« Nous sommes dans le rouge »

Président de Cerp Rouen et directeur général du groupe Astera, Olivier Bronchain, élu à la tête de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP) en juin 2017, alerte les pouvoirs publics sur un modèle « performant mais extrêmement fragilisé », pourtant plébiscité par les Français.

Pharma : La répartition pharmaceutique a lancé, en mars dernier, le premier Observatoire de l’accès aux médicaments. Quel en est l’objectif ?

Olivier Bronchain : Nous voulions faire une sorte d’état des lieux de la perception réelle des Français sur la question de l’accès à leurs médicaments. La répartition pharmaceutique assure l’approvisionnement sécurisé des produits de santé aux 22 000 officines françaises ; à ce titre, elle est un acteur indispensable dans la chaîne du médicament agissant dans le cadre de missions de service public. Elle est donc dans son rôle. Cet Observatoire a également pour vocation d’alerter les pouvoirs publics sur les difficultés économiques de nos entreprises et d’évaluer, à intervalles réguliers, l’impact des mesures prises – ou l’absence de mesures –, qu’elles nous soient favorables ou défavorables.

Quels en sont les premiers enseignements ?

Parmi les résultats les plus marquants, on note que 99 % des Français interrogés par l’institut Ipsos, à qui nous avons confié cette enquête, jugent important, voire essentiel, de disposer des médicaments nécessaires immédiatement en pharmacie, et que 92 % estiment tout aussi essentiel de pouvoir accéder à leurs médicaments dans les mêmes conditions de prix, de répartition et de délai partout sur le territoire. Enfin, s’agissant de la sécurité et de la qualité de l’approvisionnement, 94 % se disent sûrs de pouvoir disposer du médicament dont ils ont besoin lorsqu’ils se rendent en pharmacie. Il y a cependant deux points d’alerte : 89 % des Français craignent de futurs déserts pharmaceutiques dans certains territoires ruraux et 48 % n’ont pas eu accès immédiatement à leurs médicaments au moins une fois au cours des 12 derniers mois. D’où certaines interrogations sur la question de la disponibilité, que 21 % estiment dégradée par rapport à l’année précédente. Mais il faut souligner ici que le système de répartition demeure performant puisque 84 % des Français ont obtenu leur médicament manquant dans les 24 heures. En conclusion, cette enquête montre l’attachement de nos concitoyens à notre modèle, mais exprime aussi leurs craintes pour l’avenir quant à l’égal accès aux médicaments sur l’ensemble du territoire.

Vous évoquiez les difficultés économiques des grossistes-répartiteurs. Quelles en sont les causes majeures ?

Notre modèle, je l’ai dit, est performant mais extrêmement fragilisé. Notre marge réglementée sur les médicaments remboursables est de 6,68 % du prix fabricant hors taxes, avec un minimum de 30 centimes et un maximum de 30 euros par boîte. Ce système, entièrement assis sur le prix des médicaments, nous expose pleinement, car les baisses successives des prix ont des conséquences directes sur nos marges. Le deuxième facteur – mais le premier en importance – qui pose un grave problème économique à nos entreprises est le développement du générique. La marge réglementée sur un médicament princeps est en moyenne de 81 centimes par boîte ; celle sur le prix moyen d’un générique est de 37 centimes. En outre, depuis 2007, il est devenu possible pour tout distributeur d’abandonner sa marge réglementée au profit de l’officine. C’est ce qu’ont fait les laboratoires de génériques. Pour rester compétitifs, les grossistes-répartiteurs ont dû en faire autant ; en contrepartie, ils ont négocié des contrats avec les laboratoires pour rémunérer les services qu’ils rendent. Mais la rémunération ainsi obtenue est très insuffisante d’autant que nos coûts d’exploitation sont identiques, qu’il s’agisse d’un médicament princeps ou générique. Au final, notre marge brute sur le générique, qui représente 40 % de notre activité, est trois fois inférieure à celle sur le princeps. Et la situation ne cesse de se dégrader : entre 2008 et 2016, la répartition a vu ses ressources diminuer de 240 millions d’euros, alors qu’elle distribue le même nombre de boîtes et que le coût du travail a augmenté. En 2008, son chiffre d’affaires était de 19 milliards d’euros avec un résultat d’exploitation de 200 millions d’euros avant impôts. Depuis, ses ressources n’ont cessé de chuter : en 2012, le CA était de 18 milliards d’euros et le résultat d’exploitation de 100 millions d’euros ; des chiffres qui sont tombés respectivement à 17 milliards d’euros et 4 millions d’euros en 2016, et à 17 milliards d’euros et moins de 23 millions d’euros en 2017. Nous sommes dans le rouge alors que, dans le même temps, nous avons fait des efforts de productivité, puisque nous sommes passés de 13 000 à 12 000 emplois.

Quelles solutions proposez-vous ?

