de vie en bonne santé. La France a une bonne performance en espérance de vie, mais pas en espérance de vie en bonne santé. Cela va passer par beaucoup de préventions et une action globale sur le grand âge », objective Dominique Libault, directeur de l’École nationale supérieure de la Sécurité sociale et ancien directeur de la Sécurité sociale. Ce haut fonctionnaire a présenté, en 2018, 175 propositions à la ministre de la Santé afin d’élaborer la politique de l’autonomie et du grand âge.
L’idée d’un parcours
La recherche de la qualité de vie des seniors passe par un changement de vision politique et d’approche du sujet. « Il faut une approche globale de la personne âgée, de son parcours de soin et de son parcours de vie pour construire la politique du grand âge. Aujourd’hui, nous partons des institutions, de l’hôpital et du médico-social, et la personne doit s’adapter. Cela crée des risques de ruptures dans le parcours », analyse Dominique Libault.
Afin d’éviter ces ruptures, le pharmacien peut jouer un rôle majeur et multiple, reconnu dans le Paerpa, le parcours de santé des aînés. Ce dernier est expérimenté sur plusieurs territoires français depuis 2014. Il vise à préserver l’autonomie grâce à une meilleure coordination des acteurs de la santé et du social, une sortie d’hôpital sécurisée, un accompagnement afin de ne pas y retourner, ainsi qu’une attention particulière sur la iatrogénie.
Des actions concrètes
Éric Ruspini, pharmacien titulaire, élu URPS et président de l’USPO Grand Est, ne tarit pas d’éloge sur le Paerpa. « C’est extrêmement intéressant. Nous savons grâce au Paerpa si la PDA est nécessaire, si la dénutrition a été évaluée, s’il y a des plateaux-repas, etc. » En somme, un outil de partage qui a fait ses preuves. Il passe par un document conjoint aux différents acteurs médicaux et sociaux, le plan personnalisé de santé (PPS). Celui-ci comprend observations, bilans et analyses. Lorsqu’il est communiqué au pharmacien, il a 1 semaine pour en faire une analyse avant de le renvoyer à la plateforme territoriale d’appui (PTA).
« Le PPS est adressé au minimum à trois personnes : le médecin, le pharmacien et l’infirmier ou le kiné. Cela donne une approche plus globale, avec les acteurs du médico-social. C’est un retour d’information riche pour nous, témoigne Éric Ruspini. Si n’importe qui sent une fragilité, il peut appeler la PTA pour lancer un PPS. Il y a tout de même quelques conditions par rapport à l’âge et à la polymédication. » Le repérage de la fragilité est une donnée essentielle dans l’idée du parcours. Une autre expérimentation du nom d’Icope, émanant de l’OMS, a été mise en place par l’ARS Occitanie. « L’enjeu, c’est le maintien des fonctions le plus longtemps possible, ce qui implique un diagnostic et une prise en charge précoce. Les pharmaciens ont un rôle très important à jouer », explique Dominique Libault. Chargé de repérer et de noter la fragilité de ses patients âgés grâce à quelques tests simples, l’officinal transmet ensuite les informations aux autres professionnels de santé, en charge d’un suivi plus approfondi.
Le passage ville-hôpital
Le passage entre la ville et l’hôpital est un moment clé du parcours, en termes de suivi, de iatrogénie et d’accompagnement. « Le pharmacien a aussi un rôle central au moment de la sortie de l’hôpital et de la conciliation médicamenteuse », rappelle Dominique Libault. Une pratique qui rentre de plus en plus dans les moeurs des officinaux. « Dans mon bassin de vie, 40 pharmacies sur 40 font de la conciliation médicamenteuse (CM). Un pharmacien hospitalier m’appelle, nous faisons la conciliation d’entrée, la conciliation de sortie, tout se fait par messagerie sécurisée. C’est un tel confort intellectuel ! La CM est indispensable au parcours du patient », témoigne Éric Ruspini.
Le pharmacien du Grand Est participe aussi à une autre expérimentation de terrain. « Le projet Médisis, en place depuis 1 an et demi, dont l’objectif est que le patient ne soit pas réhospitalisé dans le mois suivant sa sortie d’hôpital. Je le vois à J+7, J+14 et J+21. Les patients sont ravis, nous leur apprenons à gérer leur traitement, leur autonomie. » Encore un exemple que la politique du grand âge se développe. Preuve en est, le législateur lui a consacrée une branche à part entière dans le budget de la Sécurité sociale.
Une cinquième branche pour la Sécu
Qu’est-ce que va changer concrètement cette cinquième branche ? « C’est reconnaître le sujet de la perte d’autonomie comme un risque social à part entière, comme la maladie ou la retraite. Il y aura des discussions annuelles à l’Assemblée nationale, des comptes de recettes et de dépenses. En revanche, cela ne nous dit rien des montants financiers consacrés. C’est un cadre, mais cela ne définit pas la politique elle-même, explique Dominique Libault avant d’ajouter : À ce stade, j’ai l’impression qu’il y a une volonté politique profonde, notamment de la part d’Olivier Véran, de faire quelque chose. J’espère qu’il y aura une traduction concrète de cette volonté. »
Nous pouvons imaginer que les expérimentations de parcours pour les aînés pourront être étendues, voire pérenniser grâce à un budget consacré. « Demain, il faudra encore innover », ajoute le haut fonctionnaire. Gageons qu’au cœur des futures politiques de santé le pharmacien restera un acteur important de l’amélioration de la qualité de vie des aînés.
« Un plus grand investissement financier dans le grand âge est réaliste, car c’est anticiper des dépenses inéluctables pour la société française. Il ne faut pas se voiler la face. L’accompagnement du grand âge est un réservoir d’emplois potentiel considérable. Il faut valoriser ces métiers en direction des jeunes en offrant des parcours de formation. » Dominique Libault, directeur de l’EN3S et ancien directeur de la Sécurité sociale
Changer de regard sur le grand âge
Dans un monde où l’on privilégie toujours la jeunesse et la vitesse, les seniors ont tendance à être invisibles. Pour Dominique Libault, « il faut considérer toutes les périodes de la vie. Les personnes âgées doivent continuer à vivre avec les autres, tout simplement. Afin d’éviter un isolement très mal vécu. »
Un travail commun qui ne doit pas être orienté uniquement sur la santé, mais aussi « sur l’habitat, les possibilités de mobilité, la solidarité intergénérationnelle, la citoyenneté des personnes âgées. Il faut que ces dernières soient considérées comme une richesse, comme dans certaines sociétés africaines. » Selon Dominique Libault, la société doit avoir le courage de se poser une question importante, « car nous avons tous vocation à atteindre le grand âge. Voulons-nous la vie biologique coûte que coûte ou est-ce que c’est la qualité de vie qui prime ? » •
Crédit photo : pasja1000 / Pixabay