Nous avons fait plusieurs propositions au ministère de la Santé, avec lequel les discussions s’amorcent. Parmi elles : une augmentation significative de notre rémunération, un système avec une part forfaitaire qui nous rende moins sensibles aux évolutions des prix des médicaments, et une rémunération suffisante et garantie sur les génériques. Nous demandons également que les ventes de génériques soient exonérées de la taxe sur les ventes en gros. Cette taxe représente pour la profession un coût de 200 millions d’euros dont 30 millions pour la partie liée aux ventes de génériques. Enfin, nous observons qu’aujourd’hui les produits rentables ne compensent plus les produits non rentables. Pour les produits coûteux, comme ceux de la chaîne du froid ou les stupéfiants, nous espérons une rémunération additionnelle.
Au final, notre marge brute sur le générique, qui représente 40 % de notre activité, est trois fois inférieure à celle sur le princeps.

En complément de la rémunération, la logistique doit-elle aussi être revue, notamment au sein des déserts médicaux ? En d’autres termes, les répartiteurs pourront-ils continuer à livrer les pharmaciens deux fois par jour ?

Pour l’heure, la question ne se pose pas et ce n’est manifestement pas le souhait des Français. Nous continuons d’assurer nos missions avec la même exigence de qualité. Notre fragilité, c’est que nous sommes le maillon invisible de la chaîne du médicament : au quotidien, plus de 3 millions de Français bénéficient, souvent sans le savoir, de nos services. Personne ne pâtit encore de nos difficultés, elles sont donc mal identifiées. C’est aussi l’une des raisons qui nous ont conduits à créer l’Observatoire de l’accès aux médicaments. Il ne faudrait pas nous entraîner dans une stricte logique d’entreprise privée qui ne raisonnerait qu’en termes de rentabilité au détriment de notre rôle indispensable d’acteur de santé.

En 2014, l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) avait livré un rapport dans lequel elle estimait nécessaire de poursuivre une réflexion ouverte et collective sur l’avenir de la distribution en gros et, en particulier, de la répartition, soulignant les difficultés rencontrées « par des acteurs importants de la chaîne de distribution du médicament ». Elle pointait aussi « l’essoufflement du modèle économique du secteur ». Que s’est-il passé depuis ?

Un nombre important de rapports ont été publiés sur la répartition, mais ils n’ont jamais été suivis d’effets. Celui de l’Igas, que vous mentionnez, ne déroge pas à la règle. Pour ne citer que les plus récents, je rappelle qu’en décembre 2013 l’Autorité de la concurrence avait mis en avant la concurrence déséquilibrée de la répartition face aux laboratoires qui distribuent en direct. Et qu’un rapport de la Cour des comptes, datant de 2017, recommande clairement d’asseoir la rémunération des répartiteurs sur les volumes livrés et non plus sur le prix des médicaments. Un autre rapport de l’Igas, qui date de la même année mais n’a pas été publié, dit tout aussi clairement que notre modèle économique, pour ce qui concerne les médicaments remboursables, apparaît aujourd’hui altéré par un lien entre notre rémunération et les prix et volumes des médicaments que nous distribuons. Bref, tous font le même constat de la très forte dégradation de notre situation économique et de la nécessité de revoir notre modèle. Tous nos espoirs reposent désormais sur nos négociations avec le ministère.

Vous avez été auditionnés en juillet dernier par le Sénat sur les ruptures et pénuries de médicaments. Qu’en est-il ressorti ?

Nous attendons dans les semaines à venir un rapport de la Mission d’information. C’est un vrai sujet. Il existe, dans les officines, les hôpitaux, tant en France, qu’en Europe et dans le monde, des problèmes de ruptures de médicaments dont les causes sont multifactorielles. Ces pénuries ou ruptures de stock dépassent le cadre national en raison de la mondialisation des marchés.

La directive « médicaments falsifiés » 2011/62/UE va contraindre la chaîne du médicament à mettre en place, d’ici au 9 février 2019, un système de sérialisation avec contrôle au point de dispensation. Êtes-vous directement concernés ?

En vertu de cette directive, qui vise à prévenir l’apparition de médicaments falsifiés dans la chaîne légale d’approvisionnement, les médicaments devront posséder un dispositif d’inviolabilité et porter un numéro de série permettant d’identifier chaque boîte. En termes de sécurité, c’est positif, même si, en France, nous n’avons pas ce genre de problème. Dans le principe, l’essentiel des contrôles sera effectué en début et en fin de chaîne. Ce ne sera donc pas sur nous que pèsera l’essentiel des efforts. Nous sommes néanmoins concernés et pleinement impliqués dans ce projet de sérialisation.


La répartition, c’est :

  • 7 grossistes-répartiteurs dans l’Hexagone
  • 185 établissements de répartition en métropole et 13 dans les DOM-TOM
  • 30 000 références disponibles
  • 1,8 milliard de produits achetés, gérés et vendus chaque année
  • 6 millions de boîtes manipulées par jour
  • 2 h 15 de délai moyen de livraison
  • 200 millions de kilomètres parcourus par an